Pour la première fois depuis qu’il est rentré en Côte d’Ivoire, l’ancien président se montre offensif et déterminé à propulser son parti, le PPA-CI, dans la cour des grands. Dans son viseur, les locales de septembre, qui auront valeur de test.
« Laurent Gbagbo est là ! » L’annonce au micro fait naître une interminable clameur. La foule, déjà électrisée par les airs de zouglou et la voix de la diva Aïcha Koné qui résonnent depuis des heures place Ficgayo, exulte. Chemise blanche, lunettes de soleil carrées sur le nez, bras levés, Laurent Gbagbo apparaît enfin sur scène. Nady Bamba, sa compagne, indéfectible soutien depuis deux décennies, marche sans son sillage.
Le 31 mars 2023, deux ans jour pour jour après la confirmation de son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI) alors qu’il était accusé de crimes contre l’humanité lors de la crise postélectorale de 2010-2011, Gbagbo est à Yopougon, commune de l’ouest d’Abidjan considérée comme l’un de ses fiefs. Il est venu célébrer sa « renaissance ».
Ce grand meeting est le premier qu’il tient à Abidjan depuis son retour sur le sol ivoirien, en juin 2021, et le lancement du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) dans la foulée. L’ex-chef de l’État Gbagbo, affaibli par ses années de prison, avait jusque-là limité ses sorties publiques, s’aventurant peu hors de la capitale économique, si ce n’est pour se rendre dans son village natal de Mama ou dans l’ouest du pays, notamment à Duékoué, ville où s’est déroulée, en 2011, l’une des principales tueries attribuées aux forces pro Ouattara.
Son entourage le disait en quête de clés pour comprendre et cerner cette « nouvelle » société ivoirienne dont il fut coupé pendant près d’une dizaine d’années, dont huit passées au pénitencier de Scheveningen, à La Haye. L’un de ses rares voyages à l’extérieur du pays fut d’ailleurs destiné à rendre visite à son ancien compagnon de détention, Jean-Pierre Bemba, récemment nommé vice Premier ministre chargé du portefeuille de la Défense en République démocratique du Congo.
Le 31 mars 2023, sa « fête de la renaissance » aurait tout aussi bien pu s’appeler « fête de la réhabilitation ». Tout au long de son discours, Laurent Gbagbo s’évertue à rembobiner le fil de l’histoire, de son arrestation à son acquittement définitif,
» jour où l’innocence de l’innocent a été reconnue », dit-il, porté par les applaudissements nourris de ses sympathisants.
Si la Côte d’Ivoire veut être une nation de paix, de justice et de vérité, je conseille à notre cher pays de continuer à rechercher les coupables », poursuit l’ancien président, qui insiste sur la nécessité de trouver « la vérité pour qu’il n’y ait de soupçons sur personne ». Et de citer, pêle-mêle, « le commando invisible », « les autres rebelles », l’armée française ou encore l’ONU. Si ce n’est pas lui, ce sont forcément les autres ».
Ce discours offensif intervient dans un contexte particulier : en septembre, des élections locales, municipales et régionales se tiendront en Côte d’Ivoire. Un premier grand test pour le PPA-CI, ce parti « panafricaniste et souverainiste » fondé après l’implosion du Front populaire ivoirien (FPI), laissé à Pascal Affi N’Guessan dont l’implantation se poursuit dans le pays.
De ces élections, Laurent Gbagbo, 77 ans, ne dira pas un mot. « Ce n’était pas le lieu. Il ne s’agissait pas du lancement de la campagne, mais d’un moment de communion avec ses militants et ses sympathisants », insiste un proche collaborateur.
Ce meeting a surtout été l’occasion de lever les doutes de certains, inquiets pour cet ancien tribun hors pair dont ils avaient espéré un retour fracassant en politique. « Il fallait rassurer sur son envie et sa volonté de faire du PPA-CI le principal parti d’opposition et sur sa détermination en vue des prochaines élections locales », confie Justin Koné Katinan, porte-parole et vice-président exécutif de la formation.
Le 1er avril, deuxième acte de cette « fête de la renaissance » au Palais de la culture de Treichville. L’ambiance y est plus feutrée qu’à Yopougon la veille. Un salon a été reconstitué sur scène avec un mur en imitation boiserie, une bibliothèque, deux confortables fauteuils… Une table basse, surmontée d’une orchidée blanche, supporte des verres d’eau posés sur un mouchoir.
Ce jour-là, Laurent Gbagbo répond aux questions de la jeunesse. Ce salon, c’est le sien, dit-il, quitte à surjouer la carte de la proximité. « En principe, je voulais discuter avec les jeunes à la maison, mais vous voyez bien que c’est impossible, alors j’ai emporté ici quelques éléments, comme ces chaises baoulées. Merci les jeunes, merci d’être venus à la maison. »
L’échange dure plus de deux heures. Qu’attendent ils de l’ancien chef de l’État ? Que peut-il pour eux ? « Rien », répond abruptement Laurent Gbagbo à une étudiante qui l’interroge. « Quand on n’est pas au pouvoir, on ne dispose quasiment d’aucun moyen pour résoudre les problèmes. Mais quand demain on sera au pouvoir, on aura tous les moyens », développe-t-il. Le public se lève et applaudit à tout rompre.
Gbagbo assure néanmoins être en mesure de « trouver de petites solutions ». Habiba Touré, son avocate historique, se charge de détailler les propositions du PPA-CI pour ces jeunes qui n’avaient pas 10 ans quand l’ancien chef de l’État a été arrêté à Abidjan et qui voteront pour la première fois aux prochaines élections locales.
« Le président a réaffirmé aux jeunes que rien ne s’obtenait gracieusement ou dans la facilité, qu’ils devaient se battre. Que ce n’était qu’à ce prix qu’ils obtiendraient ce qui leur était dû et qu’ils occuperaient leur place dans la société », expliquera quelques jours plus tard son directeur de cabinet, Emmanuel Ackah, dans les colonnes du quotidien ‘Le Temps), journal suspendu six jours début avril, notamment pour avoir accusé la justice ivoirienne d’être instrumentalisée par les autorités après l’arrestation des militants du PPA-CI.
« J’ai perçu dans cet échange, et dans son discours au cours du meeting de Yopougon, une forme d’adieu. La volonté de passer le témoin à une nouvelle génération en s’assurant d’abord de laisser un parti solide et d’être réhabilité », analyse un cadre du parti.
Dans ce cas, Laurent Gbagbo sera-t-il candidat lors de la présidentielle de 2025 ? « Cela ne fait aucun doute », répète invariablement Justin Koné Katinan. « Nous n’avons pas de plan B », insiste-t-il. Cette volonté se heurte cependant à un obstacle judiciaire. En août, Alassane Ouattara avait annoncé qu’il accordait la grâce présidentielle à son prédécesseur, condamné à vingt ans de prison par la justice ivoirienne dans le cadre de l’affaire « du casse de la BCEAO ». Une grâce, et non une amnistie qui, elle, lui aurait permis de recouvrer ses droits civiques.
« Aucune manœuvre ne pourra empêcher Laurent Gbagbo d’être candidat s’il le souhaite, assure Katinan. L’amnistie lui sera accordée pour corriger l’injustice qui lui a été faite. Nous attendons, ce n’est même pas une préoccupation pour nous. »