Le ministre de la Justice a pris le risque de se lier d’amitié avec l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga, soupçonné d’avoir commandité l’enlèvement de Martinez Zogo. le chef de l’état Paul Biya va-t-il lâcher ce fidèle qui depuis est dans les haut fonction de l’etat?
Plus de trois mois après la découverte du corps sans vie de Martinez Zogo, Laurent Esso n’est pas sorti de son mutisme. Le ministre de la justice, le numéro deux du gouvernement, il a été cité par le lieutenant-colonel Justin Danwe, le chef du commando qui a kidnappé le 17 janvier 2023 le journaliste d’Amplitude FM à l’instigation de l’homme d’affaires Amougou Belinga.
La voix au téléphone qui a enjoint le commando de « finir le travail » était elle celle du ministre de la justice Laurant esso? Cette question, comme de nombreuses autres, reste sans réponse. Et pour cause : toutes les autres personnes citées par les suspects ont été entendues. À l’exception du ministre de la Justice.
Ce magistrat, formé à l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), ne parle pas aux enquêteurs, et encore moins à la presse. Son attitude suscite des remous, surtout parmi les professions judiciaires.
« C’est très grave ce que nous, acteurs de la justice, apprenons dans les médias. Nous qui, en tous temps, vous faisons confiance, sommes profondément ennuyés par votre silence et inaction publique face aux révélations publiées par la presse internationale, Votre serment de magistrat continue à vous lier malgré les fonctions politiques que vous occupez et qui imposent une réserve. Mais le secret disparaît face aux accusations pénales publiques graves », l’a interpellé Me Hippolyte Meli Tiakouang, une figure du barreau, dans une récente lettre ouverte .Mais cette lettre n’a pas reçu de réponse. Quant à l’enquête, elle piétine.
Interrogé par le chef de l’état Paul Biya
Selon nos informations, le ministre de la Justice a dû s’expliquer devant le président Paul Biya, qui aurait exigé qu’il lui dise la vérité sur cette affaire. Le chef de l’État a-t-il été convaincu par les dénégations de l’ex secrétaire général de la présidence ? Pour nous(oui), à première vue, puisque le mis en cause a été maintenu au gouvernement. Sauf que c’est vite oublier la personnalité complexe du président de la république, notamment sa capacité à différer la résolution d’un problème pressant. Il peut ne rien faire pendant des mois, voire des années. Puis, soudainement, il fait licencier et faire incarcérer l’objet de son courroux.
Nous pouvons dire, ce scénario Laurant Esso ne le connaît trop bien. Des dizaines d’hommes politiques et de hauts fonctionnaires ont goûté cette chute aussi brutale que vertigineuse avant lui. deux fois ministre de la Justice (de 1996 à 2000, puis depuis décembre 2011 à aujourd’hui), il a été pendant des années l’orchestrateur de la descente aux enfers de personnalités reléguées.
Quoique le garde des Sceaux fasse pour échapper à l’humiliation d’un interrogatoire, il ne s’adressera pas à des juges d’instruction qui sont sous son autorité. Mais l’affaire est confiée au tribunal militaire, une juridiction échappant à son pouvoir. La justice militaire est compétente pour toute infraction commise à l’aide d’une arme à feu ou impliquant un militaire.
Lien d’amitié entre Jean-Pierre Amougou Belinga et Laurant Esso
Cela tombe bien, car il y aurait eu conflit d’intérêt tant le lien d’amitié qui unit Jean-Pierre Amougou Belinga au ministre de la Justice est notoire. Dans l’un des audios qui ont défrayé la chronique en 2021, on entendait l’homme d’affaires tancer le commissaire divisionnaire Dominique Baya, le secrétaire général de la police nationale :
« Quand tu me demandes de régler tel ou tel problème au ministère de la Justice, est-ce que j’ai exigé une contrepartie ? »
Dans la suite de cet enregistrement, on apprendra aussi qu’Amougou Belinga a fait muter certains employés du ministère de la Justice à la demande du policier. L’aveu atteste de la proximité entre Laurent Esso et Jean-Pierre Amougou Belinga. Ainsi fut élucidé le mystère de l’exceptionnelle célérité dans le traitement des plaintes déposées par l’ami du ministre alors que le temps d’attente est long pour les justiciables ordinaires. Sûr de son influence sur les magistrats, Amougou Belinga théâtralisait les arrestations de journalistes de son groupe de presse, l’embastillement des inspecteurs des impôts venus à son bureau recouvrer une dette fiscale… Il jetait en prison pour plusieurs semaines bien d’autres personnes qui avaient le malheur de lui déplaire.
