Le 11 avril 2011, le chef de l’État ivoirien est arrêté dans la résidence présidentielle, à Abidjan. Ses dernières heures au pouvoir
Le dimanche soir du 10 avril 2011, en plein bombardement, le général Dogbo Blé a fait venir à la présidence 600 jeunes miliciens certains ont à peine 15 ans qu’il a recrutés dans le quartier Blockoss. Laurent Gbagbo ne lâche rien. Et malgré la pluie de roquettes françaises qui s’est abattue sur Cocody, il garde encore du lourd dans l’enceinte de sa résidence, avec l’appui de 200 hommes. À 8 heures, ce 11 avril, Guillaume Soro lance ses Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) à l’assaut de ce dernier carré, mais cinq pick-up sur sept sont détruits. Les FRCI se replient. Rien n’est encore joué.
Il faut en finir, lâche l’état-major à Paris. Il y a un moment où, mandat ou pas, il faut que les choses s’arrêtent, lance un proche de Nicolas Sarkozy. Les hélicoptères de Licorne décollent à nouveau. Ils frappent à l’intérieur de l’enceinte. C’était une véritable poudrière, raconte son plus proche voisin, Jean-Marc Simon, l’ambassadeur de France. Le mur qui sépare la résidence de Gbagbo de la mienne s’est effondré sur quinze mètres.
Au même moment, une trentaine de blindés français sortent du camp militaire de Port-Bouët, franchissent le pont Houphouët, sur la lagune, et se déploient sur le boulevard de France, à Cocody, à quelques centaines de mètres de la résidence. Objectif : isoler l’ex-président dans la partie sud de Cocody, empêcher l’arrivée de renforts pro-Gbagbo venus du Nord, et qui sait ? porter l’estocade. Comment ont été ouvertes les brèches dans le mur d’enceinte de la résidence ? Sans doute avec les projectiles des hélicoptères ou des chars français. Qui a enfoncé le portail d’entrée ? Disons que nous sommes allés aux limites de l’enceinte, répond pudiquement un décideur français.
En fin de matinée, les derniers soldats pro-Gbagbo se débandent. Les FRCI s’avancent vers la résidence. Plusieurs « comzones » sont là : Zakaria Koné, Vetcho, Morou Ouattara et Wattao, avec 200 à 300 hommes. Ils entrent prudemment dans le jardin de la résidence. À 12 h 45, Laurent Gbagbo décide de se rendre. Son secrétaire général, Désiré Tagro, téléphone à l’ambassadeur de France.
« Prenez un drapeau blanc et sortez du bâtiment », lui conseille Jean-Marc Simon. Dix minutes plus tard, Tagro rappelle Simon : « Je suis sorti, mais on m’a tiré dessus. Restez en ligne, j’appelle Soro. » Aussitôt, Simon contacte Soro, qui donne dix minutes à Gbagbo et à ses fidèles pour sortir du bâtiment. Dans le même temps, Soro ordonne à Zakaria Koné de faire cesser les tirs pendant dix minutes.
Comment est mort Désiré Tagro ? « Il a eu la malchance de tomber sur des éléments qui l’ont un peu roué de coups », a dit le commandant Wattao sur RFI. Les circonstances de son décès restent mystérieuses. À 13 h 08, Vetcho et Morou Ouattara descendent dans le sous-sol de la résidence avec leurs hommes. Selon leur témoignage, Laurent Gbagbo lance : « Ne me tuez pas, ne me tuez pas. »
Très vite, il reconnaît les deux comzones et paraît rassuré. C’est fini. Tout le monde se rend. Comme la France et Alassane Ouattara l’avaient demandé avec insistance, Gbagbo est sain et sauf. Sonné par les dernières heures de combat, épuisé, affamé comme les 104 autres occupants de la résidence ils n’avaient plus rien à manger… Mais sain et sauf.
Quelques minutes plus tard, l’ancien maître de la Côte d’Ivoire est affublé d’un gilet pare-balles et d’un casque, puis emmené au Golf Hôtel. Son épouse a moins de chance. À son arrivée dans le hall, elle est reconnue, insultée, agressée. Tresses arrachées, vêtements déchirés. Michel, le fils aîné de Laurent, échappe de peu au lynchage. Chambre 468, Simone Gbagbo apparaît prostrée, yeux fermés. Son mari s’éponge le visage, les aisselles, change de chemise et parle à ses geôliers. Il semble ailleurs, incrédule devant sa propre chute.