L’homme d’affaires camerounais, inculpé pour « complicité de torture » dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de l’animateur radio, risque l’emprisonnement à vie. Bien décidé à démontrer son innocence, il tente de se disculper par tous les moyens. Pour le moment sans succès.
Des chants religieux déchirent le calme de Nkol Kondi, quartier résidentiel de la périphérie de Yaoundé. Le 22 avril, voilà trois mois jour pour jour que le corps mutilé de Martinez Zogo a été découvert à Ebogo 3, dans la banlieue de la capitale camerounaise. Prières et louanges rythment la petite cérémonie commémorative qui se déroule dans l’appartement qu’occupait le journaliste. Des membres de sa famille sont présents, quelques amis aussi.
L’ambiance au domicile de Zogo contraste avec celle qui règne à la prison principale de Kondengui, à quelques kilomètres de là. C’est ici, dans des salles jouxtant l’infirmerie du pénitencier, qu’ont été aménagées les cellules où logent Jean-Pierre Amougou Belinga et Maxime Eko Eko, les deux principaux suspects inculpés dans l’affaire de l’assassinat de l’animateur d’Amplitude FM.
Loin des recueillements, Kondengui vit, le 22 avril, une journée ordinaire. Comme d’habitude depuis sa mise en détention provisoire, le 31 janvier, Eko Eko, le patron de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), a passé la journée plongé dans les livres. Un exercice qui ne s’est interrompu qu’avec la visite de certains proches. De son côté, Jean-Pierre Amougou Belinga a lui aussi reçu des visiteurs. Outre ses proches, les avocats du patron du groupe L’Anecdote ont également fait le déplacement à Kondengui pour une séance de travail avec leur client.
Depuis son inculpation, ils ont engagé deux procédures distinctes auprès des tribunaux et il n’est pas exclu qu’une troisième soit initiée dans les prochains jours. La première visait à obtenir la libération provisoire d’Amougou Belinga afin qu’il puisse comparaître libre. Devant le juge, l’homme d’affaires et ses conseils ont ainsi évoqué la nécessité pour lui de suivre ses activités, notamment le lancement imminent d’une entreprise de distribution de produits pétroliers. Examinée le 27 avril par la cour d’appel du Centre, cette requête n’a pas recueilli l’assentiment du juge Gilbert Schlick. Ce dernier a estimé qu’elle était illégale, car l’article 224 du code de procédure pénale interdit la remise en liberté sous caution lorsque les accusés encourent la peine de mort ou l’emprisonnement à vie.
Amougou Belinga et ses avocats avaient également demandé au juge de la cour d’appel de statuer sur la mise à disposition du dossier de procédure. En effet, depuis l’inculpation de leurs clients, les avocats des différentes parties n’ont pas eu accès à une copie du dossier, comme c’est la tradition dans les prétoires camerounais. « Cela est indispensable à la préparation de la défense », avaient estimé les conseils de Amougou Belinga dans leur correspondance au commissaire du gouvernement. Ce à quoi ce dernier avait répondu que « l’information judiciaire, tout comme l’enquête préliminaire, est secrète ». Et d’évoquer « le risque de fragiliser le sceau de la confidentialité dont est frappée la procédure en cours ». Rendue à la cour d’appel également, l’affaire a été renvoyée au 11 mai prochain, date à laquelle sera rendu le verdict.
Pour Amougou Belinga, tous les moyens sont bons pour clamer son innocence. Si jamais il est reconnu coupable dans l’assassinat de Martinez Zogo, le présidant du groupe Anecdote encourt une privation définitive de liberté, ce qui plomberait indubitablement ses affaires. En plus de son consortium d’avocats et de ses médias, ses soutiens n’ont donc de cesse de dénoncer des vices de procédure, autant d’éléments qui confirment, selon eux, « le complot » ourdi contre leur protégé.
Dans cette bataille d’opinion, des doutes ont notamment été portés par plusieurs médias acquis à sa cause sur l’identité de la dépouille retrouvée en état de décomposition à Ebogo 3, bien que la famille l’ait formellement identifiée comme étant celle de l’animateur radio. L’offensive tous azimuts des pro Belinga s’est poursuivie dans les couloirs du tribunal, où l’un de ses avocats a eu une violente altercation avec les conseils de Zogo, le 27 avril.
Ces dernières semaines, la lenteur de la procédure suscite beaucoup de questions. En cause : l’indisponibilité du juge d’instruction Prosper Oyono Ebessa, initialement désigné pour poursuivre l’information judiciaire de l’affaire Martinez Zogo au tribunal militaire. Ce juge civil, également en service dans les tribunaux de première et grande instance d’Akonolinga, du Nyong et de Mfoumou, n’a en effet pu poser aucun acte d’instruction en près de deux mois dans cette affaire en raison de son éloignement de Yaoundé.
Ce ralentissement n’a pas manqué d’alerter l’opinion, notamment des figures qui, depuis la disparition de Martinez Zogo, réclament la vérité sur les circonstances de son assassinat. L’artiste Valsero, l’un des porte-voix de ce mouvement, fait partie de ceux qui pointent la lenteur de l’enquête dans cette affaire Martinez Zogo. « On a l’impression que la machine judiciaire est bloquée. Le temps de la justice ne devrait pas être aussi long », affirma-t-il récemment dans une interview.
Une inquiétude visiblement partagée par le tribunal militaire, qui a finalement confié l’instruction au lieutenant-colonel magistrat Sikati Kamwo, à la place d’Oyono Ebessa. Cette désignation devrait donner un coup d’accélérateur à une procédure qui marque le pas et permettre à Amougou Belinga d’être fixé sur son sort. Deux options restent envisageables pour le chef d’entreprise : une comparution au cours d’un procès ou la relaxe pure et simple.