Une ONG pro Pékin fondée par un élu hongkongais controversé et ardent défenseur de la loi sur la sécurité nationale a obtenu l’an dernier un statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social de l’ONU.
L’avocat et conseiller hongkongais Junius Ho a été au cœur de scandales en 2019 après avoir publié une vidéo sur Facebook en 2019 dans laquelle il proférait ce qui a été interprété internationalement comme des menaces de mort envers un élu hongkongais prodémocratie.
À la même époque, il a de plus défendu des hommes habillés en blanc et armés de bâtons qui ont violemment attaqué des manifestants prodémocratie à Hong Kong. Il était à ce point détesté par le camp prodémocratie qu’il a été victime d’une attaque au couteau en 2019. Son agresseur a écopé neuf ans de prison.
Junius Ho a mis sur pied International Probono Legal Services Association en 2018 avec son frère. Après des années de démarchage, le Conseil économique et social de l’ONU a finalement accordé un statut consultatif spécial à l’ONG en décembre dernier.
Les ONG ayant reçu ce statut peuvent entre autres soumettre des rapports et participer aux réunions du Conseil des droits de la personne de l’ONU en tant qu’observateurs.
L’ONG de Junius Ho ne dissimule même pas ses objectifs et estime qu’il est de son devoir de bien raconter les histoires provenant de Chine
.
L’Organisation dispose d’un Centre d’Éducation sur la Sécurité nationale consacré à la défense de l’Article 23 de la loi fondamentale. Il s’agit de l’article sur la sécurité nationale interdisant la trahison, la sécession, la sédition et la subversion en plus d’interdire aux organisations étrangères de mener des activités politiques à Hong Kong.
Junius Ho a même signé une lettre ouverte publiée dans le China Daily le 16 février dernier intitulée Un comité de l’ONU devrait empêcher les ONG ayant des motivations politiques de discréditer la Chine
.
Dans la publication, il qualifie d’illégal le travail d’Amnistie Internationale, Human Rights Watch et Uyghur Human Rights Project sur les atrocités commises contre la minorité ouïghoure en Chine. Il demande de plus au Conseil économique et social de l’ONU (dont son ONG a obtenu le statut consultatif spécial) de rejeter le plus récent rapport du site Xinjiang Victims Database (banque de données sur les victimes dans la région du Xinjiang).
Je n’étais pas surprise que l’organisation de Junius Ho obtienne un statut consultatif
, affirme Carmen Lau, une ancienne élue prodémocratie de Hong Kong vivant aujourd’hui en exil au Royaume-Uni.
Selon elle, les signaux étaient là déjà lors de rencontres précédentes de comités de l’ONU importantes pour la diaspora hongkongaise, celles de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR).
« De nombreuses ONG affiliées à l’État chinois ont soumis leurs propres rapports à ces comités. Les partisans pro Pékin tentent de modifier le discours international afin de fournir une voix à la Chine en matière de droits de la personne. »
Près du double d’ONG chinoises à l’ONU depuis cinq ans
Selon les recherches de Photon Media, 101 ONG chinoises sont aujourd’hui dotées du statut consultatif auprès des différents comités de l’ONU. Il y en avait 54 en 2018.
C’est une stratégie classique de la Chine. Elle investit les organisations internationales existantes tout en les contournant
, soutient Antoine Bondaz de la Fondation pour la recherche stratégique. Pour Pékin, il faut les façonner de l’intérieur, ou en créer des alternatives.
« Façonner de l’intérieur ces organisations, c’est changer le ton, les règles. Si ce n’est pas possible comme avec l’ONU, c’est d’instrumentaliser les procédures ou de les investir avec des acteurs Chinois qui vont défendre de l’intérieur les intérêts de Pékin. »
Ce qui compte pour la Chine, c’est l’influence sur le long terme, et pour cela, il faut altérer les perceptions internationales. Multiplier les voix chinoises au sein des organisations internationales est un moyen comme un autre
, explique t-il.
Parmi les organismes chinois qui ont obtenu un statut consultatif, on retrouve l’Association des patriotes bénévoles de la province du Shaanxi qui se présente comme une organisation pour la promotion de l’idéologie patriotique chinoise.
Une des autres ONG approuvées est la Fédération chinoise des organisations sociales sur Internet.
Après l’approbation de son statut consultatif, elle a publié un communiqué dans lequel elle promettait de promouvoir la réforme du système mondial de gouvernance du web et d’utiliser la plate-forme de l’ONU pour bien raconter les histoires chinoises.
Même si les tactiques d’ingérence chinoises au sein des organisations mondiales et de nombreux gouvernements de la planète (dont au Canada) sont connues et répandues, il n’en demeure pas moins qu’elles fonctionnent dans une certaine mesure. Ce qui est navrant et inquiétant pour la diaspora hongkongaise en exil.
Oui, c’est frustrant
, lance l’ex conseillère Carmen Lau. Le Royaume-Uni où je réside essaie de relancer sa relation économique avec la Chine. D’un côté, on nous dit qu’on comprend les violations des droits de la personne commises en Chine, mais de l’autre on voit leur dépendance à l’économie chinoise.
« Ce n’est pas que frustrant, ça nous incite aussi à la prudence. On comprend qu’on ne sera peut-être pas protégé comme on le croyait contre les menaces de partisans pro Pékin ou la répression transnationale. «
Dans un rassemblement de manifestants hongkongais prodémocratie à Southampton, dans le sud de l’Angleterre, le 11 juin dernier, des activistes pro Pékin ont attaqué des participants. Quelques incidents du genre ont été rapportés en Angleterre ces dernières années et la diaspora hongkongaise déplore ces attaques commises en toute impunité.
Pas question de se décourager
Malgré tout, l’ex conseillère hongkongaise refuse de se laisser décourager par la présence grandissante d’ONG ouvertement pro Pékin au sein des comités de l’ONU.
Nous pouvons, en quelque sorte contrer ce genre d’actions systématiques du camp pro Pékin. La diaspora hongkongaise pourrait être plus proactive dans les mécanismes ou comités des Nations Unies. Nous devons être optimistes et nous devons continuer à faire ce que nous faisons.
Ça pourrait cependant s’avérer être plus difficile à faire.
Le cas de Taïwan banni de nombreuses institutions de l’ONU est révélateur. Encore le mois dernier, l’île souveraine s’est vue refuser le statut d’observateur aux travaux de l’Organisation mondiale de la santé et les journalistes taïwanais ont aussi été bannis après des protestations chinoises.