Alors que la présidentielle de 2025 approche, les divisions se multiplient au sein du Mouvement pour la renaissance du Cameroun. La « gouvernance du secret » pousse certains militants à quitter le navire.
Paul Biya, né le 13 février 1933, et Maurice Kamto, qui a vu le jour le 15 février 1954, auront respectivement 92 ans et 71 ans en 2025, année de l’élection présidentielle. Conclusion : « Ils seront trop vieux pour gouverner les Camerounais. » Richard Tamfu Richard, secrétaire national, membre principal du directoire du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), ne mâche pas ses mots. L’avocat prône ainsi l’alternance non seulement au sommet de l’État mais aussi au sein de son propre parti politique d’opposition.
Il n’en fallait pas plus aux militants « loyaux » envers leur « président élu » Maurice Kamto pour déterrer, à nouveau, la hache de guerre. La vie du MRC est en effet loin d’être un long fleuve tranquille. Nombre de militants et certains cadres de renom ont d’ores et déjà quitté le navire, souvent pour rejoindre le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), comme Sam Sévérin Ango en mars dernier.
Celui-ci s’était proposé comme porte-parole du MRC. « Mais on m’a demandé de rentrer chez moi », regrette-t-il. Aujourd’hui, il porte donc fièrement à la télévision et dans les meetings du RDPC écharpes et chapeaux à l’effigie de Paul Biya, qu’il combattait hier. « Venant de la région du Sud [comme le président de la république], je n’ai pas eu le sentiment d’être véritablement intégré dans le MRC malgré tous les sacrifices consentis. Il ne m’a pas été réservé un véritable rôle à jouer au sein de l’état-major », confie-t-il.
« Une vague de démissions » ?
À en croire un ancien militant du parti – qui garde toujours des liens avec ses ex-amis politiques –, le pire reste à venir. « Vous verrez, une vague de démissions se prépare », confie-t-il, en nous conseillant de nous rapprocher d’un membre du MRC qui s’apprête à prendre à son tour « ses distances ». Des départs en cascade ? À Douala, une colère sourde gagne en tout cas des sections de la formation politique et « les choses se mettent en place », raconte un troisième encarté du MRC en France. « Des camarades préparent déjà leur candidat » pour défier Maurice Kamto, ajoute t-il.
Au rang des personnalités influentes pressenties à la tête du mouvement se trouve Michèle Ndoki, vice-présidente du directoire des femmes du MRC. Entre elle et l’ancien ministre, les dissensions ne sont pas nouvelles. Depuis leur passage commun en 2019 à la prison de Kondengui – où les relations avec Maurice Kamto étaient très tendues –, l’avocate s’était ainsi éloignée et occupait une position à part au sein du parti.
Elle avait ensuite souhaité briguer un mandat de députée dans son Littoral natal lors des législatives de 2020. Mais Maurice Kamto avait décidé de ne pas embarquer sa formation dans cette « expédition douteuse ». Voyant s’éloigner l’Assemblée, l’avocate s’était rapprochée du pouvoir par l’entremise du ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Grégoire Owona. Une « trahison », avaient dénoncé les « loyaux » à Kamto, appelant à la démission de Ndoki. En vain : elle reste déterminée à obtenir la présidence du MRC lors du congrès prévu en novembre à Yaoundé.
« Opacité » et « autoritarisme »
La crise qui menace aujourd’hui de paralyser le parti d’opposition a des origines profondes, au premier rang desquelles « l’opacité », selon le terme d’un militant. Le site internet du MRC ne présente ainsi pas les noms des membres du directoire et aucun secrétaire national à la communication n’en a jamais été administrateur. Une « attitude curieuse », qui fragilise les relations de confiance au sein de l’appareil, juge un membre. « Maurice Kamto confie l’administration à qui il veut, membre ou non du directoire », révèle Sosthène Médard Lipot, ancien porte-parole.
