L’accident d’un car Touristique Express, qui a fait quatorze morts le 9 mai, a une nouvelle fois mis en lumière la dangerosité des routes au Cameroun. Après avoir suspendu la compagnie, le gouvernement a rapidement rétropédalé, en l’absence d’alternatives.
L’événement aurait simplement pu s’ajouter à la longue liste des accidents meurtriers endeuillant depuis des décennies les routes camerounaises. Le 9 mai 2023, la sortie de route d’un autocar de l’agence Touristique Express, qui contrôle la plus grande partie du marché du transport de voyageurs entre le nord et le sud du Cameroun _ a fait quatorze morts sur l’axe reliant Garoua Boulai (Est) et Ngaoundéré (Adamaoua).
Le 11 mai, le ministre des Transports, Jean Ernest Masséna Ngalle Bibehe, a décidé de suspendre l’agence pour une durée d’un mois renouvelable, au motif de « manquements graves à la réglementation en vigueur ». L’affaire a aussitôt pris un tournant politique. La société civile et une bonne partie de l’opposition ont rapidement dénoncé les faiblesses de l’État dans la gestion du transport.
« Ce sont ceux qui détournent massivement l’argent destiné à construire ou à rénover les routes qu’il faudrait traquer », dénonce Aboubakary Siddiki, président du Mouvement patriotique du salut camerounais (MPSC) et originaire du nord du pays. Même son de cloche chez Maurice Kamto, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), qui estime que le gouvernement se défausse ainsi sur les conducteurs et les agences de voyage. « L’état de nos routes est l’un des principaux facteurs explicatifs de ces nombreux accidents », rassure-t-il.
Le Nord crie à l’injustice
« Les torts sont partagés », estime quant à lui Martin Zouzoua, acteur de la société civile. Lui déplore des routes truffées de nids-de-poule, où les panneaux de signalisation sont inexistants, et où certains péages clandestins et « contrôles radars mafieux » ont été installés, tandis que les autorités brillent par leur absence. Et questionne : « Où vont les fonds d’entretien du réseau routier [issus de l’argent collecté par l’État aux péages légaux] et à quoi servent ils puisque les routes sont dans un état sinistre ? » « On met en moyenne 8 à 9 heures pour aller de Ngaoundéré à Garoua, soit une vitesse de 35 km à l’heure », déplore encore l’activiste.
Les transporteurs sont-ils les boucs émissaires d’un État qui refuse d’investir ? Guibaï Gatama, responsable de la plateforme « 10 millions de Nordistes », s’est lui aussi élevé contre la suspension de Touristique Express, dénonçant l’absence d’alternative pour assurer la fiabilité du transport dans l’axe Nord Sud. « Le vide pourrait être comblé par des transporteurs occasionnels qui, sans expérience de nos routes peu praticables, pourraient causer encore plus de torts aux voyageurs », s’inquiète il. A-t-il été écouté ? Le 15 mai, le ministre des Transports a levé la suspension de la compagnie.
Mais ce rétropédalage n’a pas mis fin au débat quant à l’éternel dangerosité des routes camerounaises. Selon le gouvernement, seule une infime minorité du réseau routier national (0,6% des 121 884,7 km de routes) a en effet été entretenue en 2022. De même source, 51,14% des voies bitumées du pays sont toujours considérées comme « en mauvais état ». Et dans les coins reculés du pays comme autour des localités de Banyo, Guider ou Kousséri, les usagers doivent régulièrement braver la boue en saison pluvieuse et la poussière en saison sèche.
Autre problème : le prix des visites techniques des taxis a presque doublé (de 9 500 à 17 900 francs CFA), aggravant la vétusté et donc la dangerosité des véhicules de transport. La corruption dans l’organisation des examens du permis de conduire est par ailleurs devenue un « sport national » selon les termes d’un responsable d’auto-école, et la présentation d’un sésame frauduleux à des policiers complaisants – moyennant finances – est monnaie courante. Conscients du danger de voir se multiplier des conducteurs mal formés, les professionnels du secteur assurent avoir averti le ministère des Transports, « en vain ».
L’impossible alternative du rail…
Dans ce contexte, une alternative à la route est-elle possible ? Retour le 21 octobre 2016, à Eseka. La pire catastrophe ferroviaire de l’histoire du Cameroun vient de se produire après le déraillement d’un train de la compagnie Camrail entre Yaoundé et Douala. Au milieu des décombres et des dépouilles, des ministres en costume assistent à la panique de populations fouillant, en larmes, les environs pour extirper des corps souvent sans vie. Puis retournent à Yaoundé.
Des enquêtes sont alors diligentées, des procès intentés, des promesses d’indemnisation faites et une stèle dressée à la mémoire des victimes. Puis plus rien. Le drame d’Eseka est oublié et le gouvernement semble être passé à autre chose, dénonce la société civile. « L’accident de Camrail a fait à lui seul plus de morts que tous ceux de Touristique Express depuis l’ouverture de cette agence, sans que la compagnie soit suspendue. […] L’État ne trouve aucune solution concrète », dénonce de nouveau Aboubakary Siddiki, le président du MPSC.
À la suite du déraillement d’Eseka, des experts avaient pointé du doigt la vétusté des wagons chinois équipant le train de Camrail, l’inadéquation de leur système de freinage ou encore l’absence de mise en conformité du rail camerounais – dont l’écartement n’est pas conforme à la convention de Berne du 10 mai 1886. Mais, plus de six ans après la catastrophe, l’heure des grands changements n’a pas sonné.
Les mêmes vieilles et inconfortables voitures assurent toujours le transport des voyageurs entre Yaoundé et Ngaoundéré… Et, si les trains dits « express » ont recommencé à circuler en 2021 entre Yaoundé et Douala, les craintes en matière de sécurité ne sont pas levées. Pire, les tarifs ne parviennent pas à concurrencer ceux des compagnies de bus – une place dans le train équivalant à un aller en classe VIP par la route.
… ou de l’aérien
La voie des airs peut-elle dès lors être une solution, une façon se laisser sous soi les nids-de-poule et autres sorties de route ? Outre des tarifs jugés prohibitifs, la compagnie nationale Camair Co ne semble guère offrir d’alternative crédible pour relier les grandes villes du territoire. Même chez les plus fortunés, personnalités politiques et hommes d’affaires, on hésite en effet à s’embarquer dans l’aventure aérienne, y compris pour faire le trajet entre Yaoundé et Douala.
Le 26 juin 2014, à l’Assemblée nationale, Jean Michel Nintcheu, député du Social Democratic Front (SDF) prononçait une violente critique contre Camair Co et une partie de sa flotte, composée d’aéronefs de fabrication chinoise. Ces MA-60 – qui auraient été le prétexte, selon le parlementaire, à des cas de surfacturation et de détournements de fonds publics – manqueraient en outre « de fiabilité » et pourraient « être comparés aux avions russes Iliouchine ou Tupolev, boycottés par la majorité des compagnies aériennes et interdit de survol d’espaces aériens. » Conclusion du député : Camair Co ne saurait remplir sa mission de service public.
Depuis, le constat n’a pas changé. Retards à répétition, manque de confiance en matière de sécurité, succession de problème de gouvernance – la compagnie a connu six directeurs généraux entre 2013 et 2023… La compagnie, créée en 2006, n’a pas su convaincre. Même si elle s’efforce aujourd’hui de redresser la barre, l’avenir des Camerounais semble donc se jouer à court terme sur les routes, aussi dangereuses soient elles