Le Canada espère encourager davantage de travailleurs du secteur des technologies à visiter le pays et à y travailler. Or, des experts craignent que ces efforts se fassent au détriment de travailleurs migrants d’autres secteurs.
Le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, déclarait la semaine dernière que le gouvernement fédéral étudiait une liste de politiques visant à encourager les travailleurs du secteur des technologies à revenus élevés à venir stimuler le secteur technologique canadien.
La stratégie qu’il propose prolonge notamment la durée des permis de travail accordés aux entrepreneurs. Elle donne aussi la possibilité aux candidats de demander un permis ouvert de trois ans plutôt qu’un permis d’un an limité à une entreprise particulière.
Le ministre propose également une stratégie de nomades numériques
afin de permettre aux personnes qui travaillent pour des entreprises étrangères de rester au Canada jusqu’à six mois.
Bien que cette initiative puisse contribuer à faire venir des milliers de nouveaux travailleurs pour combler les pénuries de main-d’œuvre et stimuler l’innovation, des opposants estiment que le gouvernement risque de perpétuer un système d’immigration inéquitable qui donne plus de mobilité et de liberté à certains travailleurs qu’à d’autres.
Les permis de travail ouverts et le programme de travail souple devraient être offerts à tous les types de travailleurs migrants, tout particulièrement dans les secteurs qui connaissent une pénurie de main-d’œuvre tels que l’agriculture et la santé, estime Syed Hussan, directeur général de l’Alliance des travailleurs migrants pour le changement.
« Pourquoi certains groupes ont-ils plus de droits que d’autres? »
Les travailleurs de ces secteurs, souvent mal rémunérés et originaires de pays en développement, reçoivent généralement des visas restreints qui limitent leur séjour au Canada en fonction de leur travail auprès d’un employeur.
Leur statut complique aussi l’obtention d’une couverture médicale et limite leur capacité à dénoncer les abus par crainte de perdre leur permis, souligne-t-il.
Nouveau fossé entre les riches et les pauvres
Selon Valerie Ann Preston, professeure à la Faculté des changements environnementaux et urbains de l’Université York à Toronto, le Canada a commencé à donner la priorité aux travailleurs hautement qualifiés dans le domaine des technologies dans les années 1990, en raison de l’engouement pour Internet.
Plusieurs avantages ont alors été accordés à ces travailleurs : la possibilité de ne pas être lié à un seul employeur, la permission pour leurs conjoints de travailler après avoir immigré au Canada et l’accès plus facile à une résidence permanente.
Ce que je trouve intéressant, c’est qu’on a maintenu cette position privilégiée pour les travailleurs du secteur des technologies
, remarque la professeure.
Bon nombre de ces personnes viennent des régions les plus riches et les plus développées du monde, telles que l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée du Sud.
En revanche, les migrants qui se voient accorder des visas de travail plus limités viennent, de manière disproportionnée, d’Afrique, des Caraïbes, d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud et de certaines régions d’Asie.
Ils sont souvent hautement qualifiés dans leur pays d’origine pour leur secteur d’activité, mais ont du mal à transférer ces compétences sur le marché canadien, ce qui peut être attribuable aux limitations de leur permis de travail, explique Mme Preston.
Ils finissent alors par faire un compromis en travaillant dans des secteurs d’activité en demande.
Ils peuvent arriver avec beaucoup de compétences et d’expérience, mais ils occupent des emplois qui ne leur offrent pas l’occasion de progresser
, déplore la professeure.
Changer le système
Selon John Shields, professeur de politique et d’administration publique à l’Université métropolitaine de Toronto, la décision du gouvernement d’attirer les travailleurs du secteur des technologies s’inscrit dans son plan plus large d’utiliser l’immigration comme moyen de remédier aux pénuries de main-d’œuvre.
Le gouvernement risque toutefois d’avoir une loi sur l’immigration inéquitable s’il n’ajuste pas ses critères d’acceptation pour ceux qui travaillent dans les différents secteurs, prévient M. Shields.
Interrogé sur la possibilité pour le gouvernement d’étendre les permis ouverts à d’autres travailleurs migrants, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a déclaré que si les permis de travail spécifiques à l’employeur protègent
le marché du travail canadien, il comprend le besoin de flexibilité dans ce domaine
.
C’est pourquoi, depuis 2019, nous avons permis aux ressortissants étrangers ayant un permis de travail spécifique lié à un employeur de demander un permis de travail ouvert s’ils sont victimes d’abus ou risquent d’en vivre sur leur lieu de travail
, a indiqué la porte-parole Sofica Lukianenko, dans un communiqué envoyé par courriel, ajoutant que les personnes peuvent également demander de nouveaux permis de travail et changer rapidement d’employeur si elles ont une autre offre d’emploi.
De l’avis de Syed Hussan, cependant, le gouvernement doit renoncer complètement à un système à plusieurs vitesses et s’orienter vers une immigration qui accorde à tous les travailleurs la résidence permanente dès leur arrivée.
Le professeur Shields abonde dans le même sens : Nous devons combler ces lacunes sur l’ensemble du marché du travail, y compris dans d’autres domaines qui devraient être mieux reconnus et mieux rémunérés.