En Espagne, plus de 37 millions d’électeurs sont appelés à voter, ce dimanche 23 juillet, pour des élections législatives. Le candidat conservateur Alberto Nunez Feijoo est donné favori par les sondages face au socialiste Pedro Sanchez, le chef du gouvernement sortant. Mais il y a une inconnue dans ce scrutin organisé en plein été et en pleine période de congés : celle des indécis, qui pourraient faire pencher la balance.
Le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, met son mandat en jeu ce dimanche 23 juillet, après avoir convoqué il y a moins de deux mois des élections anticipées. Cette décision risquée a été prise au lendemain de la débâcle de la gauche aux élections régionales et municipales, alors qu’une bonne partie de la population espagnole est en vacances.
Reste une inconnue : celle de l’abstention et des indécis qui pourraient faire pencher la balance en faveur de la droite ou de la gauche, rapporte Diane Cambon, notre correspondante à Madrid.
Lors de son dernier meeting de campagne électorale, ce vendredi soir à Getafe, dans la banlieue de Madrid, le chef du gouvernement, le socialiste Pedro Sanchez qui est donné perdant dans les derniers sondages, a lancé un message direct à celles et ceux qui hésitent encore. « Je demande un dernier effort et à tous les indécis et je leur demande qu’ils votent socialiste. Je leur dis : « C’est juste un jour pour voter, et quatre ans d’avancées sociales et de liberté » », a-t-il lancé.
Selon l’Institut national des statistiques, 20% des Espagnols étaient encore indécis il y a une semaine sur le choix de leur vote, mais aussi sur le fait de se rendre ou pas dans les urnes. « Je suis assez indécis, car je ne me sens plus représenté. J’ai toujours été un électeur de gauche, mais je suis déçu de voir comment ces partis se préoccupent plus des patrons que des travailleurs », estime David, qui se dit las de ces élections à répétition. D’autant que cette campagne a été laborieuse pour les principaux candidats, le socialiste Pedro Sanchez et conservateur Alberto Nunez Feijoo.
L’abstention risque d’être également importante chez les jeunes et s’ils se décident à voter, leur choix se fait au dernier moment. Près de 13% d’entre eux choisissent le jour même pour quel candidat voter. Laura, âgée de 23 ans, elle, a déjà fait son choix. « Je ne pense pas aller voter à ces élections, car mon vote n’est en aucun cas décisif, il ne sert à rien », dit-elle.
Des jeunes attirés par les extrêmes
Cette année, plus de 1,6 million d’électeurs vont voter pour la première fois lors de ces législatives. Ce vote jeune compte, mais il se caractérise par un certain attrait pour les extrêmes, rapporte notre envoyé spécial à Madrid, Romain Lemaresquier. À l’image de nombreux autres pays de l’Union européenne, les jeunes Espagnols sont effectivement de plus en plus réceptifs aux discours des partis d’extrême gauche et d’extrême droite.
Certains veulent défendre des acquis, à l’image de Carla, 20 ans, qui va voter pour la première fois pour des élections législatives et qui n’hésite pas à expliquer pourquoi elle donnera son bulletin à Sumar, le nouveau parti d’extrême gauche, dont de nombreux membres proviennent de Podemos, une autre formation d’extrême gauche. « Je vote en faveur [de Sumar, NDLR] pour les politiques qu’ils ont mises en place pour la communauté LGBT, mais aussi pour les politiques sociales, notamment ce qui a été fait pour les quartiers ouvriers. Donc, oui, je pense que c’est le parti avec lequel je suis le plus d’accord de manière générale », estime-t-il.
Si certains plébiscitent les avancées en matière de droits des personnes vulnérables et contre la violence de genre, d’autres, de la même génération, pensent tout l’inverse. Angela, 21 ans, elle aussi, votera pour la première fois. Mais son choix se porte sur l’extrême droite : « Je penche pour Vox, non seulement pour la question économique, mais aussi pour des questions sociales comme l’avortement, l’euthanasie et bien entendu le féminisme. Le mouvement féministe d’aujourd’hui ne me représente pas. Selon moi, c’est une chose très importante : Vox est le parti qui défend le mieux les femmes. »
Pourtant, Vox refuse d’aborder la violence de genre, parlant plutôt de violence intrafamiliale. Reste que ces positions extrêmes séduisent de plus en plus de jeunes, ce qui était notamment le cas lors du dernier meeting de l’extrême droite à Madrid qui a attiré plus de sympathisants que les conservateurs du Parti populaire.
