La justice a ouvert une enquête pour « travail dissimulé » visant le président du PSG et de BeIN Sports. Deux de ses anciens collaborateurs, qui ont porté plainte, reprochent à Nasser al-Khelaïfi de les avoir salariés via une académie de tennis au Qatar alors qu’ils travaillaient pour lui à Paris.
Les ennuis judiciaires continuent pour Nasser al-Khelaïfi. Selon des informations de Mediapart, son ancien majordome Hicham Karmoussi a déposé plainte jeudi pour « travail dissimulé » contre le patron qatari du PSG et de la chaîne BeIN Sports. Elle devrait logiquement être versée à l’enquête préliminaire pour « travail dissimulé » ouverte le 16 janvier par le parquet de Paris, à la suite d’une première plainte déposée par Hicham Bouajila, un autre ex-collaborateur de Nasser al-Khelaïfi, comme l’a révélé L’Équipe.
Les deux plaintes et les documents qui les soutiennent, consultés par Mediapart, révèlent des faits étonnamment similaires. Alors qu’ils travaillaient pour le patron du PSG à Paris, Hicham Karmoussi et Hicham Bouajila ont tous les deux été salariés comme entraîneurs de tennis, sous contrat de travail qatari, par la Smash Academy de Doha, créée au début des années 2000 par Nasser al-Khelaïfi – il a été tennisman professionnel avant de devenir l’un des hommes les plus puissants du foot mondial.
Les deux plaignants dénoncent, chacun de son côté, une pratique destinée à les maintenir sous emprise et à les priver de leurs droits, qui n’est pas sans rappeler la kafala, cette loi qatarie, officiellement abolie avant le Mondial 2022, qui place les travailleurs étrangers sous la coupe de leur employeur.
Ils affirment également qu’ils n’étaient pas les seuls dans ce cas. Dans sa plainte, l’ancien majordome Hicham Karmoussi écrit que le patron du PSG aurait employé quatre
« domestiques philippines qui travaillaient illégalement sur le territoire français ».
L’entourage de Nasser al-Khelaïfi dément catégoriquement.
Hicham Bouajila a pour sa part affirmé au Monde que d’autres proches collaborateurs de Nasser al-Khelaïfi auraient eu
« des contrats déguisés » : « Le tout était d’avoir une forme de légalité. On était obligés d’avoir ce genre de contrats. Beaucoup étaient payés au Qatar ou avec des contrats BeIN. »
Contacté par Mediapart, Nasser al-Khelaïfi dément, dans une déclaration écrite, les « mensonges » des plaignants et indique que « la justice fera son travail ».
Le dernier plaignant, Hicham Karmoussi, avait déjà raconté sa situation à Mediapart. Cet ancien tennisman marocain de 47 ans est devenu en 2005 salarié de la Smash Academy et l’entraîneur particulier de tennis de l’actuel émir du Qatar, Tamim al-Thani. Selon son récit, il est devenu dès 2008 l’assistant personnel de Nasser al-Khelaïfi. Lorsqu’il s’est installé à Paris à la suite du rachat du PSG en 2011, Hicham Karmoussi l’a accompagné, et a vécu pendant neuf ans chez son patron, dans un vaste appartement du XVIe arrondissement de Paris. Mais il a continué d’être payé par l’académie de tennis qatarie. Dans une attestation de travail destinée à l’obtention d’un visa, Nasser al-Khelaïfi certifiait par écrit, en mai 2018, que Hicham Karmoussi était salarié comme entraîneur de tennis par la Smash Academy à Doha, alors qu’il travaillait comme majordome à Paris (notre document obtenue chez Médiapart).
Depuis son arrivée en France en 2011, Hicham Karmoussi disposait seulement d’un visa de court séjour, qu’il devait renouveler régulièrement en quittant le territoire, et qui
« ne lui permettait pas de travailler en France »,
écrit son avocat, Antoine Ory.
« Nasser faisait ça pour s’assurer de ma fidélité. Il est intelligent, il me tenait grâce aux visas, il ne voulait pas que je sois libre et que j’aie mes droits »,
nous avait indiqué Hicham Karmoussi. En 2018, le majordome est interpellé à deux reprises à l’aéroport, à Marseille puis à Paris, parce que son visa avait expiré. Il fait même l’objet d’une obligation de quitter le territoire. C’est seulement à la suite de ces incidents que Nasser al-Khelaïfi a consenti à lui accorder un contrat de travail français avec BeIN Sports, tout en continuant de lui verser une partie de son salaire via la Smash Academy.
