En mettant à l’écart le juge d’instruction Sikati II Kamwo, le pouvoir semble avoir repris la main sur le cours de l’enquête. Faut-il pour autant craindre pour la manifestation de la vérité ?
Au tribunal militaire de Yaoundé, une page s’est définitivement tournée le 18 décembre 2023. Trois actes pris ce jour-là ont irrévocablement scellé le sort du juge d’instruction chargé de l’affaire Martinez Zogo, Sikati II Kamwo. Ce dernier était sur la sellette depuis l’imbroglio autour d’une possible libération des suspects Léopold Maxime Eko Eko et Jean-Pierre Amougou Belinga. Son sort est désormais scellé.
C’est par un courrier adressé au président du tribunal, le colonel Jacques Baudoin Misse Njone, que le commissaire du gouvernement, Cerlin Belinga, a demandé que le magistrat soit dessaisi de l’affaire Martinez Zogo. Épilogue attendu après la nomination, cinq jours plus tôt, du lieutenant-colonel Pierrot Narcisse Nzié comme nouveau juge d’instruction auprès du tribunal militaire de Yaoundé.
Nouvelle ère
Pierrot Narcisse Nzié ouvre donc une nouvelle ère dans l’affaire Martinez Zogo. Un changement qu’il a tenu à marquer en notifiant directement aux inculpés – extraits de leur cellule pour l’occasion – les modifications opérées au sein de la juridiction. Également remplacé : Jean Didier Nkoa, le greffier qui avait notifié aux avocats de Maxime Eko Eko et d’Amougou Belinga leur libération. Valdère Nkoto lui succède à ce poste.
Au tribunal militaire, une litanie de griefs a été évoquée pour justifier le tourbillon qui a emporté Sikati II Kamwo et son greffier. Le courrier du commissaire du gouvernement cite la nécessaire optimisation du temps de la justice, l’indispensable sérénité à maintenir autour du processus ou encore la perte de confiance à la suite de la vraie-fausse libération de deux des inculpés.
Controverse
Pour ne rien arranger, selon Cerlin Belinga, le courrier du juge déclarant inauthentique l’ordonnance de libération a ensuite créé « une brouille qui a suscité des réactions controversées de la part de certains inculpés » et a menacé « d’entraver le cours de l’instruction ».
Si, aujourd’hui, les témoignages des avocats et de différents témoins permettent d’établir son authenticité, plusieurs questions restent sans réponses. Comment ce juge rodé par des années de service a-t-il pu décider de libérer un inculpé en s’appuyant uniquement sur les déclarations d’un autre, sans jamais prendre d’ordonnance de non-lieu ? Comment a-t-il pu remettre des documents aussi importants aux avocats sans que les intéressés ne soient présents, comme le veut l’usage en la matière ?
L’hypothèse du complot
À Yaoundé, l’hypothèse selon laquelle le juge Sikati II Kamwo était l’une des pièces d’un vaste complot ourdi par ses bénéficiaires (en l’occurrence l’homme d’affaire Amougou Belinga et l’ex-patron de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), Leopold Maxime Eko Eko) pour échapper aux griffes de la justice, a donc circulé, mais n’a jamais été étayée. Dans l’entourage du juge Kamwo, on continue d’évoquer une décision souveraine prise à la vue des éléments de l’enquête à sa disposition.
En coulisses, ces sources affirment que le magistrat a tenté de s’affranchir d’une tutelle qui, de fait, exerce un poids non négligeable sur l’enquête – à les en croire, ce serait là la principale cause de sa chute. Est-ce pour cela qu’il n’avait informé ni le président du tribunal, Jacques Baudoin Misse Njone, ni le ministre de la Défense, Joseph Beti Assomo ? Ils n’ont découvert l’ordonnance de libération que lorsque l’opinion publique s’en est fait l’écho.
« Les mains libres »
En mars dernier, Sikati II Kamwo avait été reçu par Joseph Beti Assomo peu après sa désignation comme juge d’instruction – c’est lui qui lui avait confié les clés de l’enquête Martinez Zogo. Une sorte de carte blanche, avait-il voulu croire, affirmant aux représentants de la famille du journaliste assassiné qu’il avait « les mains libres » pour faire toute la lumière sur les circonstances de son décès.
Les autorités militaires entendent-elles reprendre la main sur la juridiction et sur l’enquête ? Le 11 décembre dernier, le président du tribunal militaire de Yaoundé a répété, dans une note adressée aux vice-présidents et aux juges d’instruction de sa juridiction, qu’il fallait qu’ils déposent systématiquement à son cabinet « toute décision de mise en liberté », ainsi que « les ordonnances de non-lieu […] et les jugements d’acquittement ».
« Le véritable patron du tribunal militaire, c’est le chef des forces armées, résume un juriste. Le président du tribunal se réfère au ministre délégué à la Défense, qui lui-même répond au chef des armées, autrement dit au président de la République, Paul Biya. »
« [La mise à l’écart du juge d’instruction] est une appropriation de la juridiction, une dérive anticonstitutionnelle, a dénoncé à contrario Me Hyppolyte Meli Tiakouang, avocat au barreau du Cameroun. Les lois sont donc entre parenthèses au Cameroun. Les décisions sont désormais rendues et exécutées aux caprices du chef de juridiction et non au nom du peuple. »
Nouveau suspect
En parallèle à ces rebondissements, l’affaire a pris un autre tournant avec l’évocation d’un deuxième commando. C’est cette piste qui aurait conduit Sikati II Kamwo à s’intéresser à Stéphane Martin Savom, un magistrat municipal dont le nom n’était jamais apparu jusque-là.
Convoqué à plusieurs reprises par le juge sortant, Stéphane Martin Savom a plusieurs fois refusé de se présenter. Le tribunal avait estimé qu’il tentait de se soustraire à la justice. Le nouveau juge d’instruction a donc décidé de le placer en détention provisoire.