Devant les militants venus célébrer le 55e anniversaire du PDG, le chef de l’État a évoqué pour la première fois en public l’AVC dont il a été victime en 2018. Manière d’exorciser le passé pour mieux préparer l’avenir ?
Dimanche 2 avril 2023, à Libreville, dans l’un des Palais des sports que copte le Gabon, bondé, c’est à une scène inédite qu’ont assisté les 4 000 militants venus célébrer le 55e anniversaire du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir).
« Ce que nous avons vécu est exceptionnel. C’est la première fois de ma vie que je vois ça. Et j’ai 67 ans », témoigne Lucien, encarté au parti depuis ses 16 ans et venu spécialement de Lambaréné, dans le Moyen-Ogooué.
Après avoir prononcé à l’aide d’un prompteur un discours logiquement maîtrisé, Ali Bongo Ondimba, à la surprise générale, reste au pupitre. Il pose ses lunettes. Pendant quelques secondes, il parcourt du regard la foule des militants, de la fosse aux gradins. Et esquisse un large sourire, semblant savourer le moment.
Puis, lui d’ordinaire si secret se livre comme jamais il ne l’avait fait.
« Je le dois aux militants du PDG et aux Gabonais. Ils doivent savoir la vérité », avait confié quelques semaines plus tôt le chef de l’État à son entourage. Ali Bongo Ondimba veut lever le tabou, « être totalement transparent », comme il le dit. « Il avait décidé de parler de son AVC, explique l’un de ses collaborateurs. Nous étions très réservés. Et puis on a fini par se rallier à son idée. » La séquence devait être courte, « cinq minutes tout au plus ». Mais, à la tribune, le chef de l’État a décidé de prendre son temps.
Il revient d’abord sur les circonstances de son AVC. « Ce jour-là [le 24 octobre 2018, à Riyad], je me suis retrouvé seul à table parce que les autres [chefs d’État] étaient descendus. Et là, j’ai été victime d’un accident », commence Ali Bongo Ondimba, précisant qu’il avait alors demandé l’intervention d’un médecin. « [À partir du moment où] il est arrivé, je ne me souviens plus de rien et ce, jusqu’à mon dernier jour en Arabie saoudite […]. Je me rappelle seulement du moment où je suis allé un peu me promener dans l’hôpital [de Riyad] pour me détendre, et, après, nous sommes partis pour le Maroc. »
Il explique qu’étonnamment, à cette période, c’est en anglais et non en français qu’il était le plus à l’aise.
« Petit à petit, mon français est revenu et a surpassé mon anglais jusqu’au moment où je suis rentré définitivement [au pays]. » De ce retour, le 23 mars 2019, le chef de l’État n’a rien oublié. « C’était extraordinaire, il y avait tant de monde ! Ça m’a fait un bien fou. Vous ne pouvez pas vous rendre compte du bonheur que cela a pu me procurer. Enfin, je rentrais chez moi, et les Gabonais m’attendaient. »
Remontant le fil de ses souvenirs, Ali Bongo Ondimba multiplie les remerciements : à ses compatriotes – « Je vous remercie pour l’amour que vous me donnez » –, à Mohammed VI – « Le roi, mon frère, notre frère a tout fait pour moi » –, et à son épouse, Sylvia, omniprésente à ses côtés durant cette épreuve comme par la suite, quand il s’est agi de recouvrer ses facultés, sa motricité et son élocution. « Je lui dois tellement », répète-t-il à ses intimes.
« [Compte tenu de] la maladie que j’ai eue, je suis chanceux : à peine 10% des gens y survivent, et aucun chef d’État ne figure parmi eux. » Il aurait pu ajouter que, s’il avait fait cet AVC à Libreville, l’issue aurait sans nul doute été différente… Pour lui, c’est un signe : il doit poursuivre sa mission. « J’aurais très bien pu dire : “Bon, c’est terminé, je m’en vais récupérer tranquillement”. Mais, non ! non ! Ce n’était pas possible. Pas comme ça. Dieu a voulu que […] nous restions ensemble et que je continue à porter la voix du Gabon partout, sans exception », martèle-t-il. Et d’insister : « Je suis entièrement au service du pays car Dieu m’a donné une leçon ! »
Ali Bongo Ondimba n’est pas encore officiellement candidat à sa réélection – la présidentielle se tiendra probablement en août ou en septembre. Mais, pour beaucoup, ce 55e anniversaire du PDG avait tout l’air d’un meeting de campagne.