L’inculpation, le 4 mars, de Léopold Maxime Eko Eko, dans l’affaire de l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, dont la mort a été constatée le 22 janvier – a ouvert la course à son remplacement. Le commissaire divisionnaire, issu de la police, a dirigé pendant treize ans la Direction générale de la recherche extérieure la DGRE. Plusieurs membres de l’entourage du président Paul Biya suggèrent qu’un militaire lui succède, et non pas un policier. Ce ne serait pas une première, le général de gendarmerie Claude-Laurent Angouand avait déjà dirigé la structure dans les années 1990.
L’un des noms qui revient le plus est celui du colonel Emile-Joël Bamkoui, patron de la division de la sécurité militaire le Semil, dont les relations avec Eko Eko étaient mauvaises. Bamkoui est un des principaux conseillers du ministre délégué à la défense, Joseph Beti Assomo, et un proche de l’Israélien Eran Moas, patron du Bataillon d’intervention rapide, la garde prétorienne du chef de l’Etat. Censé partir en retraite au début de cette année, il a été prolongé de deux ans. Il entretient cependant des relations compliquées avec le secrétaire général de la présidence de la République le SGPR, Ferdinand Ngoh Ngoh.
Le nom du général Donatien Melingui Nouma, actuel inspecteur chargé des forces au ministère de la défense et ancien coordonnateur des opérations militaires en zone anglophone, est également sur la table.
Pour Ferdinand Ngoh Nogh, l’inculpation de son rival constitue une aubaine pour propulser un de ses proches. Le SGPR, qui avait d’ailleurs déjà tenté de remplacer le chef du renseignement, à plusieurs reprises, songerait au commissaire de police divisionnaire, Barthélémy Xavier Ongolo. Ce dernier officie actuellement à l’ambassade du Cameroun en RDC, après avoir occupé le poste de deuxième secrétaire de la représentation diplomatique camerounaise à Paris. Originaire de Nanga-Eboko (centre) comme Ferdinand Ngoh Ngoh, Barthélémy Xavier Ongolo peut compter sur le réseau de la première dame, Chantal Biya.
Un autre policier est également dans la course en la personne de James Elong Lobe, mais son parcours pourrait compromettre ses chances. Autrefois proche de Léopold Maxime Eko Eko et du ministre de la justice, Laurent Esso, ouvertement en conflit avec Ferdinand Ngoh Ngoh et menacé par l’affaire, James Elong Lobe a pris ses distances et s’est rapproché du SGPR.
Ce commissaire de police, qui cumule depuis deux ans les fonctions de coordonnateur technique numéro un et de coordonnateur de la direction des opérations, s’active depuis plusieurs semaines à assembler autour de lui les proches du directeur en détention, au grand dam du chef de la DGRE par intérim, Monkouop Mominou. Le tout dans un climat de méfiance jamais vu au « Lac », le surnom donné au siège de la DGRE.
Originaire du Littoral, James Elong Lobe a fait le pari que Léopold Maxime Eko Eko ne reviendrait probablement pas à la DGRE. Et sa double casquette le pose en candidat sérieux au remplacement de son mentor au sein des renseignements : alors simple directeur des renseignements généraux à la police, Léopold Maxime Eko Eko l’avait en effet pris sous son aile. Mais l’avantage de James Elong Lobe reste fragile. Et il devra en outre composer avec les hommes restés fidèles à son rival, Justin Danwe.
Car l’affaire Zogo a été le révélateur d’un conflit sourd à la tête du renseignement extérieur, qui couve depuis deux ans. En novembre 2021, Léopold Maxime Eko Eko avait déchargé Justin Danwe de plusieurs prérogatives, sur la base de rapports faisant état de présumés « manquements ». Le patron de la DGRE avait alors nommé James Elong Lobe coordonnateur, avec autorité sur Justin Danwe. Ce dernier avait succédé au premier à la tête de la Direction des opérations de la DGRE, que James Elong Lobe occupait alors depuis près de neuf ans.
Justin Danwe, lieutenant-colonel de la gendarmerie passé par tous les échelons du service, diplômé de l’Ecole militaire interarmées l’EMIA, l’une des institutions de formation les plus prestigieuses de l’Etat, n’a jamais vraiment digéré d’être chaperonné par un commissaire divisionnaire de la police nationale.
Les rapports entre James Danwe et James Elong Lobe sont devenus de plus en plus tendus, à mesure que se rapprochait la date de départ à la retraite de Léopold Maxime Eko Eko, officiellement prévu fin 2022. Et la compétition entre les deux hommes s’est accrue. La fonction de directeur des opérations, occupée par James Danwe, constitue théoriquement la voie royale vers la direction générale. Mais, cité dans l’affaire Zogo, ce dernier semble désormais grandement fragilisé.
Ces derniers mois, James Elong Lobe avait pris ses distances avec Léopold Maxime Eko Eko, pour se rapprocher en toute discrétion de la présidence dans sa campagne pour la direction de la DGRE. S’il n’est pas le premier choix du secrétaire général de la présidence de la République (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, les deux se connaissent et ont déjà travaillé ensembles sur plusieurs dossiers. Et, détail instructif, depuis plusieurs mois, James Elong Lobe s’est accordé les services d’un nouveau chauffeur, originaire du même village que le SGPR, Minta.
Le choix de James Elong Lobe de se rapprocher du SGPR n’est pas anodin : l’inimitié entre ce dernier et Léopold Maxime Eko Eko n’était un secret pour personne à Yaoundé. Ferdinand Ngoh Ngoh a d’ailleurs tenté à plusieurs reprises de proposer un successeur au patron de la DGRE aujourd’hui inculpé.
L’inculpation de Léopold Maxime Eko Eko s’est traduite par une sourde bataille des services en coulisse, entre police et gendarmerie. La commission mixte créée par Paul Biya pour enquêter sur l’assassinat du journaliste Martinez Zogo était composée à la fois de policiers et de gendarmes. Les premiers suspectent les seconds d’avoir tout fait pour impliquer leur collègue, qui nie toujours les accusations.
Le patron de la police, le délégué général à la sûreté nationale (DGSN), Martin Mbarga Nguelé, soutient encore la thèse de l’innocence de celui qu’il appelle souvent affectueusement son « fils ». Mbarga Nguelé avait jusque-là suivi de loin les travaux de la commission, préoccupé par un deuil familial en France. C’est le 2 mars qu’il a reprit ses fonctions, et convoque à son bureau une réunion des policiers membres de la commission.
Le 3 mars, Mbarga Nguelé envoie son rapport au chef de l’Etat pour tenter de défendre Eko Eko, et contacte le ministre de la défense, Joseph Beti Assomo. Il est donc confiant jusqu’au 4 mars , avant de découvrir, furieux, que Maxime Eko Eko a été envoyé à la prison de Kondengui, à Yaoundé.