De nouveaux témoignages recueillis par Reporters sans frontières pourraient contribuer à faire la lumière dans l’affaire Martinez Zogo. Mais beaucoup de questions demeurent et les doutes sur la sincérité de l’enquête ne sont pas dissipés.
« À un moment, je suis allé lui chercher de l’eau. À mon retour, il avait l’oreille coupée », témoigne l’un des treize agents de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE) impliqués dans l’affaire de l’assassinat, le 17 janvier, du journaliste camerounais Martinez Zogo. Dans une série de témoignages publiés le 3 août 2023, Reporters sans frontières entend aider à faire la lumière sur une affaire dans laquelle plusieurs questions demeurent.
L’élimination du journaliste d’Amplitude FM était elle un projet d’assassinat ou un passage à tabac qui a dégénéré ? Comment expliquer les traces d’acides, selon le rapport d’autopsie, détectées sur son visage ? Quel était le rôle du locataire du véhicule ayant servi à sa traque ? Et du mystérieux commando ayant perturbé l’enlèvement, lui-même perpétré par une première équipe menée par le colonel Justin Danwe ?
Torture et traces de sang
Arnaud Froger, responsable du bureau investigation chez RSF, confie que « ces éléments nouveaux viennent du fait qu’on a eu accès à trois agents du commando emprisonné [13 au total ayant supposément participé à l’assassinat], à des sources proches du dossier ainsi qu’à des sources bien informés ». Parmi elles : le propriétaire du véhicule ayant servi à l’enlèvement qui, selon le défenseur du droit des journalistes, croyait savoir à qui il prêtait sa voiture mais qui « ignorait tout » de l’usage qui allait en être fait.
C’est au moment de la récupérer, le 18 janvier, que ses locataires vont trouver des prétextes pour ne pas lui restituer en temps et en heure. La voiture, contenant un vêtement militaire et des traces de sang, lui sera rendue le 22 janvier 2023 dans la précipitation. Chose curieuse, c’est ce même jour qu’est découvert le cadavre de Martinez Zogo. « C’est à ce moment là qu’il comprend que son véhicule a servi à ce qui s’est passé dans cette affaire », confie Arnaud Froger.
L’un des agents du renseignement, rencontré par RSF en prison ces dernières semaines, raconte que la filature de Martinez Zogo, qui a précédé son enlèvement, s’est étalée sur une dizaine de jours. Les équipes dont il faisait partie se relayaient par groupe de sept pour suivre les allées et venues du journaliste 24/24. Une fois enlevé, le journaliste sera emmené à Soa, une commune limitrophe de Yaoundé, au nord de la capitale camerounaise. C’est dans cette localité, à la nuit tombée, qu’ont commencé les actes de torture contre le journaliste, selon les sources de RSF.
« Au départ, le but n’était pas de le tuer »
Selon RSF, Martinez Zogo est ensuite transporté dans l’immeuble Ekang, un bâtiment appartenant à Jean-Pierre Amougou Belinga, propriétaire du groupe de médias L’Anecdote et des chaînes Vision 4 Télévision et Télésud. Il n’en sortira pas vivant. « Au départ, le but n’était pas de le tuer », explique à RSF, l’un des membres du commando présent ce soir-là. « À un moment, je suis allé lui chercher de l’eau. À mon retour il avait l’oreille coupée », se souvient il. Et de noter que le journaliste fera l’objet d’actes de tortures inouïs : coups, mutilations, sévices à caractère sexuel, peau de la plante des pieds arrachée…
Selon la même source, la vidéo est envoyée à Amougou Belinga. Le corps du journaliste sera ensuite emballé dans du papier aluminium et transporté nuitamment, dans un terrain vague, à l’abri des regards, pour « tenter de le faire disparaître avec de l’acide ». Et ce, après deux jours d’hésitations et d’atermoiements. C’est alors qu’un événement inattendu se serait produit, perturbant le cours de l’opération de l’escadron de la mort.
Un mystérieux commando
Dans ces nouveaux éléments à charge, RSF dévoile la présence d’un second commando, lui aussi composé d’éléments de la DGRE, qui se serait rendu sur les lieux « pour mettre fin à cette entreprise de dissimulation ». C’est alors que surpris, le premier groupe prendra la fuite avant d’avoir achevé son forfait. Le second déposera le cadavre du journaliste sur un chemin de terre en faisant en sorte qu’il puisse être retrouvé.
Mais qui étaient les membres de ce second commando ? Comment ont-ils su ce qu’il se passait ? Pourquoi ont-ils laissé le corps à la vue de tous ? Autant de questions posées par RSF. « Ce sont des réponses indispensables que l’enquête doit fournir pour comprendre le déroulé des événements », affirme Arnaud Froger. Néanmoins, les informations disponibles permettent déjà de comprendre que « la DGRE n’est pas un ensemble monolithique, qu’il peut y avoir des rivalités, que certaines personnes qui n’étaient pas de l’opération ont pu être au courant et ont voulu intervenir ».
Si l’organisation a creusé cette piste, c’est à cause « d’une contradiction qui émane de l’enquête ». « Il y a une volonté manifeste à un moment donné d’avoir voulu faire disparaitre le corps de Martinez Zogo. » Selon RSF, les traces d’acides découvertes sur le visage de Martinez Zogo pourraient indiquer « qu’on a voulu se débarrasser de son corps à un moment, mais qu’il y a eu un événement qui a tout perturbé ».
Si certains éléments permettent d’éclaircir les circonstances de cette affaire, RSF affirme cependant que d’autres ont « disparu » au cours de l’instruction, faisant planer le doute sur la volonté réelle des autorités d’établir la vérité. Si l’organisation juge l’enquête « très opaque », Me Charles Tchoungang, l’avocat de Jean-Pierre Amougou Belinga, dit faire confiance à la justice camerounaise. « Ceux qui ont la vérité infuse seront surpris », glisse-t-il, insinuant au passage que beaucoup d’acteurs de cette affaire auraient des « agendas cachés ».