Il y a un an, une levée de boucliers accueillait l’instauration d’une taxe sur les transactions financières. Comment le marché du mobile money a-t-il évolué depuis ?
C’est au tour de Camtel de nourrir des ambitions dans le mobile money. L’opérateur camerounais détenu par l’État a annoncé début mai le lancement prochain de son service baptisé « Blue Money ». Il espère concurrencer l’hégémonie d’Orange et de MTN, et dépasser rapidement des acteurs comme la banque UBA, Express Union Mobile, Campost-YunusPay, EMI Money et Express Union.
Le téléphoniste public arrive à un moment difficile pour le secteur, critiqué et sanctionné pour la qualité de ses services et ses tarifs élevés.
En réponse à une vague de boycott qui a touché les trois opérateurs du pays début 2023, le régulateur a convoqué fin avril une réunion d’urgence ayant poussé MTN et Orange à faire plusieurs annonces en faveur d’une meilleure qualité du réseau. Las, un mois plus tard l’Agence de régulation des télécommunications (ART) a sévi, en infligeant une amende totale de 9,8 millions de dollars à Orange, MTN, Nextel et Camtel.
Recettes fiscales en hausse
Un an et demi plus tôt, c’est une décision du gouvernement qui avait enflammé les réseaux sociaux et nourri la colère des utilisateurs du mobile money. En janvier 2022, une taxe de 0,2 % sur les transferts et retraits d’argent effectués depuis les applications de mobile money Orange Money et MTN MoMo avait effectivement été instaurée, et faisait craindre une vague d’abandons de cette solution.
Difficile de savoir si les usages se sont maintenus alors même qu’entre février et mai 2022, l’État a récupéré un peu plus de 2,7 millions d’euros par mois de recettes fiscales grâce à cette mesure, selon des chiffres communiqués par la direction générale des impôts. Au total, l’administration aurait récupéré 30 milliards de F CFA en un an.
« J’ai l’impression qu’il y a eu un ralentissement dans l’utilisation du mobile money. Mais depuis, nous avons vécu énormément d’autres augmentations fiscales qui ont touché la population de plus près, et la taxe transferts est un peu passée en arrière-plan », explique Rebecca Enonchong, dirigeante de la société AppsTech qui avait largement critiqué la décision en 2022.
Frein à l’inclusion financière
Interrogé par Jeune Afrique, Orange refuse de révéler s’il a effectivement observé une baisse de ses usages. De son côté, MTN a tout de même enregistré une hausse de 12 % de ses revenus sur les services financiers au Cameroun en 2022 mais reconnaît que « les nouvelles taxes sur les fintechs au Bénin et au Cameroun, la taxe électronique au Ghana et nos réductions délibérées de la tarification du pair à pair sur plusieurs marchés ont affecté les performances à court terme ».
« Dans tous les cas, les taxes sur les transactions de mobile money sont pour tout ou partie répercutées aux clients finaux et donc génèrent des hausses sensibles de prix, observe Rambert Namy, vice-président exécutif du cabinet de conseil Sofrecom, chargé du conseil aux entreprises. Cela va automatiquement freiner l’inclusion financière et va à l’encontre des politiques publiques qui sont affichées par la plupart des pays », poursuit-il.
Le cas du Ghana
Au Ghana, où le mobile money est utilisé quotidiennement par 30 % de la population, l’association GSMA, principal lobby des télécoms, a choisi d’étudier l’impact qu’a eu la mise en place en mai 2022, d’un prélèvement de 1,75 % sur les paiements, transferts de fonds, virements bancaires et paiements marchands électroniques supérieurs à 100 cédis.
Le rapport publié en février 2023 est sans appel et conclut à une baisse des transactions en dessous de 100 cédis de 19 %, dès le premier mois de la mise en place de la mesure. Les échanges de montants compris entre 100 et 200 cédis ont, quant à eux, baissé de 28 % et de 48 % pour les montants situés au-dessus de 200 cédis.
Pire, cette baisse des usages a persisté dans le temps, puisqu’une chute des volumes de transaction de 20 % a été constatée neuf mois après le début de la taxe. Même conclusion sur la valeur totale des transactions qui ont chuté de 35 % en un an pour des revenus 20 % inférieurs à la période avant taxe.
« Il y a actuellement de très fortes tensions sur les sujets de taxes dans de nombreux pays – Mali, Centrafrique, RDC pour ne citer que les principaux – car les opérateurs sont de gros contributeurs aux PIB des pays d’Afrique et génèrent des recettes importantes pour les États », observe Rambert Namy. En 2021, le marché du mobile money pesait 144 millions d’euros au Cameroun (+35 % de croissance par rapport à 2020) pour 8,2 millions de clients (près de 11 % de croissance sur un an).