Alors que le Cameroun a fait le pari des taux multiples pour mobiliser 150 milliards de francs CFA, le Gabon a misé, lui, pour le même montant, sur un coupon unique.
Louis Paul Motaze a opté pour la sobriété. En dehors du lancement de l’emprunt obligataire de l’État camerounais, dénommé « ECMR 2023 à tranches multiples », le 14 juin, à Yaoundé, le ministre des Finances a réduit le roadshow au minimum syndical. Exclues les étapes de Libreville et de Brazzaville, à la différence de l’année écoulée, qui marquait le retour du pays d’Afrique centrale sur le marché financier régional, après quatre années d’éclipse. Sauf modification de calendrier, l’argentier ne se déplacera qu’à Douala, le 27 juin, pour convaincre les investisseurs.
Un changement d’attitude qui résulte d’un processus laborieux pour arrêter les contours de l’opération en cours de souscription, jusqu’à la fin de ce mois. L’émetteur a d’abord revu ses prétentions à la baisse. Il souhaitait initialement 250 milliards de francs CFA (380 millions d’euros), puis s’est contenté de demander 220 milliards. Un montant encore hors de portée des investisseurs.
Allonger les délais
La première alerte survient le 13 avril, la veille de la clôture des soumissions de propositions pour l’arrangement et le placement des titres. L’Association des sociétés de bourse d’Afrique centrale (Asbac) prie alors Louis Paul Motaze d’allonger le délai de dix jours, pour permettre à ses membres de « boucler les processus de confirmation des prises fermes à collecter auprès des investisseurs de leurs réseaux ». Mais le montant est encore jugé trop élevé.
« Le Cameroun a eu du mal avec les prises fermes parce qu’il proposait des taux bas. Cet émetteur avait jusqu’à présent connu du succès sur la base de sa notation, qui est meilleure que celle des autres pays. Or, avec le mécanisme de remboursement garanti par la banque centrale, l’investisseur ne regarde plus la notation, mais la rentabilité », glisse le patron d’une société de bourse.
Émissions infructueuses
De fait, les négociations se déroulent dans un contexte où les ressources se raréfient. Pour combattre l’inflation et limiter les importations qui affectent le niveau des réserves de change, la banque centrale réduit les excédents de liquidité des banques. Alors qu’elle injectait encore, au début de l’année, 250 milliards de francs CFA par semaine dans les établissements de crédit, la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) a ponctionné 408 milliards de francs CFA sur le marché monétaire depuis février. Une orientation ayant déteint sur le marché des titres publics (bons et obligations du trésor), où plusieurs États, dont le Cameroun, ont essuyé des émissions infructueuses.
Le montant est donc ramené à 150 milliards de francs CFA. Une autre négociation, âpre, débute alors sur le coupon avec le consortium arrangeur constitué de Société générale Capital Securities Central Africa, Upline Securities Central Africa (USCA, groupe BCP), Afriland Bourse, Financia Capital et Attijari Securities Central Africa (ASCA, groupe Attijariwafa Bank). Elle mettra pratiquement un mois pour déboucher sur un dénouement autour du 25 mai. « Certains membres du consortium n’ont pas obtenu les approbations au niveau de leur groupe pour constituer des prises fermes pour un taux unique. Il a fallu que l’État du Cameroun reconsidère sa position pour être certain de rassembler ce qu’il lui fallait, puisqu’il avait déjà validé le collectif budgétaire », pointe un analyste financier.
Des taux et des maturités différentes
Sous l’impulsion de Société générale, la proposition d’une opération en quatre tranches, avec des taux et des maturités différentes, sera arrêtée, une première sur le marché régional. Les tranches A et B de 40 milliards de francs CFA chacune, pour des coupons respectifs de 5,80 % et 6 % et des maturités de trois et quatre ans. La C se négocie à 6,75 % pour un montant de 50 milliards de francs CFA et une durée de six ans, tandis que la D, à 20 milliards va générer 7,25 % pour une maturité de huit ans. « Une telle structuration permet d’élargir la base des souscripteurs potentiels.
Les maturités longues sont susceptibles d’intéresser les investisseurs institutionnels comme les caisses de retraite, les compagnies d’assurance et les gestionnaires d’actifs. Les banques se rabattent sur les maturités courtes, pour rester en conformité avec les ratios prudentiels que surveille la Commission bancaire de l’Afrique centrale », soutient un gestionnaire d’actifs.
Limiter la casse
Avec un taux moyen à 6,36 % – bien que supérieur au coupon de l’année dernière à 6,25 % –, le Cameroun limite la casse par rapport à la rémunération qui lui était initialement proposée sur huit ans, au même montant. Et la prise a finalement dépassé le seuil de 100 milliards de francs CFA grâce au coup de pouce d’Afriland First bank.
Alors qu’il vise à obtenir la même somme que son voisin, le Gabon a plutôt opté pour un taux unique (6,25 %) sur cinq ans. L’opération « EOG 6,25 % NET 2023-2028 » n’est que la reproduction de celle de l’année dernière dans sa structuration : une partie de l’enveloppe servira au financement des projets contenus dans le Plan d’accélération de la transformation (PAT) et l’autre à la titrisation d’une tranche de la dette intérieure.
« Alors que les ressources collectées par le Cameroun sont exclusivement destinées aux projets, le Gabon fait essentiellement du refinancement de l’économie. Il lève les fonds pour payer les dettes commerciales en souffrance, moyennant une décote qui lui permet de supporter le coût de l’opération. Leur maturité est donc guidée par la capacité mensuelle de remboursement du Trésor », expose notre analyste.
Nicole Jeanine Roboty Mbou, la ministre gabonaise de l’Économie et de la relance a choisi de se donner une période de souscription assez longue, deux mois et demi, en dépit d’une prise ferme de plus de 100 milliards de francs CFA. Libreville, qui va bientôt lancer les hostilités, espère que les remboursements en cours de ses opérations antérieures permettront aux investisseurs de miser de nouveau sur le risque Gabon.