Amnesty International publie, le mardi 4 juillet 2023, un rapport édifiant sur la situation dans le nord-ouest du Cameroun, l’une des deux régions anglophones du pays. Selon l’ONG, la population y est prise en étau entre les différentes parties qui s’affrontent. Les groupes séparatistes armés y font notamment face aux forces de défense et de sécurité. Amnesty documente les destructions d’habitation, homicides et autres crimes commis par les deux parties. Les personnes qui dénoncent ces atrocités sont menacées et arrêtées de façon arbitraire, ajoute l’ONG. Entretien avec Fabien Offner, chercheur au bureau régional pour l’Afrique de l’ouest et du centre d’Amnesty International.
Le premier constat que vous faites dans ce rapport, c’est que les groupes séparatistes armés sont toujours aussi actifs, y compris dans les régions non anglophones, et qu’ils ont considérablement renforcé leur arsenal.
Oui, c’est une analyse sur le temps long. Ce qu’on constate effectivement, c’est qu’au fil et à mesure des années, l’armement s’est renforcé. L’utilisation des engins explosifs improvisés est devenue assez fréquente et frappe visiblement de façon assez forte l’armée camerounaise.
Dans ce rapport, vous vous penchez sur la situation dans le Nord-Ouest où vous êtes rendu entre mars et avril. Les autorités vous ont laissé facilement aller sur place ?
Les autorités ne nous ont posé aucun problème pour nous rendre au Cameroun et nous avons pu travailler de façon tout à fait normale, avec les précautions qui sont celles d’une organisation comme Amnesty dans tous les pays. Nous avons fait des demandes de rencontres auprès des autorités camerounaises, nous n’avons pas reçu de réponse, mais nous avons quand même rencontré la Commission camerounaise des droits de l’Homme.
Selon votre rapport, dans cette région, la situation y est « catastrophique », les groupes séparatistes armés « tuent », « torturent », procèdent à des enlèvements, à la destruction d’habitation et ils ciblent en particulier une communauté, celle des éleveurs peuls mbororo.
Effectivement, les violations sont tellement vastes et les crimes sont tellement nombreux, qu’on a voulu resserrer un petit peu l’angle sur une situation, une dynamique de conflit particulière qui, dans le Nord-Ouest concerne notamment les Peuls Mbororo. Ils ont été rapidement ciblés par les groupes armés séparatistes, d’abord pour des raisons géographiques et par ailleurs pour des raisons historiques, avec de nombreux conflits fonciers dans cette région du Nord-Ouest. Les violences armées, déclenchées en 2017 ont, un petit peu, servi de moteur et ont militarisé des situations qui étaient déjà au préalable conflictuelles.
Dans ce rapport, vous êtes arrivés à documenter, meurtres, enlèvements, destructions d’habitations, commis par ces groupes séparatistes armés. Des groupes qui s’attaquent aussi aux enseignants et aux étudiants.
Effectivement, les groupes armés séparatistes, dès le début, s’en sont pris à tout ce qui, de près ou de loin, pouvait toucher à l’État. Donc, il y a eu une attaque généralisée contre toutes les personnes qui ne partagent pas leur combat et ce qu’on observe également depuis plusieurs années, c’est qu’au fur et à mesure que ces violences armées perdurent, les groupes armés se criminalisent de plus en plus.
Depuis le début de la violence armée, les forces de défense et de sécurité ont accru leur présence dans les régions anglophones. Ce que vous documentez aussi dans ce rapport, ce sont de graves violations des droits humains commises par ces forces don dans le département de Bui.
Ce que nous avons documenté à Bui, c’est ce qui existe dans d’autres régions, dans d’autres localités. C’est la partie seulement émergée de cet iceberg de violations extrêmement importantes. Les populations sont totalement prises en étau, d’où le titre « Avec ou contre nous ». Soit, « vous êtes avec nous, l’armée camerounaise, et si vous n’êtes pas avec nous, ça veut dire que vous êtes contre nous. Donc, on se permet d’incendier vos villages, de procéder à des arrestations arbitraires », qui sont également très nombreuses et qui se terminent souvent – quand elles se terminent devant des tribunaux -, devant des tribunaux militaires. Ce qui est évidemment illégal au terme du droit international.
Nous avons également documenté des viols et des violences sexuelles, qui sont également sans doute beaucoup plus nombreux que ce que nous avons recueilli. Nous avons également documenté ce que nous appelons des homicides illégaux, donc des meurtres commis par l’armée camerounaise. Les autorités camerounaises ont reconnu certains homicides illégaux dans certaines localités et ont annoncé certaines enquêtes et investigations. Malheureusement, ce que nous avons constaté, c’est qu’il y a eu beaucoup d’annonces et très peu d’enquêtes concrètes et très peu d’ouvertures concrètes de procès.
Justement, sur la réponse des autorités : non seulement dites vous, elles ne communiquent pas sur les éventuelles procédures engagées, mais surtout elles s’attaquent à celles et ceux qui dénoncent ces atrocités.
Effectivement, il y a très peu d’informations sur l’ouverture d’enquêtes, sur la tenue de procès et le déroulé des éventuels procès existants et malheureusement, il y a également très peu de collaboration avec les mécanismes internationaux onusiens et avec les institutions africaines. Mais en plus, comme vous le dites, les personnes qui souhaitent documenter les violations des droits humains commises par tout le monde sont victimes de harcèlement, voire d’arrestations arbitraires. Il faut préciser que cela va dans les deux sens : les défenseurs des droits humains sont victimes également de menaces de la part de groupes armés séparatistes. Donc, là-dessus, l’État camerounais fonctionne un petit peu de la même façon que les groupes armés qu’il combat.
En conclusion, vous faites un certain nombre de recommandations. D’abord, à destination des autorités camerounaises, mais vous demandez également aux pays qui fournissent des armes au Cameroun de mieux contrôler leur utilisation et de travailler avec les autorités, pour prévenir tout détournement au profit de groupes séparatistes armés. Ça a déjà été le cas ?
On a constaté, on a documenté dans certaines vidéos que des armes croates et des armes serbes ont été détournées par des groupes armés séparatistes, qui les ont obtenus après des attaques contre les armées camerounaises. Donc, nous disons à d’autres pays, « dans une moindre mesure, mais vous aussi, vous avez quand même livré un certain nombre d’armes aux autorités camerounaises, quelles sont les garanties avez-vous aujourd’hui, que des armes françaises ne servent pas à commettre des violations des droits humains ? » Et malheureusement, les réponses ne sont pas très claires. Pour parler des autorités françaises, nous n’en avons même pas eu.
Fabien Offner, vous avez transmis ce rapport aux autorités camerounaises ?
Tout à fait, comme nous le faisons systématiquement. Nous avons transmis le rapport à différents ministères pour une demande de droit de réponse. Nous n’avons malheureusement, à ce jour, pas reçu de réponse.