Simple coup de colère ou lassitude de voir cette agitation permanente régner en ce début du mois de mars sur les bancs de l’Assemblée ? Alors que le débat sur la réforme des retraites atteint son paroxysme, Yaël Braun-Pivet n’hésite plus, désormais, à dire en privé tout le mal qu’elle pense des tenants de la ligne dure de La France Insoumise. Car si la discussion parlementaire a atteint à un tel degré de violences, il en irait essentiellement de la responsabilité de certains élus LFI.
« Ceux qui haranguent, crient, ne sont pas là pour convaincre », résume la présidente de l’Assemblée nationale. Que Thomas Portes n’ait pas compris la « gravité »
de son geste [le député LFI de Seine-Saint-Denis avait posé le pied sur un ballon de foot à l’effigie du ministre du travail, N.D.L.R.] et qu’il ait refusé de s’excuser ? Elle en est restée coi. Et elle ne serait pas la seule. Régulièrement, dans le courrier qu’elle reçoit chaque matin, se glisseraient des lettres de Français lui enjoignant de sévir davantage avec ces insoumis, notamment Louis Boyard, élu du Val-de-Marne et nouvelle tête de Turc de la majorité, de la droite et de l’extrême droite. Ce qu’elle a fait : la semaine dernière, « YBP » a pris la plume pour rappeler 77 députés à l’ordre, essentiellement des Insoumis et des écolos, et rappeler à l’ensemble de la représentation nationale qu’elle n’avait pas goûté, mais alors pas du tout, les « graves dysfonctionnements individuels ou collectifs » observés ces derniers mois.
Ce n’est un secret pour personne : comme toute la Macronie, la présidente de l’Assemblée entretient des rapports tendus avec la chef de file de LFI au Palais-Bourbon, Mathilde Panot. A l’inverse, ceux qu’elle entretient avec Marine Le Pen, engagée dans une incessante opération de notabilisation, sont « plus cordiaux, bien que limités au cadre protocolaire », explique son entourage. Mais au-delà de ce cadre protocolaire, quelle attitude adopter à l’égard de la fille de Jean-Marie Le Pen et de son parti ? En sanctionnant la députée Astrid Panosyan-Bouvet, après que celle-ci a qualifié le RN de parti « xénophobe » lors d’une séance particulièrement agitée, la titulaire du Perchoir n’a-t-elle pas envoyé un mauvais message ? Dans la majorité, le recadrage de l’une des cofondatrices d’En Marche n’a pas été compris. En privé, à certains de ses proches, Yaël Braun-Pivet, petite-fille d’un tailleur juif polonais, ne se prive pas elle-même de dire que traiter avec Marine Le Pen n’a, pour elle, rien de naturel.
De la séquence politique des derniers mois, elle dit pourtant être ressortie avec de nouvelles certitudes. Jusque-là, « YBP » se rangeait dans cette catégorie de macronistes mettant un point d’honneur à ne pas placer extrême droite et extrême gauche sur le même plan. Mais son discours, subrepticement, évolue : non, bien sûr, elle ne met toujours pas un trait d’égalité entre frontistes et mélenchonistes. Mais elle considère désormais ces deux camps comme « également » dangereux. Un relativisme qui ne l’empêche pas de juger, dans le même temps, que le ministre du Travail a commis une faute en déclarant que Marine Le Pen avait « été bien plus républicaine que beaucoup d’autres », après que le député LFI Aurélien Saintoul l’a traité d’« assassin ». Difficile à suivre. La Macronie perdrait-elle sa boussole face au RN ?
Qui est aujourd’hui le véritable adversaire du camp présidentiel ? Le cas de la présidente de l’Assemblée nationale illustre la grande hésitation qui, sur ce sujet, traverse la macronie. Et force est de constater que moins d’un an après avoir éprouvé les pires difficultés à dessiner une ébauche de « front républicain » face au RN aux législatives, l’idée d’une extrême gauche aussi dangereuse et infréquentable que l’extrême droite continue, chez les partisans du chef de l’Etat, de faire son chemin.