Dans les régions de l’Extrême-Nord, du Nord et de l’Adamaoua, l’opposition compte capitaliser sur les frustrations populaires pour faire barrage à Paul Biya dans l’optique de la présidentielle 2025. La perspective d’une coalition se précise.
À près de 800 kilomètres au nord-est de Yaoundé, dans la région du Nord, se déroule, depuis une décennie, un remake politique du combat de David contre Goliath. Dans le rôle du géant : le très redouté Aboubakary Abdoulaye, lamido (sultan) de Rey-Bouba, membre du bureau politique du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) et premier vice-président du Sénat. Dans celui de l’outsider : Célestin Yandal, le jeune maire de la ville de Touboro, issu des rangs de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), parti d’opposition.
Les deux hommes s’affrontent depuis près d’une décennie : le cadet a accédé à la mairie de Touboro en 2013 et a depuis entrepris de s’opposer au puissant chef traditionnel du Nord. Il a ainsi défendu à plusieurs reprises des populations accusant Aboubakary Abdoulaye de violations des droits de l’homme. Des engagements qui lui ont notamment valu de connaître la prison en 2014. Sans que cela ne mette fin à la confrontation. « Nous sommes déterminés à ce que les choses changent », déclare Célestin Yandal, qui ne supporte plus de voir le Grand Nord traité comme du « bétail électoral ».
« Le Grand Nord, parent pauvre du renouveau »
L’affaire est plus politique et surtout bien plus nationale qu’il n’y paraît, entre le David de l’UNDP et le Goliath du RDPC. L’opposition a en effet décidé, ces dernières années, de multiplier les fronts dans les communes du Grand Nord (formé des régions du Nord, de l’Adamaoua et de l’Extrême Nord) en y affrontant les chefs traditionnels acquis au chef de l’État. Pour assurer son pouvoir – et sa réélection en 2025, si sa candidature venait à se confirmer -, « Paul Biya mise sur l’administration et les chefferies traditionnelles », explique le maire de Touboro, bien décidé à changer cet état de fait.
« NUL NE PEUT GÉRER CE PAYS S’IL N’A AVEC LUI LE GRAND NORD »
L’élu UNDP compte s’appuyer sur le ressentiment des populations des trois régions, qui, bien qu’elles aient jusqu’ici voté massivement pour Paul Biya et son parti, comptent toujours parmi les plus pauvres du pays. « Le “Grand Nord” est le parent pauvre du “renouveau” [le nom de la politique menée par Paul Biya depuis plusieurs décennies] », affirme Aboubakar Sabat, membre du bureau politique de l’UNDP. Il est donc temps, affirment les différents partis d’opposition, de capitaliser sur le rejet du RDPC et de redonner de l’influence politique au septentrion camerounais.
« Nul ne peut gérer ce pays s’il n’a avec lui le Grand Nord », se convainc Célestin Yandal, reprenant une célèbre citation de l’ancien vice Premier ministre et ministre de la Justice Amadou Ali, originaire de Kolofata, dans l’Extrême Nord. À eux seuls, les « Nordistes », qui se considèrent comme les « grands oubliés » du système Biya depuis la disparition de l’ancien président Ahmadou Ahidjo, peuvent ils faire basculer l’élection présidentielle ? Quoi qu’il en soit, l’hypothèse aiguise les appétits autant qu’elle ravive les tensions.
Vers une large alliance d’opposition ?
Lentement mais sûrement, les opposants, radicaux ou moins radicaux, grignotent donc du terrain dans le septentrion. Dans la région de l’Adamaoua, ils ont infligé de sérieux revers au parti au pouvoir lors des derniers scrutins municipaux. L’UNDP et Bobbo Salihou ont notamment réussi à conquérir la ville de Ngaoundéré, celle-ci devenant la seule capitale régionale du pays à ne pas être administrée par un élu RDPC. L’ « Adamaoua [en] paie aujourd’hui le prix », insinue d’ailleurs Célestin Yandal, qui cite la vétusté du réseau routier, le blocage de certains projets de développement, l’absence d’eau et d’électricité…
Au point de s’opposer au RDPC au-delà des scrutins locaux, lors de la plus importante des élections, la présidentielle ? Si rien ne change, « nous n’allons plus continuer notre alliance », déclare encore le maire de Touboro. « Nous allons tout faire pour gagner en influence et maintenir notre position dans le pays et plus précisément dans le Grand Nord. L’Adamaoua est notre fief, le Nord et l’Extrême-Nord également. Ces régions sont à reconquérir », projette de son côté Aboubakar Sabat, qui affirme vouloir se battre contre « la triche du camp d’en face », le RDPC.
L’idée d’une plateforme regroupant une large opposition, de l’UNDP au Mouvement pour la renaissance du Cameroun de Maurice Kamto, a même commencé à voir le jour avec pour socle commun le rejet du « bilan catastrophique » de Paul Biya, selon les mots d’Aboubakar Siroma, président du Social democratic front (SDF) dans l’Adamaoua. « Nous sommes totalement partant pour cette coalition, mais il faudra en amont définir les rôles et les mécanismes », explique, prudent, Karamoko Ousmane, président du comité directeur national du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), le parti de Cabral Libii.
La « main tendue » du MRC
La route est en effet encore longue, les accointances de certaines formations politiques avec le RPDC faisant grincer des dents, notamment, dans les rangs de Maurice Kamto. « La régionalisation des partis pose un sérieux problème, quand il faut parler d’opposition dans sa globalité », estime Célin Wappi Kamché, le secrétaire général des jeunes du MRC. « L’UNDP, le MDR, le FNSC, l’ANDP, etc. sont des partis alliés au régime, juge-t-il. Et la récente nomination des leurs au Sénat, prouve que leur alliance avec le RDPC n’est pas rompue. »
TANT QUE NOUS NE FERONS PAS DE COALITION, CE SERA DIFFICILE
Prudents, les différents partis avancent donc pour le moment chacun leurs pions sur l’échiquier du septentrion, où Cabral Libii et Maurice Kamto ont déjà entrepris de mettre leurs troupes en ordre de marche. Néanmoins, « la main du MRC demeure tendue et nous travaillons dans le cadre de la plate-forme », précise Célin Wappi. Même son de cloche du côté du SDF, qui plaide pour une large alliance face au « mastodonte » du RDPC et de l’État. « Tant que nous ne ferons pas de coalition, ce sera difficile de rivaliser », analyse ainsi Aboubakar Siroma.
Depuis le lancement de la campagne d’inscription sur les listes électorales, le MRC, le PCRN, l’UNDP et le SDF ont tous intensifié leurs actions. Les partis organisent régulièrement des opérations dans les villes et les villages, avec Elections Cameroon (Elecam), l’organe en charge des scrutins. Ils ont aussi multiplié les opérations de communication avec un objectif commun : encourager au retrait des cartes d’électeurs et sensibiliser les populations à l’utilité du vote. Les prémices d’une alliance plus concrète, tournée vers la surveillance du scrutin et le barrage à une éventuelle fraude massive ? L’hypothèse est posée.