En raison de difficultés d’accès à l’énergie, à l’eau, à internet, et, surtout, d’une connectivité problématique, le port en eau profonde du sud du Cameroun peine à donner toute la mesure de son potentiel.
L’énergie, principale préoccupation des entreprises implantées dans la zone portuaire de Kribi. C’est l’antienne qui revient chez le transformateur de fèves Atlantic Cocoa Corporation (ACC, groupe Atlantique de Bernard Koné Dossongui), le minotier La Pasta (groupe Cadyst Invesment de Célestin Tawamba), Tractafric ou encore le cimentier turc Cimpor (groupe Oyak).
« Sa qualité et sa constance posent problème, ce qui oblige parfois à des arrêts brutaux de production », mentionne l’un des patrons sollicités.
Retards
Sa quantité constitue aussi une source d’inquiétude. La cimenterie Cimpor (800 000 tonnes de capacité) a besoin de 7 à 8 MW supplémentaires pour fonctionner à plein régime, assure son responsable Kadir Tastemur.
« Cela découle des retards accusés dans la livraison de la ligne de 225 KV devant relier le port à la centrale thermique à gaz de KPDC [Kribi Power Development Corporation, filiale de Globeleq, ndlr] », pointe un responsable du Port autonome de Kribi (PAK). Lequel craint également les mêmes retards à propos des lignes devant connecter Kribi au barrage de Nachtigal (420 MW) actuellement construit par EDF.
Ayant décidé d’anticiper au regard de la forte demande d’implantations, le PAK a lancé un appel d’offres pour la construction d’une centrale thermique à gaz d’une capacité comprise entre 50 à 80 MW. Mais l’initiative a été stoppée par Yaoundé qui redoute que les projets en cours, comme Nachtigal, ne puissent trouver preneur au cas où le port deviendrait autonome en énergie.
Croissance des volumes
Cinq ans après son entrée en activité, la place portuaire de Kribi réalise certes des performances, affichant un taux de croissance annuel moyen (TCAM) des volumes en 2022 de 86 % sur le terminal polyvalent et de 35 % sur le conteneur.
Des entreprises continuent de s’implanter, en attendant la mise en place de la zone industrielle intégrée de 1 500 ha promue par un consortium composé du PAK, de Bolloré Africa Logistics, de Tanger Med, de China Harbour Engineering Company (CHEC) et du groupe philippin ICTSI (International Container Terminal Services INC, gestionnaire du terminal polyvalent du port de Kribi).
Mais l’infrastructure peine à donner toute la mesure de son potentiel. D’autres contraintes opérationnelles pèsent en effet sur les opérateurs installés. « L’instabilité de la connexion internet ou l’indisponibilité récurrente de l’eau, sans oublier le coût du foncier moins favorable par rapport à Douala », égraine Kadir Tastemur.
Problème d’accès
L’autre écueil de taille pesant sur la compétitive de Kribi tient au manque de connectivité. La modalité ferroviaire reste encore au stade des études. La seule autre solution, la route, pâtit des promesses non tenues.
« Le port devait initialement démarrer ses activités avec la disponibilité des autoroutes (Yaoundé-Edéa-Douala et Edéa Kribi) devant faciliter la connexion avec l’hinterland. Or, force est de constater qu’actuellement la route nationale N°7 [dont fait partie le tronçon Edéa Kribi long de 107 km, ndlr] est l’unique voie d’accès », se désole le responsable du PAK.
D’autant que cette route, unique lien entre le port et le corridor routier Douala-Bangui-Ndjamena, n’a jamais été calibrée pour supporter le trafic des marchandises généré par l’activité portuaire. D’où son piteux état.
L’autoroute Edéa Kribi n’est pour le moment construite que sur 36 km, juste de quoi permettre de contourner le centre urbain de la cité balnéaire du sud Cameroun. Le seul poste de péage en activité obère les charges des entreprises. « Son coût est de 1 102 F CFA (1,7 euro) la tonne, ce qui est énorme comparé à d’autres environnements similaires », regrette Kadir Tastemur. « Une contrainte qui n’est en rien compensée par un éventuel gain de temps qu’on aurait pu espérer de cette infrastructure », renchérit un autre patron.
Délégation ministérielle
Outre la réhabilitation de la Nationale 7, la priorité sur ce plan serait l’achèvement du linéaire de 179 km allant de Kribi à Ebolowa, la capitale régionale du Sud dont dépend la cité touristique. « Ce trajet en ligne directe pourrait se faire en deux heures, là où il faut actuellement six heures pour rallier les deux villes, en effectuant un long détour par Yaoundé », estime notre source au PAK. Le gain de temps pour les opérateurs venant du nord du Congo, de la RCA, de l’est et du sud Cameroun serait considérable et ferait, selon des estimations, grimper le trafic portuaire de 20%.
Non moins préoccupant, le paiement des factures figurant dans la contrepartie camerounaise, représentant 15 % des près de 400 milliards de F CFA (793 millions de dollars) nécessaires à l’extension du port, afin de prévenir une éventuelle congestion l’année prochaine.
Le constructeur chinois CHEC se plaint des retards (entre neuf mois et un an) dans le traitement de ses demandes au ministère des Finances, ce qui aurait pour effet de reporter le délai de livraison des 700 mètres de linéaire de quai supplémentaire et, surtout, des 30 ha de terre-pleins devant servir à l’entreposage et au stockage des marchandises.
Des plaintes qu’une délégation interministérielle, à l’initiative du ministre des Finances, Louis Paul Motaze, est allée écouter en début de semaine.