En multipliant de lourds projets dans les domaines économique, universitaire et diplomatique, Moscou veut asseoir son influence Cameroun. Et le deuxième sommet Russie Afrique a accéléré ce processus.
L’image est historique. Lorsque, le 27 juillet, le présidant du Cameroun le sol russe à Saint-Pétersbourg, le président camerounais le fait pour la première fois en tant que chef d’État en exercice. Au pouvoir depuis 1982, il ne s’était pourtant jamais rendu en Russie jusqu’ici, que ce soit à Moscou ou dans la cité des tsars. Venu de Suisse, le chef de l’ état sait donc que cette visite sera abondamment commentée, en particulier parce que le sommet Russie Afrique auquel il assiste a lieu en pleine guerre en Ukraine, déclenchée par Vladimir Poutine début 2022.
La relation entre le Cameroun et la Russie est-elle pour autant aussi nouvelle que la présence inédite de Paul Biya pourrait le laisser penser ? Pas du tout. Le 12 avril 2022, deux mois après le début de l’offensive russe en Ukraine, le ministre délégué à la présidence chargé de la Défense du Cameroun, Joseph Beti Assomo, avait lui aussi fait le voyage, cette fois à Moscou, pour y signer un retentissant accord militaire. L’histoire avait fait grand bruit : pourquoi le Cameroun, jugé plutôt francophile, affichait il sa relation avec la Russie, alors même que celle-ci envahissait l’Ukraine ?
De plus en plus de coopération militaire
En réalité, selon les informations, Paul Biya n’était à l’époque pas totalement au courant du voyage de son ministre. Si celui-ci avait reçu l’autorisation d’effectuer la mission, celle-ci avait été validée par le chef de l’État de longs mois plus tôt – avant la guerre en Ukraine – et retardée en raison de la pandémie de Covid-19. Et, en avril 2022, lorsque Joseph Beti Assomo décidait finalement de prendre l’avion pour Moscou, les services de la présidence – alertés – ne trouvèrent pas nécessaire de demander à nouveau l’avis du président.
La signature des accords militaires avec le ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou, – et surtout leur timing peu opportun – a donc surpris Paul Biya, lequel est d’ailleurs entré à cette occasion dans une froide colère à l’encontre de ses collaborateurs. Une source sécuritaire le décrit même, à l’époque, « proche du malaise ». Mais, sur le fond, le chef de l’État n’en assume pas moins la profondeur de la relation du Cameroun avec la Russie et sa volonté de l’approfondir encore.
Si la coopération ne prend pas la forme d’un « accord de défense », considéré comme le stade ultime de la bonne relation entre deux armées, les forces de défense des deux pays veulent ainsi accélérer les échanges d’informations, la formation et l’entrainement des troupes, via un partage d’expériences accru et des activités communes de lutte contre le terrorisme ou la piraterie maritime. La coopération se déclinera sous la forme de visites officielles, de participation aux exercices militaires, d’échange de spécialistes ou d’organisation d’évènements.
De l’extradition…
Interrogé sur la relation entre la Russie et le Cameroun lors de la visite d’Emmanuel Macron au Cameroun, le 26 juillet 2022, le chef de l’État camerounais s’est voulu franc : elle « est ancienne et nous avons renouvelé avec ce pays un accord de coopération qui était venu à expiration », a-t-il argumenté. Fin de l’histoire ? En réalité, cet accord militaire, simple renouvellement selon Paul Biya, n’est pas le seul qui le Cameroun à la Fédération de Russie.
Huit ans avant 2022, Vladimir Poutine – déjà en poste, tout comme son homologue Paul Biya – avait ainsi signé la loi fédérale sur la ratification de la convention entre la Fédération de Russie et la République du Cameroun sur l’extradition. Conformément à cet accord, les parties s’engagent, sur la base de la réciprocité, à extrader, à la demande de l’une des parties, les personnes se trouvant sur le territoire de l’autre partie recherchées pour des poursuites pénales ou l’exécution d’une peine dans le pays requérant.
