La vente de 10 % de Cameroon Oil Transportation Co (Cotco) par Savannah Energy à la Société nationale des hydrocarbures (SNH) attise les rivalités politiques entre hauts dignitaires à Yaoundé. Outre les tensions occasionnées avec le Tchad, elle met en exergue le différend entre le secrétaire général de la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh et le directeur général de la SNH Adolphe Moudiki.

Le point d’orgue de leur mésentente s’est produit le 20 avril lors de la cérémonie de cession organisée au siège de la SNH, à laquelle Mr Ferdinand Ngoh Ngoh n’avait pas été convié, alors même qu’il est le président du conseil d’administration de la société pétrolière d’Etat.

Quelques jours après, le 25 avril, lors du conseil d’administration de Cotco à Paris, Mr. Ferdinand Ngoh Ngoh avait transmis un courrier estampillé « très urgent » à Mr. Adolphe Moudiki par l’entremise de l’ambassadeur camerounais en France André-Magnus Ekoumou. Dans la missive, le secrétaire général de la présidence demandait au directeur général de la SNH

« de s’abstenir de tout acte venant à confirmer ladite cession d’actifs ou de prendre tout engagement aux côtés de ladite société Savannah Energy. En attendant les très hautes instructions définitives du chef de l’Etat sur ce dossier ».

Le Tchad avait, quelques jours auparavant, rappelé son ambassadeur pour consultation, afin de signifier son mécontentement.

Mr. Adolphe Moudiki n’en a pas tenu compte. Les deux administrateurs camerounais au sein de Cotco Igor Soya et Judith Menquelé ont voté en faveur de toutes les résolutions proposées par Savannah Energy, représenté pour l’occasion à Paris par Yacine Wafy, Joseph Pagop Noupoué, Antoine Richard et Roger Schaefer.

Les deux hommes ne comptent pas en rester là. Dans un courrier daté du 27 avril adressé au ministre du commerce Mr. Luc Magloire Mbarga Atangana, avec en copie avec celle Mr. Ferdinand Ngoh Ngoh, ou Mr. Adolphe Moudiki s’opposait fermement à la transaction des champs de Doba au Tchad et de l’oléoduc d’exportation entre la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) et Petronas. Mr. Adolphe Moudiki s’insurgeait dans le document contre l’opinion favorable donnée à cette cession.

La veille, le ministre camerounais du commerce Luc Magloire Mbarga Atangana l’avait délivrée par courrier aux autorités de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Il y donnait l’accord du Cameroun sur le rachat des parts de Petronas par la SHT aux autorités antitrust de la CEMAC, après des instructions de Mr. Ferdinand Ngoh Ngoh. Si cette transaction aboutissait, elle permettrait au Tchad de détenir 55% de Cotco.

Pourtant, le 20 mars, le ministre du commerce avait donné à Mr. Paul Biya son avis sur cette transaction dans une note. Le haut fonctionnaire, en poste depuis 2004 et issu de la même région que le président, avait fait savoir son opposition à l’acquisition par le Tchad de plus de la majorité des actions d’une infrastructure sur son territoire.

Le 23 mars 2023, le Tchad a nationalisé les parts que Savannah Energy a acquises auprès d’ExxonMobil en décembre 2022 (40% des gisements de Doba et de l’oléoduc entre Doba et la frontière avec le Cameroun à travers la société Totco). Alors que Savannah Energy avait aussi prévu de racheter les parts de Petronas sur ce territoire, la SHT s’y était opposée. Elle avait fait valoir son droit de préemption. Jusqu’à maintenant, l’Etat tchadien n’a pas trouvé les fonds nécessaires.

Afin de normaliser ses relations avec le Tchad et de réitérer le soutien du Cameroun dans le rachat de Petronas, Mr. Ferdinand Ngoh Ngoh s’est rendu à N’Djamena le 26 avril pour rencontrer le président Mahamat Idriss Déby, 

Mr. Adolphe Moudiki est l’un des très rares cadres de l’Etat camerounais à jouir d’un canal direct avec le président. Il n’accepte de prendre les ordres d’aucun autre ministre ou officiel, y compris de Mr. Ferdinand Ngoh Ngoh. Ce dernier n’a jamais réussi, même en étant secrétaire général de la présidence, à nommer le moindre cadre dans la firme d’Etat.

A la tête de la SNH depuis 1993, après avoir été successivement ministre du travail, directeur du cabinet civil à la présidence du Cameroun et ministre de la justice, Mr. Adolphe Moudiki connaît le président  Mr. Paul Biya depuis plus de cinquante ans. S’il n’a jamais fait de politique active, il est le véritable grand argentier du pays, la SNH étant la machine à cash du Cameroun.

Après des études en France, Mr. Paul Biya à Sciences-Po Paris et Mr. Adolphe Moudiki à Bordeaux, les deux hommes avaient rapidement gravi ensemble les échelons de la haute fonction publique dans les premières années d’indépendance avant que Mr. Paul Biya devienne président en 1982.