Laurent Esso ne veut pas parler aux enquêteurs qui, eux, n’osent pas non plus user de tous les moyens légaux pour obtenir sa déposition. C’est pourtant lui qui a autorisé, en octobre 2022, le parquet du tribunal criminel spécial à émettre un mandat d’amener à l’encontre de Ferdinand Ngoh Ngoh, son successeur au secrétariat général de la présidence. Lequel a refusé de se présenter devant les magistrats, contrairement au Premier ministre Joseph Dion Ngute qui, lui, a accepté de se faire interroger à sa résidence dans le cadre de l’enquête sur la gestion des fonds Covid. La guerre que se livrent les clans au pouvoir s’est déportée dans les arcanes judiciaires où l’égalité devant la loi est un mythe.
Parfait connaisseur du système depuis 1988
C’est en 1988 que le chef de l’état Paul Biya avait fait appelle à Laurant Esso comme secrétaire général adjoint de la présidence. Depuis lors, il n’a plus quitté les hautes fonctions de l’État. C’est donc un visage familier de la vie politique, même si peu de Camerounais pourraient prétendre connaître cet homme peu expansif. Il a toujours évité les projecteurs et prend soin de faire parler d’autres à sa place. Ainsi, pour tenir son fief politique à Douala, il s’appuie sur Gaby Kondo, un de ses lieutenants.
À n’en pas douter, Laurant Esso doit sa longévité au fonction de l’état grâce à sa bonne connaissance d’un système impitoyable dont il est devenu l’un des piliers. Contrairement à ses concurrents Marafa Hamidou Yaya et Jean-Marie Atangana Mebara, emprisonnés depuis une dizaine d’années, Le ministre de la justice a mieux cerné le caractère les coulis du pouvoir. Pour garder les faveurs du chef de l’état, il a toujours mis en avant et en scène une fidélité et une loyauté sans faille.
Selon un témoin, lors d’un séjour présidentiel à Genève, le ministre de la justice, alors directeur du cabinet civil du président (1989 à 1996), accueille le chef de l’État dans une salle de l’hôtel Intercontinental. En saluant les personnes présentes, le présidant de la république murmure une blague qui fait rire une partie de l’assistance. Un ministre, qui n’avait pas entendu le bon mot, s’enquiert de ce qui avait fait rire le petit groupe. Réponse de Laurant Esso : « Depuis quand je répète les propos du président ? »
Immixtion dans les affaires judiciaires
Sous anonymat, un magistrat le décrit en homme « froid et méchant ». Cette réputation peu flatteuse le poursuit jusque dans les prisons camerounaises, où plusieurs hommes politiques embastillés lui attribuent directement la responsabilité de leurs malheurs. Il tient les parquetiers d’une main de fer. Mais aussi les juges des cours et tribunaux dont la carrière dépend du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). C’est cette instance qui décide des mutations des magistrats, de leurs promotions et des passages de grade sur des critères totalement aléatoires.
Plusieurs justiciables ont dénoncé sans preuves de graves immixtions de la chancellerie dans l’énoncé des décisions de justice. À les croire, certaines affaires sensibles sont tranchées en dehors des tribunaux, les décisions rédigées au ministère et lues in extenso par les juges du siège. le ministre de la justice, lui, ne fait rien pour démentir ses détracteurs. Pire, il conforte cette légende noire. Ainsi a-t-il été capable d’éconduire sans prendre de gants un ex-haut responsable de l’appareil sécuritaire, qui avait demandé à le voir pour plaider la relaxe de sa fille, fonctionnaire au ministère des Finances, en détention provisoire dans une procédure au long cours. « Qu’est-ce qu’un père ne ferait pas pour sa fille », lui a répondu le garde des Sceaux.
Les avocats et la presse dans le viseur
Au Cameroun, les magistrats n’ont pas le droit de se syndiquer. La moindre velléité d’indépendance est réprimée. Les avocats ne sont pas mieux considérés. La crise anglophone a commencé par une grève des avocats. Ceux-ci avaient essayé de le rencontrer. Il n’a pas voulu. Et lorsqu’ils sont descendus dans la rue, la manifestation a été chargée par les gendarmes. On connaît la suite.
La presse n’a pas davantage ses faveurs. Quelques mois après le lancement de Kalara, un hebdomadaire spécialisé dans la couverture de l’actualité judiciaire, le ministre de la Justice a convoqué l’initiateur du projet, le journaliste Christophe Bobiokono, pour lui demander d’y renoncer. Refus du journaliste, qui est parvenu à développer l’hebdomadaire malgré l’hostilité ambiante. Le 20 décembre 2019, Christophe Bobiokono et deux journalistes de Kalara ont été condamnés à deux ans de prison avec sursis, assortis de lourdes peines pécuniaires (10 millions de francs CFA de dommages et intérêts et 2,5 millions d’amende). S’opposer ministre de la Justice n’est pas sans risque. Mais lui aussi en a pris en liant son destin à celui d’Amougou Belinga. Laurant Esso a trébuché. Va-t-il tomber ?