Pour relever efficacement le défi de la lutte contre l’inflation, la BEAC a retenu comme thématique de recherche pour l’année 2023 « l’inflation dans la CEMAC et ses Etats membres». Il est donc attendu que la réalisation des travaux de recherche suivant cette thématique délivre, aux responsables de la Banque Centrale et aux membres de son Comité de Politique Monétaire, des explications précises sur les mécanismes à l’œuvre dans la dynamique de l’inflation dans la Zone et dans chacun des pays pris individuellement.
Après une longue période de forte modération au cours de laquelle elle était considérée comme maîtrisée par les autorités en général et les banquiers centraux en particulier, l’inflation est revenue en force à la faveur des perturbations dans les chaines mondiales d’approvisionnement en sortie de pandémie de la Covid-19, du renchérissement de l’énergie et des conséquences induites par la guerre en Ukraine. Le maintien probablement plus longtemps que nécessaire, en Occident, des politiques monétaires accommodantes pour relancer les économies alors en berne, a également participé à cette situation. De l’avis de François Villeroy de Galhau Gouverneur de la Banque de France ,
» l’inflation est devenue non seulement plus haute mais plus large; non seulement importée mais domestique; non seulement liée à un choc d’offre temporaire mais potentiellement persistante ».
Face à cette réalité pernicieuse, pour lui, l’arme appropriée pour une victoire durable contre l’inflation est en premier lieu monétaire, et ensuite structurelle, à l’effet d’accroître l’offre de biens et de services. Il relève enfin que les mesures budgétaires peuvent également y être associées, même s’il reconnait que leur portée est essentiellement de court terme.
Cette position du Gouverneur de la Banque de France , est également partagée à la Banque des Etats de l’Afrique Centrale qui a fait de la lutte contre l’inflation sa priorité, surtout dans le contexte actuel marqué par une stabilité externe de la monnaie, avec un taux de couverture extérieure de la monnaie confortable à plus de 73,1 % à fin décembre 2022, et un niveau de réserves de change de près de 5 mois d’importations des biens et services à la même date. En effet, dans la CEMAC, après des niveaux en moyenne annuelle au-dessous de 3 % depuis la fin des années 90, le taux d’inflation s’est hissé à 5,6 % en 2022, après 1,6 % en 2021 et 2,3 % en 2020, et les projections jusqu’en 2025 tablent sur une inflation qui persisterait au-dessus de la norme communautaire de 3 % en moyenne
annuelle, pour probablement revenir autour de 2,7 % en décembre 2026. Pour relever efficacement le défi de la lutte contre l’inflation, la BEAC a retenu comme thématique de recherche pour l’année 2023 « l’inflation dans la CEMAC et ses Etats membres».
Il est donc attendu que la réalisation des travaux de recherche suivant cette thématique délivre, aux responsables de la Banque Centrale et aux membres de son Comité de Politique Monétaire, des explications précises sur les mécanismes à l’œuvre dans la dynamique de l’inflation dans la Zone et dans chacun des pays pris individuellement. La quantification et la datation de la durée de l’impact des mécanismes identifiés et leurs canaux respectifs de propagation permettront à envisager et apprécier sereinement les mesures idoines de politiques à mettre en œuvre ainsi que les effets visés au cours du temps. Pour y parvenir, quatre (4) axes de recherche dont un subsidiaire sont retenus pour l’année 2023 par la BEAC, à savoir :
1. Quel(s) indicateurs de mesure de l’inflation et pour quelle pertinence dans la CEMAC et ses pays membres ?
2. Les déterminants de l’inflation dans la CEMAC et dans ses Etats membres
3. Cibles/ Seuils d’inflation dans la CEMAC et ses Etats membres
4. Quel type de régime de dominance dans la CEMAC : budgétaire ou monétaire ?
Axe de recherche n° 1: Quel(s) indicateurs de mesure de l’inflation et pour quelle pertinence dans la CEMAC et ses pays membres ?
Deux préoccupations majeures pourraient être explorées dans ce premier axe de recherche. Tout d’abord, alors que dans la plupart des banques centrales à travers le monde, le taux d’inflation à partir duquel est appréciée la stabilité des prix à moyen terme est la variation en glissement annuel d’un indice mensuel du niveau général des prix, dans la CEMAC en revanche il s’agit de la variation de la moyenne annuelle des indices mensuels des prix à la consommation des ménages.
