Critiquée à gauche comme à droite pour avoir signé, en juillet dernier, un partenariat stratégique sur les migrations avec la Tunisie, la Commission européenne a défendu son initiative mardi. Sans aborder la question des abandons dans le désert organisés par le gouvernement tunisien cet été et provoquant la mort de dizaines de personnes, l’UE a évoqué la nécessité de mettre en place des mesures à court terme pour limiter les arrivées de migrants en Europe.
La gauche et les Verts dénoncent un partenariat signé avec un autocrate. La droite et l’extrême droite déplorent un accord insuffisant pour réduire le nombre d’arrivées de migrants en Europe. Face à ces critiques, la Commission européenne a défendu, mardi 12 septembre, le partenariat migratoire signé en juillet avec la Tunisie, affirmant que la coopération avec ce pays avait conduit à une augmentation cette année des interceptions de bateaux et des sauvetages.
En juillet dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, la Première ministre italienne Giorgia Meloni et son homologue néerlandais Mark Rutte s’étaient rendus à Tunis pour signer un partenariat stratégique avec le président Kaïs Saïed.
Centré sur la lutte contre l’immigration irrégulière, l’accord prévoit une aide de 105 millions d’euros pour lutter contre l’immigration irrégulière. « [Les deux parties] conviennent d’œuvrer pour améliorer […] la mise en œuvre de mesures efficaces de lutte contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains », cite d’ailleurs l’accord.
Cela passe par « un soutien à la flotte des garde-côtes tunisiens et des formations », indiquait en juillet la chercheuse au Migration policy institute Europe Camille le Coz. « L’accord parle aussi de développement économiques et d’efforts pour faciliter la réintégration des Tunisiens qui rentrent depuis l’Europe […] Il est également prévu de mettre en place un système de retour pour les ressortissants des pays tiers depuis la Tunisie », précisait elle.
Abandons dans le désert
La Tunisie est, avec la Libye, le principal point de départ pour des milliers de migrants qui traversent la Méditerranée centrale vers l’Europe, et arrivent en Italie. Le nombre de départs depuis le pays est en hausse ces derniers mois en raison de la crise économique que connaît la Tunisie mais aussi de la vague de violences xénophobes que subissent les migrants subsahariens dans le pays.
En février dernier, dans un discours, le président tunisien s’en était pris à ces personnes, les accusant d’être source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables » et de chercher à « changer la composition démographique de la Tunisie », afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman ».
Quelques mois plus tard, des centaines de migrants étaient raflés dans différentes villes du pays et abandonnés dans les déserts algérien et libyen, frontaliers avec la Tunisie, par les autorités. Selon des sources humanitaires interrogées par l’AFP, « au moins 2 000 ressortissants subsahariens » ont ainsi été « expulsés » par les forces de sécurité tunisiennes vers les zones désertiques. Beaucoup sont morts de soif.
Le bilan des personnes décédées à la seule frontière libyenne s’élèverait à 27 morts, selon des chiffres communiqués le 8 août par les autorités de Tripoli.
Lors d’une session plénière du Parlement européen à Strasbourg, le commissaire européen Oliver Varhelyi a reconnu qu' »un certain nombre de développements récents étaient préoccupants ». Mais « la situation difficile des migrants bloqués dans les régions frontalières (de la Tunisie avec la Libye et l’Algérie) ou le nombre élevé d’arrivées irrégulières (dans l’UE) illustrent l’urgence de redoubler d’efforts et de coopérer étroitement en la matière », a-t-il affirmé. « C’est précisément l’une des raisons pour lesquelles ce nouveau partenariat global et stratégique avec la Tunisie (…) est nécessaire », a-t-il poursuivi.
Il a indiqué que cette année, « grâce à la coopération » avec l’UE, les garde-côtes tunisiens avaient procédé à « près de 24 000 interceptions de bateaux » transportant des migrants, « par rapport à 9 376 en 2022 ». « En 2022, 32 459 vies ont été sauvées par les garde-frontières et les garde-côtes tunisiens. Cette année, nous en sommes déjà à près de 50 000 vies sauvées grâce à cette coopération », a-t-il assuré.
Parallèle avec l’accord libyen
Mais aucune information n’a encore été communiquée sur ce que deviendront les personnes secourues en mer : seront-elles placées en centres fermés en Tunisie ou renvoyées dans leur pays ? « Le parallèle est à faire avec l’accord avec la Libye où la coopération a été essentiellement sécuritaire et où il y a eu très peu de mécanismes de suivi qui ont été mis en place pour s’assurer que les populations migrantes étaient traitées correctement », affirme Camille Le Coz.
Dans une tribune publiée mi-août en quatre langues dans différents médias, dont Médiapart pour la France, 379 chercheurs et membres de la société civile ont également pris « collectivement position contre le ‘Mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global entre l’Union Européenne (UE) et la Tunisie’ et contre les politiques d’externalisation des frontières de l’UE ».
Les signataires, ressortissants entre autres de France, Tunisie, Libye, Italie, Allemagne, d’Algérie ou encore Niger, y dénonçaient « un tournant dangereux dans l’acceptation de ces politiques et des présupposés racistes qui les sous-tendent ».