Alors que les juges d’instruction ont achevé leurs investigations sur les soupçons de financement libyen de la première campagne présidentielle de l’ex-chef de l’État français, quatre infractions ont été retenues dans un dossier de 425 pages.
Nouvel épisode dans l’une des plus grandes affaires de la politique française du XXIe siècle. Mercredi 10 Mai 2023, le Parquet national financier a justifié, dans un réquisitoire impressionnant de 425 pages, une demande de procès pour 13 personnes, dont Nicolas Sarkozy et trois de ses anciens ministres, dans la tentaculaire affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007. Quatre infractions sont retenues : corruption passive, recel de détournement de fonds publics libyens, financement illicite de campagne électorale et associations de malfaiteurs.
Le ministère public estime disposer d’un « ensemble de témoignages convergents d’anciens dignitaires libyens sur le fait que Nicolas Sarkozy a (…), en octobre 2005, sollicité de Mouammar Kadhafi un soutien financier occulte » pour sa campagne présidentielle de 2007 :
« un pacte corruptif » aurait été conclu. Le PNF ajoute que l’enquête « a mis en évidence l’existence de contreparties à la fois diplomatiques, économiques et judiciaires », par exemple le retour de la Libye sur la scène diplomatique ou la conclusion de contrats, « mais également de flux financiers atypiques et troubles en provenance de Libye via, en particulier, Ziad Takieddine ».
« Des circuits opaques de circulation de fonds libyens »
Pour le parquet, des témoignages, des carnets personnels d’un ex ministre libyen retrouvé mort en 2012 et surtout des archives informatiques de l’intermédiaire Ziad Takieddine, antérieures à la révélation publique de l’affaire, viennent le prouver, contrecarrant ainsi selon le PNF la thèse de la défense d’une « fable construite rétrospectivement » pour torpiller l’ex-président. « S’il semble manifeste que l’intégralité des fonds libyens initialement destinés » à financer la campagne de l’ex candidat UMP « n’a pas été mobilisée dans ce but », l’enquête a mis en évidence « des circuits opaques de circulation de fonds libyens ayant abouti, in fine, à des décaissements d’espèces dans une temporalité et une chronologie compatibles avec un usage occulte » lors de la présidentielle 2007.
Sur la foi des investigations réalisées par les enquêteurs financiers de l’Oclciff (Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales), le PNF évalue par exemple à 5,9 millions d’euros l’argent qui a transité entre janvier et novembre 2006 de l’Etat libyen vers un compte de la société Rossfield dont Ziad Takieddine était le bénéficiaire économique. Or durant cette période, 440.000 euros ont été virés à un compte bahamien au bénéfice de Thierry Gaubert, un ancien proche de Nicolas Sarkozy, tandis que Ziad Takieddine a lui-même retiré en espèces environ un million d’euros d’un second compte alimenté par le compte Rossfield.
« Participation effective » d’anciens ministres
La plus lourde accusation reste celle d’associations de malfaiteurs, et c’est aussi la plus risquée pour l’ex-chef de l’Etat, car elle est considérée comme plus facile à faire tenir devant un tribunal correctionnel. Pour les magistrats, « plusieurs proches de Nicolas Sarkozy ont, avec constance, agi en qualité d’intermédiaires, tantôt officiels », ses ex ministres Claude Guéant et Brice Hortefeux, « tantôt officieux », les intermédiaires Alexandre Djouhri et Ziad Takieddine, afin d’obtenir un soutien financier libyen pour la présidentielle 2007 ou pour « faciliter la mise en œuvre de contreparties (économique, diplomatique et judiciaire) consécutive à ce soutien ».
Le réquisitoire souligne le rôle « actif, voire essentiel » de Claude Guéant et la « participation effective et consciente » de Brice Hortefeux à ce « projet ». Et Nicolas Sarkozy ? « Ces agissements, qui la plupart du temps étaient initiés par (ses) proches, ne pouvaient, par nature, être engagés sans l’aval et la parfaite connaissance de cause de ce dernier », tranche le ministère public. L’ancien chef de l’Etat conteste pour sa part l’ensemble des accusations. La décision finale sur un procès sera prise par les magistrats instructeurs financiers, probablement avant le mois de septembre.