Si le parti d’extrême droite a le vent en poupe, c’est qu’il a des chances d’arriver aux affaires. En effet, le conservateur Alberto Nunez Feijoo a pour objectif d’atteindre le chiffre magique de 176 députés, qui lui donnerait la majorité absolue des 350 sièges du Congrès des députés.
Mais si le leader du Parti populaire est donné gagnant, pas un seul sondage n’a envisagé un tel score pour son parti. Il devrait donc avoir recours à une alliance. Or, son seul partenaire potentiel est Vox, né lui-même en 2013 d’une scission du PP.
Des citoyens énervés de perdre leurs vacances
L’une des difficultés pour organiser ces élections aura été la constitution des bureaux de vote. Dans le pays, les citoyens qui composent ces bureaux de votes – et ils sont plus d’un demi million – sont tirés au sort et n’ont pas le droit de refuser, sauf à de rares exceptions.
Si certains ont la chance de pouvoir opter pour le vote par correspondance, ce qui est le cas de plus de 2,6 millions électeurs, d’autres ont dû tirer un trait sur leurs congés. Et si l’État s’est engagé à rembourser les frais qui auraient déjà été engagés, ce n’est pas le cas pour tout le monde. À l’image de Sarah, jeune actrice de 22 ans qui a été désignée présidente de son bureau de vote il y a trois semaines. « J’avais pris des billets et je les ai envoyés, mais ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire parce que je les avais pris après la publication au Journal Officiel, alors que j’aurais dû les envoyer avant la mise en place de cette loi », dit-elle.
Sarah en rigole, mais elle n’aura pas de vacances d’été cette année, car elle reprend son travail quatre jours après les élections. Et ce n’est pas la seule concernée… « La vérité, c’est que je crois que ça a énervé pas mal d’Espagnols. Il y a des gens qui avaient déjà préparé leurs vacances. Tout changer, cela représente beaucoup d’argent. Ou alors, ils ne peuvent tout simplement pas poser de congés à d’autres dates. C’est vrai qu’avec le vote par correspondance, c’est plus facile, mais les gens qui, comme moi, ont été tirés au sort, ça les embête vraiment ! Je suppose qu’il s’agit d’une stratégie pour que le gouvernement obtienne plus de voix. Mais je ne sais pas s’ils y parviendront », juge -t-elle. Sarah est tout de même fière de participer à ce processus électoral, mais elle se dit indécise.
« Le Parti populaire s’est considérablement rapproché du Parti socialiste »
Si l’on s’en tient aux différents sondages, les conservateurs du Parti populaire (PP) seraient en tête, mais sans pour autant atteindre la majorité absolue des 176 sièges. Pour prendre les rênes du pays, ils auront donc peut-être besoin de monter une coalition, ce qui pourrait être le cas avec Vox, la formation d’extrême droite. À gauche, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) n’est pas parvenu à rassembler, alors que l’autre formation de gauche, Sumar – « rassembler », en français –, peine à décoller dans les sondages.
Pour Benoît Pellistrandi, historien spécialiste de l’Espagne et auteur du livre Les fractures de l’Espagne, il y a une opposition radicale « entre Sumar et Vox, entre la gauche radicale et une extrême droite décomplexée. Entre le Parti populaire et le Parti socialiste, les convergences sont en réalité plus fortes que les divergences. Et c’est d’ailleurs ce que fait remarquer le leader du Parti populaire qui, cette semaine, a proposé cinq pactes d’État avec le Parti socialiste. Or, quand on regarde le positionnement sur l’Europe, le positionnement sur la constitutionnalisation des différents droits, y compris les droits des minorités sexuelles et de l’avortement, le Parti populaire s’est considérablement rapproché du Parti socialiste ».
« Rien ne dit cependant que le Parti socialiste, surtout s’il venait à perdre le pouvoir, accepterait la main tendue du Parti populaire. Il est clair qu’il y a beaucoup plus d’éléments de convergences que d’éléments de divergence. Mais il y a un discours de la crispation et un discours du clivage qui permet de mobiliser chaque camp et qui donne à l’observateur extérieur comme aux Espagnols l’impression d’un pays profondément clivé alors qu’en réalité, on a un pays qui est beaucoup plus stable et modéré que ce que le débat politique laisse apparaître jour à jour », poursuit-il.