Le chef de l’État Paul Biya a quitté le 27 juin Paris, où il prenait part au sommet pour un nouveau pacte financier mondial, pour se rendre en Suisse. La Brigade anti-sardinards a d’ores et déjà prévu de gêner son séjour.
Depuis son accession à la magistrature suprême il y a plus de quarante ans, Paul Biya a passé plus de quatre ans à l’hôtel InterContinental de Genève, sans compter l’année supplémentaire qu’il faut ajouter si l’on prend en compte les voyages officiels, selon une enquête du consortium d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP).
Le 27 juin, quelques jours après avoir pris part au sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial, le chef de l’État camerounais a entamé un nouveau séjour dans ce luxueux palace, localisé à proximité du Palais des Nations de l’ONU. Malgré toute sa discrétion, il n’est pas passé inaperçu. Et les activistes de la Brigade anti-sardinards (BAS, mouvement d’opposition apparu au sein d’un certains nombres des ressortissants camerounais de l’extérieur au lendemain de la présidentielle de 2018) envisagent de perturber à nouveau le séjour du président.
Rassemblement le 1er juillet
Ces trublions ont ainsi annoncé qu’ils allaient s’organiser pour se rassembler aux abords de l’hôtel de Genève le 1er juillet. S’ils n’ont pas le droit de manifester devant l’établissement, ils se rassembleront dans l’après-midi sur la place des Nations, avec l’autorisation des autorités locales. Un activisme que les Suisses sont loin de méconnaître : depuis de nombreuses années, la tranquille Genève est régulièrement perturbée par les soubresauts de la politique camerounaise.
« AUCUNE INFORMATION N’A FILTRÉ SUR LES DÉPLACEMENTS DU CHEF DE L’ÉTAT »
« Nous savons que Paul Biya est en Suisse et nous envisageons d’aller là-bas », a confié un activiste. Du côté de la présidence, aucune information n’a filtré sur les déplacements du chef de l’État, et ce, pour des « raisons sécuritaires », a indiqué une source. Les autorités veulent en effet éviter tout désagrément qui auraient pour effet de nuire au séjour du président camerounais, lequel a déjà connu quelques journées mouvementées lors des années précédentes.
Persona non grata ?
En juin juillet 2019, le parvis de l’hôtel intercontinental avait notamment été transformé en zone de combat opposant une quarantaine d’activistes, la Direction de la sécurité présidentielle (DSP) et la très redoutée Direction générale de la recherche extérieure (DGRE). Un journaliste de la Radio télévision suisse (RTS) avait été pris à partie par la garde rapprochée du président, qui lui avait arraché son sac et son téléphone, et écrasé ses lunettes. Six membres de la sécurité du président avaient été interpellés puis interdits de séjour sur le territoire helvétique.
Ces épisodes de violence avaient amené des parlementaires à mener des actions au conseil du canton de Genève. En octobre 2020, une pétition avait été lancée par le député helvète Sylvain Thévoz. Objectif : déclarer Paul Biya persona non grata. Mais le conseil du canton avait rejeté la pétition, par 43 voix pour et 27 contre.
Quelques mois plus tard, un autre épisode avait obligé l’InterContinental, où le président réserve jusqu’à plusieurs étages aux frais de l’ambassade du Cameroun en France, à renforcer sa sécurité. En vain.
Le 17 juillet 2021, en dépit de la présence des membres de la DSP d’Ivo Desancio Yenwo, qui est de tous les voyages, une trentaine d’activistes de la BAS avaient ainsi lancé un nouveau raid contre l’hôtel pour déloger Paul Biya, dans le cadre d’une opération baptisée Catcham (attrapez le !). Cette dernière avait dégénéré et plusieurs activistes, qui pour certains avaient réussi à pénétrer les lieux, avaient été arrêtés par la police cantonale avant d’être libérés sous caution.
Culture du secret
Si ces actions sont vues par les soutiens du président comme irrespectueuses envers un chef de l’État en exercice, elles restent saluées par les défenseurs des droits de l’homme et les activistes comme un moyen de mettre en lumière les abus et l’impunité au Cameroun.
La BAS souhaite par ce moyen attirer l’attention de la communauté internationale sur la guerre civile qui sévit depuis 2016 dans les régions anglophones du Cameroun, au nord-ouest et au sud-ouest, et espère ainsi que des actions concrètes seront prises pour mettre fin aux violations des droits de l’homme et pour encourager un dialogue inclusif.
Pour l’heure, les multiples raids des activistes camerounais ont contribué à renforcer la culture du secret autour des déplacements du chef de l’État, gérés par le cabinet civil et dont, dans l’entourage de Paul Biya, nul ne sait à l’avance ni l’heure ni le jour. Au point où souvent, alors que l’avion a été affrété à l’aéroport, le président bouleverse son emploi du temps et improvise une balade en jogging aux abords du lac Léman, brouillant ainsi toutes les pistes.
Un autre impératif pousse encore les services présidentiels au silence : celui de ne jamais s’exprimer sur la santé du chef de l’État. Aux abords de Genève, Paul Biya a ainsi déjà fréquenté plusieurs établissements de santé VIP, notamment la très huppée – et secrète – clinique de Genolier.
Contacté, le cabinet civil du président n’a pas dérogé à la règle : il n’a pas souhaité répondre à nos interrogations.