Le principal actionnaire de l’énergéticien Eneo réclame 186 milliards de F CFA d’arriéré à l’État camerounais. Dans une lettre adressé au Premier ministre, le fonds britannique exige un règlement le 28 avril au plus tard.
Une mise en demeure qui ne dit pas son nom. Le 14 avril 2023, David Grylls, associé chez Actis qui détient 51 % des parts d’Energy of Cameroon (Eneo), écrit au Premier ministre, Mr Joseph Dion Ngute, pour exiger le paiement de près de 186 milliards de F CFA (283,5 millions d’euros). D’après la missive que Jeune Afrique a consultée, cette somme représenterait la dette accumulée par l’État auprès de l’énergéticien.
Dans le détail, les arriérés sont constitués de la dette du secteur public à proprement parler, à laquelle s’ajoutent des crédits de TVA pour 2022 et la compensation tarifaire (une subvention au consommateur supportée par l’État, représentant la différence entre ce que ce consommateur doit réellement payer et ce qu’il paie effectivement).
Ce coup de semonce intervient dans un contexte où Actis négocie sa sortie du tour de table de l’énergéticien. Le fonds britannique négocie la reprise de ses 51 % de parts avec un consortium local, composé de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) et de la Société nationale des hydrocarbures (SNH).
En 2019 , Actis avait manifesté son souhait de céder sa filiale camerounaise du fait des impayés de Yaoundé qui s’accumulaient, allant alors jusqu’à 100 milliards de F CFA. Depuis, les manquements à ses obligations de Yaoundé avait été difficilement réglés.
Fragilisés, la trésorerie et le plan d’investissement qui s’élève à environ 393,5 milliards de F CFA (600 millions d’euros) sur la période 2021-2031 sont compromis. David Grylls rappelle d’ailleurs que l’énergéticien a investi pratiquement 400 millions de dollars ces cinq dernières années.
Au demeurant, les doléances d’Actis font écho à un précédent courrier de rappel de septembre 2022. « Bien que cela ait déclenché des paiements, l’État n’a pas agi rapidement et résolument pour apporter une solution pérenne à la crise de liquidités qui fragilise le secteur de l’électricité et, par ricochet, les investissements d’Actis », rappelle David Grylls qui siège au conseil d’administration d’Eneo.
D’autres acteurs du secteur sont également concernés, notamment des producteurs indépendants auprès desquels l’entreprise est endettée. L’énergéticien doit près de 60 milliards de F CFA à deux filiales du britannique Globeleq, à savoir Kribi Power Development Corporation (KPDC) qui gère la centrale à gaz de la cité balnéaire du sud Cameroun et Dibamba Power Development Corporation (DPDC), exploitant la centrale thermique de la banlieue de Douala. Sans compter des ardoises à l’égard du gestionnaire du réseau de transport (Sonatrel), de la raffinerie (Sonara) et du producteur public Electricity Development Corporation (EDC) gérant la centrale hydroélectrique de Memve’élé (211 MW).
Le Cameroun avait pourtant, fin 2021-début 2022, émis des bons et obligations du Trésor assimilables, dans le cadre de la titrisation de la créance de l’État à l’égard de l’énergéticien. Ce qui lui avait permis de lever 118 milliards de francs CFA sur le marché monétaire.
« Cet accord vient enfin résoudre durablement le lancinant problème de l’équilibre financier du secteur électrique camerounais. Il soulage nos principaux clients débiteurs tout en offrant une bouffée d’oxygène financière à nos fournisseurs », se satisfaisait alors un cadre d’Eneo.
À cette mobilisation s’ajoutait la titrisation pour 39 milliards de F CFA de sa créance de 2020 au profit d’Eneo auprès d’un consortium bancaire local mené par Afriland First Bank Cameroun. En tout, Yaoundé s’acquittait ainsi de 182 milliards de F CFA auprès de la filiale d’Actis pour un règlement partiel de sa dette.
Cette fois, et dans le cadre de sa dernière mise en demeure, le fonds d’investissement britannique donne deux semaines au gouvernement pour trouver une solution, tout en martelant qu’il fera respecter ses droits ainsi que ceux de sa filiale. Par ailleurs, Actis laisse planer la menace d’user des moyens que lui offrent le contrat cadre de concession et l’accord de 1982 relatif à la promotion et la protection des investissements entre le Royaume-Uni et le Cameroun.
« Cela pourrait prendre la forme d’un recours auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) », suggère un avocat. Outre une ampliation à certaines autorités camerounaises dont le puissant secrétaire général de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, la lettre de David Grylls a été transmise aux dirigeants de la Banque mondiale et de ses filiales (IFC et Miga) dans le pays. Les intentions d’Actis seront connues après le 28 avril. Sauf si, entretemps, Yaoundé trouve une issue favorable à ce litige.