Du Gabon au Tchad en passant par le Cameroun et le Congo, les États de la Cemac souffrent d’un manque cuisant de liaisons aériennes durables.
Le 25 avril prochain, Camair-Co sera de retour à Bangui, à raison de trois vols par semaine depuis son hub de Douala. Une bonne nouvelle pour la connectivité dans une région, l’Afrique centrale, où les compagnies aériennes ne sont pas si nombreuses. De fait, on n’y compte plus les faillites : Camair (2008), Tchadia Airlines (2022), Toumaï Air Tchad (2012), Air Gabon (2005), Gabon Airlines (2011), Ecair (2016)…
Et les projets, qu’il s’agisse de la relance d’ECair ou de la naissance de la compagnie régionale Air Cemac (avortée en 2015), peinent à voir le jour.
Si chaque pays et chaque compagnie a son histoire propre, des traits communs se dégagent pour expliquer ces échecs en série.
Location des avions, kérosène, taxes et services aéroportuaires… Pour les transporteurs, les coûts des opérations en Afrique centrale sont « parmi les plus élevés du monde », constate Marc Gaffajoli, directeur général d’Afrijet. La compagnie privée, basée au Gabon et déjà opérationnelle au Cameroun, au Congo, au Bénin et en Guinée équatoriale, ne s’en sort pourtant pas si mal. Début mars, elle a décroché un financement BGFI-BDEAC de 8 milliards de francs CFA (12 millions d’euros) pour étendre ses opérations, notamment en RDC.
« Non seulement les taxes sont élevées, mais en outre leur objet est flou, car elles sont loin d’être toujours utilisées pour développer le secteur », renchérit Nowel Ngala, directeur commercial d’Asky. Basée à Lomé, la compagnie privée est très présente dans la région, dont elle dessert toutes les capitales, politiques comme économiques. « Nous y avons un niveau d’activité correct, même si la zone est assez difficile », assure-t-il.
En tant que voyageur, consommateur ou passager, lorsque vous voyagez en Afrique, en particulier en Afrique Centrale et Occidentale, 40 à 50 % du coût total du billet d’avion payé à la compagnie aérienne qui vous transporte est constitué de taxes, de redevances et de frais qui sont reversés aux gouvernements.
De son côté, Romain Ekoto, chef du département aviation de la Banque africaine de développement (BAD) relève aussi « un coût des services d’assistance en escale particulièrement élevé, du fait de situations de monopole », mais craint que « baisser ces charges aéroportuaires sans une vraie implication des compagnies aériennes dans la démarche n’impacte qu’à la marge le prix des billets ».
Or, les tarifs pratiqués sur ces lignes sont particulièrement élevés. « Avec 70 euros de taxes pour un vol régional au départ de Libreville, on est contraint d’afficher des prix de plusieurs centaines d’euros. Or, il y a une vraie barrière psychologique à ce que les gens sont prêts à payer pour un trajet relativement court », estime Marc Gaffajoli.
D’autant que les pays concernés sont parmi les plus pauvres de la planète. Or, assure l’expert aéronautique Vasuki Prasad, « les données sont formelles : c’est le PIB qui détermine la demande de transport aérien, pas la taille de la population ».
En outre, les ressortissants de la région se voient appliquer des restrictions de voyage pour se déplacer d’un pays à l’autre et les e-visa sont quasiment inexistants.
Conséquence certaine, « les déplacements intrarégionaux demeurent très erratiques, à l’image des échanges commerciaux intra-zone (moins de 5 % du volume global des échanges) », indique la Banque de développement des États d’Afrique centrale, qui se veut « à l’avant-garde du développement du secteur des transports » dans la région.
Des arguments qui peinent cependant à convaincre Nowel Ngala, pour qui il convient de faire le raisonnement inverse : « On a souvent tendance à sous-estimer l’impact d’une bonne connectivité sur la croissance du PIB. Pourtant les effets sont réels dans les secteurs du commerce ou du tourisme. »
Le 16 janvier dernier, Ruslan Obiang Nsue, l’un des fils du président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, soupçonné d’avoir vendu un avion de la compagnie aérienne nationale Ceiba International, a été arrêté et placé en résidence surveillée. L’histoire de la Camair recèle également sont lot d’arrestations, de pots-de-vin et de procès pour corruption.
