Les autorités espagnoles ont annoncé mardi avoir démantelé un réseau fournissant de faux documents d’identité à des migrants en situation irrégulière afin de leur permettre d’obtenir un contrat dans le secteur agricole. En échange d’un titre de séjour, les exilés devaient débourser 400 euros.
Une vaste enquête, débutée en mars 2022, a permis d’arrêter en Espagne 22 personnes soupçonnées d’appartenir à une organisation criminelle, ont annoncé mardi 22 août les autorités. Le réseau, d’origine pakistanaise, est accusé d’avoir fourni de faux papiers à des migrants en situation irrégulière ou d’avoir utilisé l’identité d’autres personnes.
Les membres présumés de ce réseau sont accusés d’appartenance à une organisation criminelle, de falsification de documents, d’attente aux droits des citoyens étrangers et d’atteinte aux droits des travailleurs.
400 euros en échange d’un titre de séjour
L’enquête a révélé que les accusés faisaient payer 400 euros pour chaque document d’identité fourni. Les exilés présentaient alors les cartes de séjour frauduleuses dans différentes zones agricoles situées dans les villes voisines de Tortosa, dans le nord-est de l’Espagne. Ce précieux sésame permettait aux étrangers en situation irrégulière d’obtenir un contrat de travail.
Selon un communiqué du ministère de l’Intérieur, les membres du réseau avaient tous une tâche bien définie allant de l’hébergement des migrants, en passant par leur transfert vers les champs agricoles à la mission de recrutement. Les services d’hébergement et d’entretien dans les foyers gérés par l’organisation, ainsi que le transport vers les lieux de travail représentaient des frais supplémentaires pour les exilés.
L’enquête a par ailleurs démontré que le groupe criminel disposait d’une logistique importante, permettant de transférer jusqu’à 100 personnes par jour vers les champs de la région de Tortosa. Lors des perquisitions, les policiers ont notamment saisi 30 000 euros en liquide, deux véhicules et une imprimante laser, nécessaire à l’impression des faux documents.
Des migrants exploités dans les champs agricoles
L’Espagne est considérée comme le « grenier de l’Europe ». Les récoltes de fruits et légumes permettent de nourrir nombre de pays européens. Le sud du pays, principalement la région d’Alméria, produit actuellement 80% des cultures maraîchères consommées dans l’Union européenne.
Les ONG dénoncent régulièrement les conditions de vie des migrants en situation irrégulière qui sont exploités dans les champs espagnols.
Dans son tout dernier rapport publié en juin dernier, un groupe d’experts contre la traite d’êtres humains du Conseil de l’Europe (Greta) fustige le quotidien des ces travailleurs agricoles étrangers employés dans les champs de fraises de Huelva, dans le sud de l’Espagne. Leurs conclusions ont été rédigées suite à une visite du groupe sur place, entre le 4 et le 8 juillet 2022.
Lors de leur venue, les membres du groupe ont constaté l’existence de 25 « camps informels », dans lesquels vivaient 914 migrants dont 99 femmes. La plupart étaient des sans-papiers originaires du Maroc, du Mali et du Ghana. Ces personnes « logent dans des cabanes faites de films en plastique, les mêmes qui sont utilisées pour couvrir les plantations de fraises ». Et d’après l’étude, elles n’ont en aucun cas « accès à l’eau potable, à l’électricité et à des sanitaires ».
Des associations, citées dans le rapport, considèrent que « de nombreux travailleurs migrants du camp sont victimes d’exploitation par le travail et de traite d’êtres humains ». En cause, notamment, des heures travaillées qui dépassent souvent la limite légale, pour un salaire fixé, lui, en dessous du salaire minimum. « Parfois, les travailleurs ne sont même pas payés du tout », ajoute le document.
« Inaction » des autorités
Deux ans plus tôt déjà, en juillet 2020, les autorités espagnoles avaient été pressées par l’expert du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, Olivier de Schutter, « d’améliorer immédiatement les conditions de vie déplorables des travailleurs migrants saisonniers, avant que les gens ne meurent ».
Les habitations très spartiates dans lesquelles les migrants sont forcés d’habiter sont fragiles et dangereuses. Régulièrement, nombre d’entre elles partent en fumée. En avril 2022, Mohamed Alam, un jeune marocain de 27 ans, a perdu la vie alors qu’il était venu travailler dans les champs à Lepe, près de Huelva. Il est mort brûlé vif dans l’incendie de sa cabane qu’il occupait avec cinq autres personnes.
Malgré ces nombreux rapports, les autorités brillent par leur « inaction », selon les ONG. Pour le président de l’association Andalucia Acoge, José Miguel Morales, cette situation persiste à cause du « racisme social et institutionnel qui suppose que des personnes de certaines origines peuvent être maintenues dans des conditions indignes ». « Nous demandons au Parlement européen et à l’Europe de s’impliquer pour en faire un sujet à l’ordre du jour », s’était il exprimé en décembre 2022, à l’occasion d’une réunion entre les ONG et le commissaire européen à l’Emploi, Nicolas Schmit.