Les dissidents du mouvement dénoncent en outre la toute-puissance du secrétaire général adjoint du MRC, Roger Justin Noah, dont ils fustigent l’« autoritarisme ». « Il informe qui il veut quand il veut », notamment en ce qui concerne les réunions du parti, accusent-ils. En dépit des plaintes en interne, Roger Justin Noah serait resté insensible aux doléances. Le symbole d’une « pensée unique » imposée par le sommet, comme le suggère Sosthène Médard Lipot ?
« Le feed-back de la base est ignoré, voire réprimé », s’indigne celui qui a contribué à fonder le MRC, justifiant ainsi sa démission en mai dernier. « Faux », conteste Roger Justin Noah. « Il y a un véritable débat lors des réunions du directoire. Il n’y a ni pensée unique ni autocrate qui dicte tout seul la voie à suivre », ajoute-t-il. Et de préciser qu’il existe une charte éthique dans le parti où tout militant qui s’estime lésé peut « porter plainte ».
« Corruption » et « prévarication »
Le mal est-il plus profond ? Le mot de « corruption » revient également régulièrement dans la bouche des déçus du MRC, qui pointent des bilans financiers peu élogieux. Lors des derniers scrutins internes du parti, en 2022, des militants disent aussi avoir enregistré de nombreuses « irrégularités ». L’ancien conseiller spécial de Maurice Kamto, Sosthène Médard Lipot, parle, lui, de « prévarication » ou, en d’autres termes, de potentiels détournements de fonds du mouvement réalisés par certains cadres.
KAMTO EST UN DIEU, UNE SORTE DE GOUROU
Des accusations rejetées par Roger Justin Noah, qui affirme que le trésorier du MRC présente régulièrement un rapport financier au directoire, notamment après les collectes de fonds, comme celle organisée en faveur des « camarades otages du régime à Douala et Yaoundé ». Les relations en interne sont en tout cas « devenues exécrables », affirme Sam Sévérin Ango, selon qui certains « ont fait du président Kamto un dieu, une sorte de gourou ».
L’ancien militant dénonce encore une « dérive tribalo-ethnique dénaturant complètement l’identité nationale de cette formation politique ». Selon lui, Maurice Kamto aurait pris pour habitude de « parachuter » ses fidèles en les nommant dans des fédérations régionales, départementales et communales, aussi bien à l’intérieur du pays que dans la diaspora, qu’importe leur fief d’origine. Dès 2013, des « parachutages » – qui avaient alors bénéficié à des transfuges nouvellement arrivés d’autres partis – avaient déjà créé des tensions et provoqué – en vain – un dépôt de recours dans la fédération régionale du Centre.
Lutte finale en novembre ?
Les critiques précédemment citées n’ont en réalité fait qu’accentuer les dissensions au sujet de la stratégie de la formation d’opposition, en partie lors des dernières élections législatives puis municipales, auxquelles le MRC a choisi coup sur coup de ne pas participer. « C’est cette gestion fermée qui a conduit à une décision unilatérale de boycott, prise par quelques membres du directoire autour de Maurice Kamto », juge Sam Sévérin Ango.
« Ces décisions de boycott se justifient sur le plan politique », admet Sosthène Médard Lipot, qui regrette toutefois que le parti n’ait pas su « anticiper » et entendre les ambitions de ses militants, qui ont été nombreux à se trouver déçus de ne pas pouvoir descendre dans l’arène. L’avenir du MRC est-il pour autant menacé, entre critiques de son leader, accusation d’autoritarisme et remise en question de sa hiérarchie ?
Non, répond Roger Justin Noah. Des frondeurs avaient lancé un mot d’ordre de boycott pour le meeting du MRC le 6 mai, dans le quatrième arrondissement de Yaoundé, rappelle le secrétaire général adjoint. « Ils ont connu un échec cuisant. Désormais, ils animent des groupes WhatsApp clandestins, où ils vilipendent à longueur de journée le président national et d’autres membres du directoire comme moi », raille-t-il encore. Pas de quoi apaiser les tensions, qui devraient encore s’accentuer à mesure que le prochain congrès du parti approche.