La convocation au SED de quatre visages connus de la scène médiatique a remis en lumière l’affaire Martinez Zogo. Jusqu’ici au point mort, l’enquête pourrait s’accélérer.
La notification à se présenter au Service central des recherches judiciaires (SCRJ) ne détaillait pas les raisons de sa convocation. Lorsque Jean Bruno Tagne est informé en début d’après-midi, le lundi 22 mai 2023, qu’il doit se présenter dans les locaux du secrétariat d’État à la Défense chargée de la gendarmerie (SED), seul motif de « diffamation en complicité » est évoqué. L’heure de son audition, prévue le même jour à 10 heures, étant dépassée, l’audition n’aura finalement pas lieu. « Une nouvelle date est en train d’être trouvée, de concert avec mes avocats », a-t-il indiqué à une présse, par téléphone, mercredi 24 mai 2023.
Figure du petit écran camerounais, Jean Bruno Tagne n’est cependant pas le seul à susciter l’intérêt du lieutenant-colonel Dieudonné Bialo, patron du SCRJ. Comme lui, trois autres personnes ont été invitées à se présenter au SED au cours de cette semaine : le directeur de publication du journal Première heure, Jeremy Baloko, le journaliste et directeur de la chaine de télévision Vision 4, Boney Philippe, et l’homme politique Chuo Walters. Les deux derniers ont d’ailleurs été entendus les mardi 23 et mercredi 24 mai 2023, ce qui a permis d’en savoir davantage sur les raisons de cette série de convocations.
Prêtre et journaliste
Selon des sources concordantes, les quatre personnes convoquées par la gendarmerie sont impliquées dans la diffusion, dans les médias et sur les réseaux sociaux, d’un enregistrement audio attribué au journaliste Ola Bebe. Proche de Martinez Zogo, celui-ci avait, lui aussi, été retrouvé mort, le 2 février 2023, non loin de son domicile à Mimboman, dans la périphérie de Yaoundé. Ola Bebe, qui se présentait également comme un prêtre orthodoxe, affirmait surtout, peu de temps avant son décès, mener une enquête sur le décès de Martinez Zogo.
Le document audio – présenté comme un « élément nouveau à verser au dossier Martinez Zogo », lors de sa diffusion sur Facebook par Jean Bruno Tagne – est donc rapidement devenu viral. D’autant que, contrairement à Martinez Zogo, le décès d’Ola Bebe n’avait jusqu’ici provoqué aucun emballement médiatique. Après les réseaux sociaux, c’est dans une émission télévisée, dont il est l’animateur, que le journaliste Boney Philippe a repris les « révélations » du prêtre journaliste, lesquelles ont été abondamment commentées, plus tard, par Chuo Walters et Jeremy Baloko sur le même plateau de télévision.
L’audio en question dure près de 45 minutes. Le locuteur décrit dans un récit décousu les circonstances de l’assassinat de son « ami » Martinez Zogo. Un crime qu’il attribue « au camp » que l’animateur « servait », lequel serait, selon lui, dirigé par le secrétaire général de la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh. À l’aide d’arguments indiscernables, Ola Bebe affirme ainsi qu’ « Amougou Belinga [l’un des suspects dans l’affaire Martinez Zogo] est victime d’un complot ». Une théorie souvent rencontrée depuis des mois sur les réseaux sociaux camerounais.
« Est-ce cela le journalisme ? »
Mais, cette fois, le communicateur évoque des noms de personnes ayant joué un rôle clé pour masquer la vérité. Il accuse notamment Serge Raffic, un entrepreneur culturel connu à Yaoundé, d’avoir essayé « de lui faire oublier la piste Ngoh Ngoh, pour ne se focaliser que sur celle d’Amougou Belinga », mais surtout Paul Daisy Biya. Cet autre journaliste connu de la capitale camerounaise aurait, selon Ola Bebe, « été informé de toute l’opération [de l’assassinat] en temps réel par une source haut placée ».
Des informations « fausses » et « diffamatoires » pour Paul Daisy Biya, qui a donc entrepris de déposer plainte contre l’ensemble des personnes ayant contribué à la propagation de ce message. « Ce sont des journalistes comme moi. Mais personne n’a pris la peine de me contacter pour avoir ma version de cette histoire. Est-ce cela le journalisme ? », s’est-il offusqué. « Je reçois des messages de menaces. Je suis accusé de quelque chose que je ne connais pas », ajoute le journaliste, qui estime être la cible d’un cabinet noir visant à lui nuire.
Quel crédit accorder aux déclarations d’Ola Bebe ? Comme Martinez Zogo, le communicateur de 41 ans était connu pour ses dénonciations dans les médias. Invité régulier des radios et télévisions de Yaoundé, il adoptait la posture d’un homme hostile aux injustices, prenant fait et cause sans langue de bois pour les faibles. Après le décès de Martinez Zogo, il avait dénoncé avec véhémence son assassinat. Ses diatribes ciblaient alors principalement Amougou Belinga, qu’il désignait comme l’auteur de ce crime.
Mais Ola Bebe était aussi un franc-tireur. Dans l’audio concerné, il reconnaît d’ailleurs avoir proposé en vain ses services d’indicateur au colonel Émile Joël Bamkoui, patron de la Sécurité militaire (Semil). Il ajoute également avoir proposé, à un employé de Vision 4, de « se mettre en face » des détracteurs d’Amougou Belinga, afin de « dénoncer le complot » que l’homme d’affaires subirait, ceci en contrepartie « de moyens pour sa sécurité ». Des détails qui donnent un aperçu de l’environnement dans lequel évoluait le communicateur.
Une reprise de l’instruction ?
Interrogé sur les circonstances dans lesquelles le document audio lui est parvenu, Jean Bruno Tagne a souhaité réserver la primeur de ses éléments de réponse aux officiers de la gendarmerie. Le journaliste n’a pas non plus voulu s’étendre sur les raisons qui l’ont poussé à la diffuser sur ses plateformes. Espérait il fournir des éléments supplémentaires aux enquêteurs sur les auteurs du meurtre de Martinez Zogo ? Selon nos informations, les déclarations d’Ola Bebe n’ont pas encore retenu l’attention du juge d’instruction Sikati Kamwo, qui diligente l’enquête judiciaire.
Après plusieurs mois d’inaction, ce dernier – désigné le 24 avril 2023 pour remplacer Oyono Esseba Prosper – a repris du service. Le lieutenant colonel Sikati Kamwo a en effet repris les auditions la semaine dernière, en recevant, dans ses bureaux du tribunal militaire, les ayants droit de Martinez Zogo, notamment sa compagne Diane Zogo.
Le juge a également reçu, au début de cette semaine, un témoin de l’enlèvement du journaliste. Les personnes inculpées devraient, sans aucun doute, se retrouver devant lui dans les prochains jours. Dans une affaire encore entourée de nombreuses zones d’ombre, ce regain d’activité au tribunal militaire relance l’espoir de connaître enfin toute la vérité autour de cet assassinat.