Une analyse comparative de ces deux types de mesures devrait permettre d’en évaluer la pertinence dans l’espace et dans le temps pour la conduite de la politique monétaire, à l’effet de disposer définitivement des éléments de comparaison avec le reste du monde, ou sinon conforter le choix opéré par la BEAC. Ensuite, en fonction de la mesure utilisée, la plage temporelle couverte n’est pas la même, ce qui pose obligatoirement une différence dans l’évaluation de la dynamique de l’inflation. Une des caractéristiques devant être adressée est celle du caractère persistant ou transitoire des évolutions actuellement observées dans la dynamique des prix. En effet, lors de l’application des politiques économiques, la persistance est un problème à prendre en compte car elle affecte leur efficacité. Par conséquent, connaître cette qualité dans les mesures de l’inflation est essentiel pour l’appréciation de l’efficacité et l’efficience des politiques envisagées pour en impacter la dynamique.
Une autre préoccupation connexe se rapporterait à l’exploration des mesures d’inflation tendancielle ou sous-jacente, qui permettraient de mieux estimer l’évolution de la composante persistante de l’inflation, et pour la Banque Centrale de bien focaliser son attention sur la composante de l’inflation véritablement influençable par ses impulsions de politique monétaire. Dans la phase actuelle de l’évolution du niveau général des prix, ainsi quel’ a relevé M. Villeroy de Galhau, les mesures de l’inflation ne seraient toutefois pas les plus appropriées pour identifier en temps réels des retournements dans la composante persistante de l’inflation. Cette prise de position nécessiterait également d’être challengée en ce qui concerne la Banque des Etats de l’Afrique Centrale sur les économies de ses Etats membres.
Axe de recherche n° 2: Les déterminants de l’inflation dans la CEMAC et dans ses Etats membres Sur fond d’un corpus théorique solide et moderne, les travaux dans cet axe s’attelleront à mener des analyses empiriques visant à fournir des explications quantifiées des facteurs déterminants dans la CEMAC et ses Etats membres. Une distinction claire des différents facteurs et leurs influences dynamiques réciproques éventuelles devra être opérée. De plus, sans être limitatif dans les choix méthodologiques implémentables, un accent particulier devra être porté sur des approches structurelles de modélisation aussi bien standard que bayésienne. Les résultats issus des analyses pertinentes serviront à l’affinement du cadre décisionnel de la politique monétaire de la Banque Centrale.
Axe de recherche n° 3: Cibles/ Seuils d’inflation dans la CEMAC et ses Etats membres. L’article premier des statuts de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale stipule notamment que
« … La Banque Centrale émet la monnaie de l’Union Monétaire et en garantit la stabilité. Sans préjudice de
cet objectif, elle apporte son soutien aux politiques économiques générales élaborées dans l’Union
Monétaire … »
Force est de souligner que ces statuts ne sont pas plus explicites sur la notion de stabilité de la monnaie à garantir d’une part, et sur la nature du soutien qu’apporte la Banque Centrale aux politiques économiques générales élaborées dans l’Union Monétaire.
D’un point de vue opérationnel pourtant, il est désormais admis que la stabilité monétaire s’entend au plan externe comme une couverture suffisante de la monnaie, avec un taux de couverture des engagements à vue de la BEAC par les disponibilités extérieures de l’Union Monétaire supérieur ou égal à 20 %, et au plan interne comme la stabilité des prix. Pour cette dernière, il est fréquemment avancé que la norme de référence suivie par la BEAC est un taux d’inflation inférieur à 3 % par an, encore faudrait il préciser s’il s’agit du taux d’inflation en glissement annuel ou de celui plutôt en moyenne annuelle, lorsque l’on sait que pour la Zone Euro, zone d’ancrage du franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale (F CFA), la norme de stabilité des prix fait référence à un taux d’inflation en glissement annuel positif, inférieur à 2 %.
Par ailleurs, pour des économies en développement, ainsi quel’ ont souligné plusieurs résultats empiriques, pour ne citer que Khan & Senhadji (2001), un taux d’inflation annuelle entre 7 et 11 % n’y serait pas préjudiciable à la croissance économique. A ce stade il conviendra de challenger ce résultat en ce sens qu’il pourrait éventuellement être différencié en fonction du régime de change, selon que l’on considère un PED en union monétaire ou non. Par conséquent, retenir des normes de stabilité des prix plus basses dans les PED, peu importe leur régime de change pourrait s’y traduire par une sorte de renoncement à davantage de croissance économique.
