Après la mise en examen de 17 personnes dans le cadre de l’affaire de l’assassinat du journaliste camerounais Martinez Zogo, l’identité des présumés commanditaires continue de susciter des interrogations.
Le puzzle a-t-il enfin été reconstitué ? Après un peu plus d’un an d’enquête, le juge d’instruction Pierrot Narcisse Nzié a mis fin à la première étape de la procédure judiciaire ouverte dans l’affaire de l’assassinat de Martinez Zogo, vendredi dernier, en renvoyant au tribunal l’ensemble des 17 personnes inculpées dans ce dossier. Détaillée dans un document de 28 pages, la décision du magistrat militaire a permis à l’opinion de se faire une idée du rôle présumé joué par les différents accusés dans le rapt meurtrier du journaliste, à travers les infractions retenues contre chacun d’entre eux.
Au cœur du dossier, le lieutenant-colonel Justin Danwe a ainsi été mis en examen pour « complicité d’assassinat, complicité d’arrestation et de torture, et violation de consignes ». Tout au long de l’instruction, l’officier supérieur avait en effet reconnu avoir organisé l’opération. Et si ce dernier a précisé « qu’il n’a[vait] jamais été question de donner la mort » à Martinez Zogo, le juge d’instruction, lui, a estimé dans ses conclusions « qu’on ne peut prétendre vouloir infliger une simple correction à un homme d’une fébrilité comme celle de Zogo et utiliser autant de “gros bras” bien entraînés, et du matériel d’une létalité avérée ».
Eko Eko mis en examen
Sept personnes, tous membres du commando ayant été à la manœuvre dans les derniers instants de vie de Martinez Zogo, ont eux aussi été officiellement accusés. Les quatre premiers, à savoir Clément Ebo’o, Dawa Lenoir, Sylvain Bakaiwe et Vincent Godje Oumarou, auteurs du rapt et du passage à tabac de Martinez Zogo, ont été mis en examen pour « violation de consigne et torture ». Ces derniers avaient reconnu les faits qui leur sont reprochés, mais avaient insisté avoir laissé le journaliste « vivant ».
Après des mois d’épilogue autour de l’existence d’un deuxième commando, le juge d’instruction a conclu qu’effectivement, des individus étaient revenus sur le site de torture pour achever le supplicié, faisant d’eux les auteurs directs de la mort de Zogo. Une mort « par strangulation » que confirme le rapport médical dressé en janvier 2023 par le médecin légiste Boukar Ekani. Ces trois autres que sont Nana Tongue, Daouda et Johnson Ngam Lamfu ont donc été mis en examen pour « assassinat », en plus de l’infraction de violation de consignes.
Les auteurs présumés du meurtre de Martinez Zogo ayant été identifiés, qui donc l’a commandité ? Cité dès le début des investigations comme présumé commanditaire de cet assassinat, l’ancien patron de la Direction générale des renseignements extérieurs (DGRE), Léopold Maxime Eko Eko, a plutôt été mis en examen pour « complicité de torture ». Selon la justice militaire, le patron des services de renseignement « n’ayant pu ignorer l’opération contre Martinez Zogo », il n’aurait « pris aucune mesure pour l’empêcher ».
Le juge d’instruction argue notamment que, depuis 2015, la DGRE avait initié un programme de surveillance des journalistes dénommé « Presse », et Martinez Zogo en était une des personnes visées. Toujours selon lui, et malgré les dénégations d’Eko Eko, l’ancien directeur de la DGRE aurait « donné des ordres » pour que le journaliste soit pris pour cible. C’est donc à ce titre qu’il fera face aux juges.
Tout comme Amougou Belinga
Comme lui, l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga – également présumé commanditaire au départ – a été mis en examen pour « complicité de torture ». Belinga avait été mis en cause par le cerveau de l’opération, Justin Danwe, qui avait affirmé avoir reçu de lui la consigne « d’intimider Martinez Zogo qui l’insultait ». Dans l’ordonnance de renvoi, il est signalé que les caméras de surveillance de ses bureaux au sein de l’immeuble Ekang ont permis d’établir que les deux hommes s’étaient rencontrés juste avant et peu après la disparition de l’animateur d’Amplitude FM.
Le juge d’instruction, s’appuyant sur les déclarations de Justin Danwe, et malgré les dénégations d’Amougou Belinga, en a donc déduit que ces visites étaient respectivement pour le « rassurer que tout était prêt pour l’opération » et « pour lui en faire le compte rendu ». Sauf que pour l’heure, ni le patron du groupe l’Anecdote, ni l’ancien patron des services de renseignement, n’ont été directement liés au décès de Martinez Zogo.
Une situation qu’a tenu à relever Maître Charles Tchoungang, conseiller d’Amougou Belinga. « Nous demandons que ce procès soit non seulement public, mais diffusé à la télévision, car les questions que nous avons posées en février 2023 demeurent, a affirmé l’ancien bâtonnier au cours d’un programme diffusé le dimanche 3 mars sur la chaîne de télévision Vision 4. Il faut que les Camerounais regardent, argument contre argument, preuve contre preuve, qui a fait quoi. Car jusqu’à présent, on ne sait toujours pas qui est le commanditaire de l’assassinat de Martinez Zogo. »
La piste Savom
Une quatrième personne s’est retrouvée au centre de l’affaire Martinez Zogo : Stéphane Martin Savom. Dernière personne interpellée dans cette procédure, le maire de la commune de Bibey (région de l’Est) a été mis en examen pour « complicité d’assassinat et complicité de torture ». Au Cameroun, l’infraction de complicité a une double interprétation. Selon l’article 97 du Code pénal, cette notion renvoie à la fois « à celui qui donne des instructions pour commettre une infraction » et à « celui qui facilite la préparation et la consommation » de celle-ci.
Stéphane Martin Savom, seul inculpé pour « complicité d’assassinat » – en-dehors de Justin Danwe – peut-il dès lors être considéré comme le présumé commanditaire du meurtre de Martinez Zogo ? Dans son ordonnance de renvoi, le juge d’instruction indique que les données de géolocalisation ont permis d’établir que Savom et Danwe s’étaient retrouvés au même endroit au même moment le jour de l’enlèvement de Martinez Zogo, mais surtout que l’édile de Bibey aurait fait un retrait d’argent ce même jour, et qu’après l’opération, Justin Danwe aurait effectivement distribué de l’argent aux membres du commando.
Le magistrat militaire cite également un témoin qui aurait révélé que Stéphane Martin Savom et Martinez Zogo entretenaient des « rapports très tendus » en raison de ce que le second « tirait tellement » sur le premier. Stéphane Martin Savom est la dernière personne qu’avait appelé Martinez Zogo. Au cours de l’instruction, il a cependant affirmé « qu’il ne saurait être associé à la mort du journaliste qui lui aurait rendu beaucoup de services quand ses adversaires politiques essayaient de le renverser ». Cela n’a pas convaincu la justice, qui l’a renvoyé au tribunal pour le procès.
Cinq autres personnes ont également été mises en examen dans l’affaire Martinez Zogo. On retrouve Martial Théodore Nzockmenping, le soldat qui assurait le guet au cours de l’opération, accusé de complicité de torture et violation de consigne, Étienne Jacques Engwelle Ngwelle, le propriétaire de la voiture de location utilisée lors du rapt, accusé de complicité de torture, et Bruno Bidjang, journaliste du groupe l’Anecdote, lui aussi accusé de complicité de torture. Les deux derniers accusés de l’affaire sont les agents du département de la géolocalisation de la DGRE qui avaient communiqué les données GPS de Martinez Zogo à Justin Danwe.