Et si en voulant recevoir Charles III de façon fastueuse, c’était surtout Emmanuel 1er qui voulait se mettre en scène ? En tout cas, c’est raté. Il a dû se rendre à la raison et piteusement annoncer au dernier moment à son hôte que l’invitation n’était plus possible à assurer. Il misait sans doute sur l’épuisement de la protestation pour ne rien changer. Le peuple par sa mobilisation si déterminée depuis des mois l’a contraint à modifier son agenda. C’est une victoire pour ceux qui veulent l’abandon de la retraite à 64 ans, même si elle est essentiellement symbolique. Mais cela compte.
Charles Windsor, désormais roi d’Angleterre, devait venir en visite officielle en France du 26 au 29 mars. Les Anglais sont nos amis, hormis parfois sur quelques terrains de rugby ou de football. L’amitié plus que séculaire entre les peuples français et britannique est un bien précieux que nous chérissons. Tous les Britanniques, les représentants de leur gouvernement et même leur roi sont les bienvenus en France. Charles III, francophone et francophile, est un fin connaisseur de notre pays qu’il aime et visite régulièrement. Il défend les fromages français menacés par la Commission de Bruxelles ! Tant mieux.
En soi, rien à redire donc sur le principe que le président de la République reçoive le nouveau roi qui remplit outre-Manche les fonctions symboliques de chef de l’État. Les conditions et le contexte de cette visite de Charles III soulevaient pourtant l’indignation des républicains conséquents.
« Emmanuel Macron voulait offrir au roi un banquet fastueux au château de Versailles. Alors que les Français souffrent de l’inaction de leur gouvernement contre une inflation galopante et qu’il est de plus en plus difficile de remplir son caddy en fin de mois, pouvait on leur infliger l’étalage de luxe et de consommation ostentatoire d’un tel événement ? Surtout, Emmanuel Macron pouvait il imaginer qu’une telle réception fut prise autrement que comme une nouvelle provocation, en plein mouvement de rejet de son projet de repousser la retraite à 64 ans et à la veille d’une nouvelle journée de mobilisation nationale à l’appel de l’intersyndicale ? Plutôt qu’un roi, il était plus urgent de recevoir l’intersyndicale telle qu’elle le demande depuis des jours. Emmanuel Macron le fera-t-il désormais ? »
Le président de la République voulait aussi poursuivre une coutume récente : le discours du trône étranger devant la représentation nationale. Charles III devait s’adresser à une partie des députés et sénateurs français dans l’hémicycle du Sénat. A l’heure où le 49-3 est utilisé de manière répétitive par le gouvernement pour imposer sa volonté au parlement, avec mes amis députés insoumis nous n’aurions pas accepté pas qu’on propose à des parlementaires de servir le décorum d’un discours royal. En particulier dans le contexte français mais aussi lorsque les salariés anglais manifestent eux aussi, avec une puissance inédite depuis 1979, contre l’inflation et pour l’augmentation des salaires. Et c’est sans doute dans la résonance entre les mobilisations sociales de nos deux peuples que s’exprime, loin des monarques, la plus belle fraternité franco-britannique.
Ne soyons pourtant pas trop sévères avec le roi d’Angleterre. Il n’est pas responsable de la politique économique de son pays. Et tant qu’à fustiger les monarchies, autant s’en prendre à celle qui confère à un seul homme les pouvoirs les plus extraordinaires : la Ve République française et son présidentialisme exacerbé. Aucun roi ni chef d’Etat européen ne possède le pouvoir de faire et défaire sans contrôle le gouvernement, aucun ne possède le pouvoir de dissoudre le parlement sans risque d’être démis à son tour. Aucun ne dicte aussi étroitement l’agenda parlementaire, aucun ne dispose d’un tel pouvoir législatif et aucun ne dispose d’un article 49.3 pour faire adopter un texte de loi sans majorité.
Triste constat : le président français est le monarque aux pouvoirs le moins démocratiquement contrôlés d’Europe. L’annulation de la venue de Charles III est donc un premier recul d’Emmanuel Macron. Le peuple français en attend d’autres. Qu’il retire le projet de retraite à 64 ans. Sans quoi, quand Charles III reviendra en France, il n’est pas certain que ce soit lui qui le reçoive.