Signée le 5 avril dernier par les présidents d’E.cam, Protais Ayangma, et du Gicam, Célestin Tawamba, la fusion entre les deux organisations patronales du Cameroun ne fait pas que des heureux. Un mystérieux groupe tente de mobiliser contre cette réforme, présentée comme une manœuvre électoraliste de Tawamba pour se maintenir à ce poste stratégique.
« [Célestin Tawamba] prétend qu’il veut rassembler le patronat, alors qu’en réalité, il veut créer une situation qui puisse lui permettre d’être président d’une nouvelle organisation patronale. Parce qu’au Gicam, il est contraint par la règle de la limitation du nombre des mandats »
prétend un document anonyme partagé sur les forums de messagerie instantanée. Visé par la missive : Célestin Tawamba, le président élu en 2017 à la tête du mouvement. Il est le fondateur de Cadyst Group, un conglomérat pesant 1 200 salariés pour 100 milliards de F CFA de chiffre d’affaires annuel, comportant deux entités spécialisées dans l’agroalimentaire (La Pasta et Panzani) et Cinpharm, un laboratoire conçu pour la fabrication de médicaments génériques.
Sitôt élu, il avait réduit la durée du mandat de cinq à trois ans, renouvelable une fois, et procédé à toutes sortes de réformes. Son deuxième mandat arrivant à expiration en décembre prochain, le fauteuil de président devrait théoriquement être remis en jeu, lors d’une élection à laquelle le président sortant ne devrait pas se représenter.
Si Tawamba n’a pas encore déclaré sa candidature, la fusion du Gicam avec E.cam et la perspective de la création d’une nouvelle entité, dotée de nouveaux statuts et d’une remise à zéro des mandats, pousse les prétendants au poste à dénoncer l’éventualité d’une nouvelle candidature du président sortant.
La fronde a un visage peu connu du microcosme des affaires, celui d’Emmanuel Wafo, patron de MIT Chimie, une entreprise familiale dont il a hérité, employant 51 salariés et spécialisée dans la fabrication d’emballages plastiques. Dans une tribune intitulée « Non à la mise à mort du Gicam », publiée le 24 avril dernier, Wafo dénonce le projet de fusion tout en reconnaissant que « (…) par essence, le regroupement des organisations, notamment patronales, est souhaitable dans un environnement où la dispersion des forces et des énergies est un facteur d’affaiblissement. »
Mais, dans le même élan, il dénonce une violation des statuts du Gicam :
« La fusion, d’après ses initiateurs, entraîne la modification des statuts du Gicam. Or, d’après l’article 12 des dits statuts, seule l’assemblée générale extraordinaire a compétence pour connaître de la modification des statuts. Or aucune assemblée générale ne s’est réunie à ce jour pour débattre de ce projet qui semble acté. Plus grave encore, toute la cuisine se serait faite au niveau du conseil d’administration du Gicam ; or ce conseil d’administration a des attributions clairement définies à l’article 14 alinéa 4 des statuts du Gicam. Il n’a aucune compétence en ce qui concerne la modification des statuts ».
Interrogé sur ce point, Célestin Tawamba s’abstient de tout commentaire. Néanmoins, un avocat proche du dossier répond : « Selon l’article 14 des statuts du Gicam, la conseil d’administration est l’organe qui définit la politique générale du groupement. La décision d’initier un processus de fusion fait partie de ses prérogatives. S’agissant des attributions de l’assemblée générale traitées dans l’article 12, elles n’ont pas du tout été ignorées. Il est écrit noir sur blanc dans le traité que la fusion prendra effet si et seulement si elle est ratifiée par l’assemblée générale attendue dans les prochaines semaines. »
D’après nos informations, la dissidence qui se profile bénéficierait du soutien d’André Siaka, directeur général de 1988 à 2013 de SABC, une filiale camerounaise du groupe Castel, qui fut dans le même temps président du Gicam de 1993 à 2008. Cette année-là, une partie des adhérents du Gicam entre en dissidence et quitte le mouvement à la suite de l’élection contestée d’Olivier Behle, soutenu par d’André Siaka. Plusieurs dirigeants d’entreprise, dont Protais Ayangma, Perrial Nyodog et Célestin Tawamba, claquent la porte de la centrale pour créer E.cam, un mouvement davantage tourné vers les PME et les TPE.
En 2017, Tawamba revient au Gicam en succédant au Français Armel François, qui assurait l’intérim de la présidence, depuis le décès d’André Fotso, survenu en août 2016. Jusqu’à présent, en dépit du projet de réélection que ses adversaires lui prêtent, Tawamba n’a encore rien dévoilé de ses intentions.
À l’issue du processus de fusion en cours, une nouvelle structure sera effective au 1er janvier 2024, après une période transitoire de six mois. Avant la fusion, le Gicam comptait plus de 1 000 adhérents, dont 27 associations professionnelles. Au 31 décembre 2021, il cumulait, à lui seul, un chiffre d’affaires de 8 434 milliards de F CFA. Le groupement recensait plus de 180 000 employés, tandis que ses entreprises affilées représentaient en 2020 une masse salariale de 895 milliards de F CFA. En 2020, ces dernières se sont acquittées auprès de l’État, d’un volume de taxes et impôts équivalent à 1 525 milliards de F CFA, soit près des trois-quart des recettes fiscales de l’État, et 40 % du budget national.
La fusion avec E.cam devrait accroître son poids dans l’économie, d’autant que cette dernière compte environ 400 adhérents constitués essentiellement de PME et TPE. Qui en sera le président ? L’élection est prévue fin de 2023.