Le Belge Patrick Eeckelers aura tenu quinze mois à la tête de l’énergéticien. Les grèves à répétition, notamment des sous-traitants, et une atmosphère délétère au sein de la filiale du britannique Actis auront eu raison de lui.
Nommé à la tête d’Energy of Cameroon (Eneo) en mars 2022, Patrick Eeckelers vient de jeter l’éponge. Le conseil d’administration a pris acte de la démission du Belge le 26 juin. Face à la pression de Yaoundé, le fonds britannique Actis, détenteur de 51 % des parts de l’énergéticien, a dû céder. « La préoccupation de Yaoundé, inquiète de la détérioration du climat social au sein de l’entreprise, devenait forte », lâche un expert du secteur.
Ce départ intervient au moment où se poursuivent les négociations pour la reprise de l’énergéticien par un consortium local, composé de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) et de la Société nationale des hydrocarbures (SNH). « Il n’affectera en rien le processus en cours », insiste une source proche du dossier.
Crise avec les sous-traitants
Le dirigeant démissionnaire se targue néanmoins d’un bilan positif. « Aujourd’hui, Eneo a une vision d’investissement [600 millions d’euros entre 2021 et 2031, ndlr] plus claire pour les années à venir, en contribution aux objectifs du secteur. Avec un financement adéquat et plus de collaboration avec d’autres acteurs, je crois que le secteur aura la capacité de répondre aux besoins croissants en électricité des ménages, des entreprises et des industries », évoque-t-il dans un communiqué. Ce ne sont pas les près de 440 milliards de francs CFA (670 millions d’euros) de chiffre d’affaires réalisé en 2022, pour un bénéfice de plus de 10 milliards de francs CFA, qui auraient pu le sauver.
LE BELGE NE TARDE PAS À PRENDRE LA MESURE DE LA CAPACITÉ DE NUISANCE DE SES ENNEMIS TAPIS DANS L’OMBRE
Le Belge, qui n’a pas donné suite à la sollicitation de Jeune Afrique, pâtit d’une gestion de ses rapports avec les partenaires pour le moins tendue. Au début du mois de mai, le Français Jean-Luc Farges, l’un des collaborateurs d’Eeckelers, est traité d’ »esclavagiste » devant la principale agence de Yaoundé par des employés des entreprises sous-traitantes en grève, une parmi tant d’autres au cours des derniers mois. Des pancartes sont brandies, sur lesquelles est, par exemple, écrit : « Mort programmée de plus de 120 PME par Eneo ».
Crise avec les sous-traitants donc, mais également atmosphère délétère en interne, notamment entre le patron et certains proches collaborateurs inquiets de voir leurs prérogatives rognées. D’autant que Eeckelers, en croisade contre les charges de l’entreprise, entame une chasse à la fraude, dont les ramifications s’étendent au sein de la maison. Et il ne tardera pas à prendre la mesure de la capacité de nuisance de ses ennemis tapis dans l’ombre.
Arrêté par la police judiciaire
Le 17 août, le Belge est interpellé à l’hôtel Hilton de Yaoundé, où il séjourne, sur dénonciation d’un employé licencié pour fraude. Il est conduit à la police judiciaire, et est interrogé pendant deux heures. Sa libération intervient après quelques interventions.
« Il ne s’en est jamais remis » glisse une source interne à l’entreprise. Affecté, Patrick Eeckelers lève le pied et s’absente souvent alors que la situation se dégrade. De plus en plus distendues, ses relations avec Yaoundé en prennent un coup.
« Ce sont davantage ses adjoints que l’on voyait dans les réunions et qui ont fini par avoir l’oreille du gouvernement », commente notre source.
Remplacé par un Franco Marocain
C’est probablement la raison pour laquelle le fonds britannique a jeté son dévolu sur Amine Homman Ludiye pour le remplacer.
En vertu de la convention de concession, le poste de président du conseil d’administration revient à l’État, tandis que l’actionnaire de référence coopte le directeur général. Chaque partie désigne un directeur général adjoint.
Issu de l’écurie Actis, le Franco-Marocain, ingénieur diplômé de l’École polytechnique de l’université de Nantes, et titulaire d’un master professionnel en innovation et nouvelles technologies de l’École polytechnique de Paris, occupait depuis deux ans le poste de directeur général adjoint chargé de la production au sein de l’énergéticien. Cet ancien d’Engie a pour priorité de ramener de la sérénité dans une entreprise où couvent des étincelles.