Contrairement à la majorité des pays du continent, le Cameroun continue de conditionner l’entrée sur son territoire à l’obtention d’un test PCR négatif. Une mesure qui interroge jusqu’à la Cour suprême, qui y voit un risque de détournement des budgets de lutte contre le Covid-19.
L’imposition des tests systématiques de dépistage du Covid-19 ne semblait pas démoraliser les voyageurs débarquant à l’aéroport international de Yaoundé-Nsimalen, malgré un mécontentement certain concernant l’application de cette mesure.
Le cliché parait vieux de deux ans. Il s ‘agit pourtant du quotidien de tous les passagers à destination du Cameroun. Malgré la levée des mesures barrières mises en place dans le cadre de la lutte contre la pandémie, les voyageurs continuent ainsi d’être systématiquement soumis à des tests dans les postes de santé aux frontières.
Il leur est pourtant déjà demandé de présenter un résultat de test PCR négatif ou une preuve de vaccination à l’embarquement. Un inutile doublon ? Selon le ministère de la Santé, cette mesure est une recommandation du Conseil scientifique des urgences de santé public, une instance qui conseille le gouvernement sur les mesures à prendre depuis la détection du premier cas de Covid-19 en mars 2020.
« Il s’agit d’une mesure de vigilance, indique Clavère Nken, chef de la cellule de communication du ministère de la Santé. Nous comprenons l’agacement des usagers, mais il faut savoir que les systèmes de santé ne sont pas comparables. Les mesures prises en Chine ne sont pas forcément les mêmes en Europe, elles ne peuvent donc pas l’être pour le Cameroun »
Le gouvernement met ainsi en exergue les résultats de son dispositif. Le 21 mars 2023, une quinzaine de voyageurs testés positifs à l’aéroport de Douala ont ainsi été immédiatement placés sous soins.« Que serait-il advenu si tous ces gens étaient rentrés dans leur famille sans que l’on ne soit informé de leur état ? », interroge Clavère Nken.
De manière générale, le Cameroun connaît une relative bonne maîtrise de la maladie sur son sol. Selon les statistiques gouvernementales, le nombre de cas confirmés en 2021 – celles de 2022 restant attendues – a été de 83 389 ; et le nombre de patients décédés de 14 072. Soit un taux de létalité de 1,7 %, chiffre inférieur à celui observé sur l’ensemble du continent durant la même année, qui s’élève à 2,4 %.
Des statistiques que certains responsables attribuent au système de contrôle mis en place. Mais ces explications ne semblent pas faire l’unanimité, encore moins au sein de l’administration. Le maintien des tests à l’entrée est en effet contraire à une disposition prise par le ministère des Transports le 15 juillet 2020.
Cette dernière indique en effet qu’il revient aux compagnies aériennes de
« s’assurer que chaque passager dispose de son résultat de test de dépistage PCR négatif datant de moins de trois jours, avant son embarquement à destination du Cameroun, au cas où le dépistage au dit test est possible dans le pays de départ ».
« Et ce n’est que lorsque le voyageur ne dispose pas de ce document qu’il est soumis au test à l’arrivée », ajoute le texte, que vient donc contredire la pratique encore en vigueur actuellement dans les aéroports camerounais, où tous les passagers sont soumis aux tests à l’arrivée même si certains hauts responsables d’administration refusent de s’y soumettre.
La pratique systématique des tests PCR à l’arrivée a surtout été épinglée, plus récemment, dans le troisième rapport d’audit du Fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus.
La chambre des comptes de la Cour suprême y a ainsi interpellé le Premier ministre Joseph Dion Ngute au sujet de la pertinence de son maintien, lui recommandant de solliciter l’avis du Conseil scientifique des urgences de santé publique à ce sujet.
Dubitative quant à l’intérêt de la mesure encore en vigueur, la chambre met en évidence les dépenses liées notamment à l’acquisition des tests. Le Cameroun a dépensé 23,7 milliards de francs CFA (plus de 36 millions d’euros) pour acquérir 2,99 millions de tests au cours de l’année 2021.
Problème, le pays n’a jamais homologué les prix desdits tests. Conséquence, la chambre des comptes évoque des surfacturations qui, bien qu’en baisse, auraient fait perdre un peu plus de 2 milliards de francs CFA à l’État en 2021.
L’entreprise Mediline Medical Cameroon SA, qui avait été pointée du doigt dans le précédent rapport de la chambre des comptes, a encore attiré l’attention des auditeurs. Ceux-ci ont constaté qu’un nouveau marché de 8 milliards de francs CFA leur avait été attribué en février 2021 pour l’achat de 500 000 tests à raison de 17 500 francs CFA l’unité.
« Ce prix est largement au-delà du prix de référence que la task force [mise en place par la présidence pour superviser la riposte à la pandémie] a pratiqué en 2021 pour les mêmes tests, soit 4 290 francs CFA pour certains marchés et 5 000 francs CFA pour d’autres », précise le rapport.
Celui-ci ajoute que « le surcoût supporté par l’État s’élève à 6,25 milliards de francs CFA en 2021, qui s’ajoute au surcoût de 15,374 milliards de francs CFA que la Chambre avait identifié dans son premier rapport portant sur l’exercice 2020 pour cette même entreprise. C’est donc un total de 21,624 milliards de francs CFA sur les deux exercices qui ont été surfacturés par cette société ».
« Il n’y a aucun motif sanitaire valable pour continuer ces marchés, a commenté l’entrepreneuse et influenceuse Rebecca Enonchong. Cela coûte des milliards à l’État à l’heure où l’on parle de réduction du train de vie de l’administration ».
Selon nos informations, le ministre de la Santé, Manaouda Malachie, a proposé au Premier ministre d’alléger le dispositif en n’appliquant les tests systématiques qu’aux personnes ne disposant ni d’un certificat de vaccination, ni d’un test PCR de moins de 72 h. Cette proposition n’a cependant toujours pas reçu de suite favorable.