Sans présumer de malversations systématiques, on peut cependant relever, dans la gestion des compagnies de la région, des erreurs de gouvernance et des projets aux perspectives financières discutables sinon erratiques.
« J’ai vu passer des business plan qui ne se fondaient que sur les capacités maximales des appareils pressentis, sans tenir compte de la demande réelle, leurs auteurs étant persuadés que celle-ci allait mécaniquement suivre l’offre. Or, ce n’est pas le cas », témoigne l’expert en aviation Sean Mendis, qui fustige également la propension des actionnaires de compagnies aériennes, notamment étatiques, de se lancer à tout prix sur un marché international où ils sont incapables de faire face à des acteurs comme Air France.
Or, précise Marc Gaffajoli, « l’aviation est une industrie où les coûts sont très élevés et les marges très faibles. Conséquence, la moindre erreur, le moindre mauvais choix de flotte vous mène dans le mur ». Le dirigeant déplore « un mélange des genres entre managements public et politique, avec des compagnies publiques dont le modèle d’affaires, quand il existe, est dévoyé en cours de route ».
« Les États doivent cesser de vouloir agir en lieu et place des transporteurs aériens et de se positionner dans un rôle de stratège. Leur priorité doit être d’assouplir leurs contraintes et d’améliorer la compétitivité de leurs écosystèmes, ce qui ne les empêche pas d’instaurer des obligations de service public. Dans ces conditions, il n’y a pas de raison que les entrepreneurs ne s’emparent pas du marché », assure-t-il.
C’est en tout cas ce qui a marché pour Afrijet, qui s’est lancé à la base dans des vols privés à destination des sociétés pétrolières, avant de proposer des liaisons régulières sur les courtes et moyennes distances.
« Faute de combattants, quand vous vous positionnez, vous remplissez rapidement votre cabine », se félicite-t-il.
« Une compagnie par pays en Afrique centrale, à mon sens, cela ne se justifie pas », tranche Romain Ekoto. Mais, dans ce cas, de Brazzaville, Douala ou Libreville, qui doit l’emporter ?
Dans les négociations, chaque pays a tendance à vouloir tirer la couverture à lui, ce qui a précipité l’échec des négociations autour de la création d’Air Cemac. « Dans le cas d’une compagnie partagée, il est toujours délicat de trancher les questions de capital et de base opérationnelle », commente Sean Mendis, qui précise que le problème n’est pas propre à l’Afrique centrale, il se pose aussi ailleurs, par exemple au sein de la SAS Scandinavian.
Il n’est d’ailleurs pas nouveau. Dès les années 1970, les pays de la région (République populaire du Congo, Tchad et Centrafrique en tête) se faisaient déjà tirer l’oreille pour honorer leur quote-part au fonctionnement d’Air Afrique. Le Cameroun et le Gabon ont également été les premiers pays à quitter la compagnie panafricaine pour fonder leur propre pavillon.
L’entrée en vigueur du Marché unique du transport aérien africain (Mutaa) pourrait changer la donne. Tous les pays de la région ont beau avoir signé le traité de Yamoussoukro, « il faut maintenant passer aux actes », presse Nowel Ngala, qui a été nommé en novembre 2022 ambassadeur du Mutaa pour l’Afrique centrale.
En résumé, les axes d’amélioration pour améliorer la connectivité régionale sont nombreux, et tous plus prioritaires les uns que les autres. La première Conférence internationale sur le transport aérien en Afrique centrale (Citac), qui s’est tenue sur la question à Douala fin janvier, a d’ailleurs formulé des recommandations tant aux États qu’aux compagnies aériennes du secteur, sans oublier les régulateurs, les institutions financières et les centres de formation, qui ont aussi leur rôle à jouer.
« La BAD est en train de lancer une étude avec la Conférence européenne de l’aviation civile (CEAC) pour examiner les blocages et proposer des solutions qui se veulent pratico-pragmatiques, car certains de ces obstacles ne demanderaient pas énormément de moyens pour être levés », indique Romain Ekoto, qui promet un rapport définitif « avant la fin de l’année ».
Pour Nowel Ngala, « le défi n’est pas de savoir quel hub ou quelle compagnie l’emportera in fine, mais de résoudre ce criant problème de connectivité ».