… à l’éducation…
Mais les accords entre Russie et Cameroun ne s’arrêtent pas là. En vertu d’accords académiques, les universités russes ont accueilli cette année plus de 800 étudiants camerounais, dont plus de 40 bénéficient de bourses du Kremlin, selon le ministère russe de l’Éducation et de la Science. Et pour la prochaine année universitaire, le pays a fixé – et plus que doublé – le quota à cent bourses.
Du côté du Cameroun, un centre d’enseignement russe a même ouvert ses portes à Douala en avril et compte plus de 150 étudiants. Pendant le deuxième sommet Russie Afrique, Moscou a réitéré sa volonté de faire de la Russie un « pôle privilégié » pour les étudiants camerounais qui souhaitent étudier dans les établissements d’enseignement supérieur russes.
Le deuxième sommet Russie Afrique a aussi été l’opportunité pour le gouvernement camerounais d’accentuer la coopération dans les domaines prioritaires de l’économie. Le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, a ainsi reçu en audience un responsable d’un puissant groupe russe intéressé par la réhabilitation de la Société nationale de raffinage (Sonara), ainsi que Adeniyi Adebayo, directeur du développement du service de VTC Yango, filiale du moteur de recherche russe Yandex.
… en passant par le business
De leur côté, les ministres Alamine Ousmane Mey (Économie) et Luc Magloire Mbarga Atangana (Commerce) sont convenus avec leurs homologues russes d’accentuer leur partenariat dans les domaines énergétique, agricole, infrastructurel et numérique. Un protocole d’accord sera prochainement signé entre la Chambre de commerce du Cameroun et l’Association pour la coopération économique entre l’Afrique et la Russie.
Objectif : formaliser les relations d’affaires entre les secteurs privés russe et camerounais. Si Madeleine Tchuente, la ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation, a de son côté présenté les acquis de la recherche camerounaise, elle a aussi sollicité l’expertise russe en matière de nucléaire civil. Sur le plan diplomatique, Vladimir Poutine et Paul Biya ont aussi signé, le 28 juillet, un accord bilatéral d’exemption de visa pour les détenteurs de passeport diplomatique et de service.
L’influence russe dans l’économie camerounaise est boostée par l’existence du Russian Business Center (RBC), un centre russe d’affaires créé en 2014 au Cameroun pour contribuer à l’accroissement de la coopération économique entre les deux pays, à la suite du constat du peu d’investissements russes en Afrique. Depuis, l’ombre de l’organisation plane sur le domaine de la santé comme sur celui de l’énergie, en passant par le sport et les travaux publics, et les plus petits investisseurs accompagnent les géants du capitalisme russe.
Le 22 juin, une délégation d’investisseurs russes, menés par les entreprises Formed et Okotech, a ainsi présenté à des partenaires camerounais un projet médical « révolutionnaire » dénommé « Suisonia », une machine mobile qui permet de réguler la circulation sanguine et d’augmenter le taux de globules rouges. Dans le secteur de l’énergie, Lukoil, le plus grand producteur du pétrole russe, est aussi devenu le partenaire du Cameroun dans le projet d’exploitation du gaz d’Etinde, dont il détenait 37 % en 2022.
À Kribi, le géant russe Gazprom est le seul client achetant le gaz liquéfié produit. Le groupe Rusgas Engineering, basé à Moscou, a en outre été retenu dans le document de stratégie nationale de développement 2020-2030 pour un projet de grande raffinerie à vocation régionale dans la ville du littoral camerounais, tandis que Paragon Group et Monolit lorgnent les dossiers de travaux publics et que 1XBet continue d’étendre ses tentacules dans le domaine du pari sportif. Derrière la poignée de mains entre Paul Biya et Vladimir Poutine, la forêt russo-camerounaise est décidément bien dense.