Au total, considérées l’une dans l’autre, ces deux constatations ouvrent incidemment la réflexion sur la détermination aussi bien d’un/des indicateur(s) pertinents comparables dans l’espace et le temps pour exprimer la norme (ou la cible voire la trajectoire) de stabilité des prix dans la CEMAC d’une part, mais également l’identification, pour la CEMAC ou pour chacun de ses Etats membres, d’un seuil ou d’une trajectoire pour une mesure de la progression du niveau général des prix au dessus duquel/de laquelle toute hausse supplémentaire deviendrait préjudiciable à la croissance économique.
Les résultats des travaux de recherche à réaliser suivant les problématiques dans cet axe permettront d’apporter des réponses empiriques aux lacunes relevées précédemment, toutes choses qui suffiraient in fine à clarifier les statuts de la Banque Centrale sur l’objectif final de sa politique monétaire.
Axe subsidiaire de recherche: Quel type de régime de dominance dans la CEMAC: budgétaire ou monétaire ?
Avec les développements récents de l’inflation en relation notamment avec le renchérissement des produits pétroliers sur les marchés internationaux, et à la pompe dans les pays de la CEMAC majoritairement importateurs de produits raffinés, les subventions publiques des carburants à l’effet de contenir la diffusion de cette hausse à l’ensemble des prix à la consommation, ont atteint des niveaux non soutenables déjà à court terme pour les autorités budgétaires nationales.
De ce fait, il n’est pas saugrenu d’envisager que dans la CEMAC, le niveau des prix est le résultat d’interactions stratégiques dynamiques et complexes entre les autorités budgétaires nationales et l’autorité monétaire commune. D’ailleurs, c’est justement pour contrebalancer la dynamique haussière anticipée du niveau général des prix depuis le milieu de l’année 2021 que la Banque Centrale a procédé à une série de relèvements de ses taux directeurs dès novembre 2021. Ces mesures de politique monétaire, qui ont des délais de mise en œuvre (input lags) courts, ont en revanche des délais d’impact (output lags) plutôt longs, ce qui pourrait sous-tendre le constat que l’inflation ait continué de progresser, quoique moins rapidement. Au cours du dernier quinquennat, les émissions des titres publics dans la Sous-région ont connu un dynamisme sensible, passant de 907,6 milliards F CFA en décembre 2017 à 5 687 milliards F CFA à fin mars 2023, à telle enseigne que les Etats parviennent jusqu’ici à lever suffisamment de fonds sur le marché domestique pour financer leurs déficits budgétaires.
Or, avec les relèvements récents des taux directeurs de la Banque Centrale pour contrer la résurgence des tensions inflationnistes, la charge d’intérêt pour les nouvelles émissions de dette publique domestique sur le marché domestique s’alourdirait, ce qui pourrait exacerber les déficits budgétaires. L’expansion budgétaire dans la CEMAC pourrait alors pousser les Etats à faire pression sur la Banque Centrale pour qu’elle change malgré tout l’orientation actuelle de sa politique.
Une interrogation incidente de cette configuration consisterait à caractériser, dans les économies de la CEMAC la nature de la dominance monétaire ou budgétaire qui prévaudrait. Cela est d’autant plus pertinent dans le contexte actuel où, face aux pressions des partenaires extérieurs, les Etats membres sont prestement invités à réduire leurs subventions sur les produits pétroliers à la pompe, ce qui se traduirait par un relèvement substantiel des prix des carburants à la pompe et partant, par répercussions successives de cette hausse sur les prix du transport et de l’énergie, à l’accroissement du niveau général des prix. De même, une expansion budgétaire agressive pour contenir les risques de désorganisation sociale liée aux affres de la vie chère sur les populations
participerait de la même tentation de pression sur l’autorité monétaire, malgré l’indépendance consacrée de la Banque Centrale dans la conduite de ses missions statutaires.
Compte tenu de ce qui précède, et afin de fournir au Comité de Politique Monétaire de la Banque Centrale des outils de lecture empiriques dynamiques sur l’état des interactions stratégiques entre la Banque Centrale et les autorités budgétaires nationales, les travaux de recherche suivant cet axe subsidiaire se pencheraient, dans une démarche d’abord rétrospective, à la caractérisation du type de dominance qui a historiquement prévalu dans la CEMAC, dans un contexte d’économie d’endettement, et quelle en a été l’incidence sur le mandat de garantie de la stabilité des prix.
Ces recherches répondraient entre autres à la question de savoir si la politique monétaire de la BEAC est résolument tournée vers l’objectif de stabilité monétaire qui lui est assigné dans son mandat.