Hicham Karmoussi affirme que c’est à cause de cette situation qu’il a été contraint d’effectuer des missions très particulières. Le majordome indique que lorsque la maîtresse de Nasser al-Khelaïfi a été hospitalisée, il s’est rendu à son chevet à la place de son patron, qui voulait rester discret.
Il affirme aussi avoir fait, en 2017,
le « ménage » dans l’appartement de Nasser al-Khelaïfi, en récupérant et en détruisant, à sa demande, des documents susceptibles d’intéresser les magistrats français et suisses qui enquêtent sur les soupçons de corruption liés à l’attribution de la Coupe du monde. Il a conservé certains documents et les a confiés par la suite à deux de ses proches, ce qui a provoqué, après des rebondissements dignes d’un film d’espionnage, son licenciement en 2020 .
Nasser al-Khelaïfi n’a pas souhaité répondre sur les faits précis soulevés par Hicham Karmoussi.
Hicham Bouajila, l’homme qui a déposé la première plainte pour « travail dissimulé » en décembre, est un homme d’affaires tunisien de 47 ans. Il s’est fait connaître l’été dernier lors de sa tentative ratée d’orchestrer le rachat de l’Olympique de Marseille par un investisseur émirati.
Plusieurs documents et témoignages montrent qu’il a été l’un des conseillers de Nasser al-Khelaïfi.
Hicham Bouajila affirme l’avoir aidé à partir de 2011 pour son installation à Paris. Il affirme avoir par la suite rempli plusieurs « missions », au sujet du « recrutement sportif », mais aussi « à caractère politique ».
L’entourage du patron du PSG dément, et affirme que Hicham Bouajila n’a jamais travaillé « ni pour BeIN, ni pour le PSG, ni pour Nasser-al-Khelaïfi ».
L’homme d’affaires tunisien affirme dans sa plainte avoir notamment aidé le club au sujet du retour des supporters ultras au Parc des Princes, au sujet du conflit avec le joueur Adrien Rabiot, mais aussi avoir participé à la création d’une Association des amis du Qatar en France, en 2017, dans la foulée du blocus de l’émirat décrété par une coalition de pays arabes menés par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
L’entourage de Nasser al-Khelaïfi répond qu’il n’a jamais participé à ces dossiers. En 2015, selon son récit, Nasser al-Khelaïfi lui fait signer un contrat de travail avec la Smash Academy, qui emploie déjà son majordome. Ce document, que nous avons consulté, indique que Hicham Bouajila est employé en CDI comme professeur de tennis à Doha, pour un salaire de 30 000 riyals par mois (7 680 euros actuels).
« Il s’agissait d’un pur artifice. Hicham Bouajila n’a jamais pratiqué le tennis et n’a jamais eu l’intention, dans ces conditions, de devenir formateur à cette pratique sportive », écrit dans sa plainte son avocat, Bertrand Repolt.
Nasser al-Khelaïfi semble personnellement impliqué. Il a en effet signé, en 2016, en tant que « président » de la Smash Academy, une attestation de travail pour Hicham Bouajila destinée à lui obtenir un visa, strictement identique à celle qu’il signera deux ans plus tard pour son majordome.
Hicham Bouajila indique avoir été écarté par Nasser al-Khelaïfi en 2018,
à la suite d’un « grave accident de la route » qu’il a subi en Tunisie. Il affirme que son salaire ne lui a été versé que « sporadiquement », que le patron du PSG ne lui a pas versé « des rémunérations complémentaires qui lui avaient été promises », et qu’il ne lui a pas remboursé ses frais de mission.
Dans une réponse écrite à Mediapart, le patron du PSG se montre très dur envers les deux plaignants, qualifiés de
« criminels professionnels » qui tentent de « manipuler les médias » : « Je suis estomaqué que tant de gens considèrent leurs mensonges et leurs contradictions comme crédibles, mais c’est comme ça dans les médias de nos jours. La justice fera son travail. »
« Ces accusations sont grotesques et traduisent certainement l’acculement d’un camp dont les méthodes sont aujourd’hui mises à nu »,
réagit l’avocat de Hicham Karmoussi, Me Ory. Hicham Bouajila répond que « les criminels, ce sont ceux qui torturent les gens psychologiquement et physiquement ». Entre Nasser al-Khelaïfi et ses ex employés, la bataille s’annonce rude.