Depuis début novembre, des centaines de demandeurs d’asile sont arrivés aux postes-frontières finlandais depuis la Russie, alors qu’ils ne sont habituellement qu’une dizaine par mois à s’y présenter. Les Observateurs de France 24 ont pu échanger avec un homme qui organise des voyages de la Russie vers la frontière finlandaise pour les migrants. Il affirme, comme les autorités finlandaises, que cet afflux est orchestré par Moscou pour déstabiliser l’Europe.
Du 1er au 17 novembre, 415 personnes sont arrivées aux postes-frontières du sud-est de la Finlande depuis la Russie, sans visa Schengen ni carte de séjour pour voyager. Parmi eux, des Syriens, des Yéménites, des Irakiens ou encore des Somaliens. Ce nombre est bien plus élevé que d’habitude, selon les gardes-frontières finlandais, qui ont remarqué une hausse des arrivées à partir d’août.
Sur les réseaux sociaux, des vidéos montrent des personnes, souvent à vélo, qui se dirigent vers les postes-frontières avec la Finlande.
Helsinki accuse Moscou d’avoir orchestré cet afflux de migrants. Un avis partagé par la Commission européenne. Elles estiment que l’objectif est de déstabiliser le pays en représailles à son adhésion à l’Otan en avril et à son rapprochement avec les États-Unis en matière de défense. Le Premier ministre finlandais a déclaré qu’il était « clair que ces personnes sont aidées, escortées ou transportées ».
Même son de cloche du côté des gardes-frontières finlandais : « Avant, les Russes ne laissaient pas les gens franchir leurs postes frontaliers s’ils n’avaient pas les documents requis pour entrer en Finlande. Mais désormais, ils les laissent passer. De plus, le phénomène que l’on observe est facilité par le crime international, qui organise cette immigration illégale », a indiqué le commandant Pentti Alapelto à la rédaction des Observateurs de France 24. La Russie a rejeté ces accusations.
« On donne 500 dollars aux gardes-frontières par migrant pour qu’ils les laissent aller vers la Finlande »
Le 22 novembre, notre rédaction a échangé sur WhatsApp avec Ahmed (pseudonyme), dont le numéro apparaît sur des vidéos filmées près de la frontière et circulant sur les réseaux sociaux. Il affirme qu’il se trouve en Turquie, d’où il organise des voyages de la Russie vers la frontière finlandaise pour les migrants.
« J’envoie les personnes en voiture à la frontière, en accord avec la police russe. On donne 500 dollars [457 euros, ndlr] aux gardes-frontières par migrant pour qu’ils les laissent aller vers la Finlande, au niveau des points de passage. La police leur donne également des vélos. Avant, il n’y avait pas d’accord de ce type, donc je n’envoyais pas les gens vers la frontière finlandaise. J’ai entendu parler de cet accord à travers un homme qui travaille pour moi à la frontière. Je pense que c’est pour mettre la pression sur l’Europe, à travers les migrants.
Je demande 1 200 dollars [1 097 euros, ndlr] aux gens pour mes services : 500 dollars pour le service des frontières, 200 pour le conducteur de la voiture – dont je suis le propriétaire – et je garde 500 pour moi.
Depuis 10 jours [soit depuis le 12 novembre, ndlr], j’ai envoyé environ 200 personnes à la frontière : ce sont surtout des Syriens, des Irakiens, des Tunisiens, des Marocains, des Turcs, des Yéménites et des Libanais. Parmi eux, certains étaient en Russie, en Biélorussie, en Géorgie ou en Turquie avant. »
Notre rédaction n’a pas pu vérifier les affirmations de ce passeur de façon indépendante. Cependant, « l’accord » qu’il décrit avec les Russes rejoint les accusations formulées par les Finlandais. De plus, dans une conversation dans une chaîne Telegram, un homme assure être en contact avec une personne qui a réussi à passer la frontière, après avoir versé 100 dollars à un garde-frontière russe.
Par ailleurs, des vidéos tournées près de la frontière et diffusées sur les réseaux sociaux montrent bien des personnes en vélo. L’agence de presse Reuters a également publié des photos de rangées de vélos à différents postes-frontières (par exemple à Salla, le 23 novembre). Alors qu’il était auparavant possible de traverser la frontière en vélo – et non à pied – les garde-frontières finlandais ont graduellement interdit les passages en vélo.
Fermeture de la quasi-totalité des postes-frontières
Pour contrer l’arrivée de ces personnes sans papiers, la Finlande a fermé quatre postes-frontières dans la nuit du 17 au 18 novembre, et trois autres dans la nuit du 23 au 24 novembre. Seul un point de passage au nord reste donc ouvert pour les demandeurs d’asile.
Vendredi 24 novembre, Ahmed nous a indiqué qu’il continuerait d’envoyer des gens à la frontière finlandaise tant qu’il y aurait un point de passage ouvert.
Notre rédaction a échangé, mercredi 22 novembre, avec un Syrien dont deux proches ont tenté de rallier la frontière finlandaise récemment : « L’un de mes amis a pu entrer en Finlande il y a cinq jours. Il a payé 350 dollars pour faire un trajet de 12h de Moscou jusqu’à un point de passage, puis il a dû payer 300 dollars [274 euros, ndlr] pour le vélo. » Son frère, en revanche, n’a pas pu traverser la frontière.
Notre rédaction a également échangé avec deux hommes qui n’ont pas pu entrer en Finlande non plus, du fait de la fermeture progressive des postes-frontières. L’un d’eux, qui n’a pas voulu donner sa nationalité, affirme avoir payé 700 dollars (soit 640 euros) pour réaliser le trajet entre Saint-Pétersbourg et la frontière finlandaise, il y a quelques jours, en vain.
Un autre, un Syrien, dit avoir payé 100 dollars pour voyager de Moscou à Saint-Pétersbourg, avec quatre personnes originaires d’Irak, du Yémen, de Syrie et de Somalie. Arrivé là-bas, il a payé 300 dollars supplémentaires pour se rendre en taxi vers le nord. À l’heure où nous publions cet article, il n’était toujours pas parvenu à franchir la frontière. Il nous a indiqué qu’il faisait -25°C à l’endroit où il se trouvait.
« Ils risquent de mourir de froid, les températures sont très basses »
Contacté par notre rédaction, le Comité d’assistance civique, une ONG russe qui aide les migrants et les réfugiés, réagit à la décision finlandaise de fermer ses postes-frontières.
« Cela va compliquer les choses pour les familles qui vivent des deux côtés de la frontière. De plus, les Syriens, les Yéménites ou encore les Somaliens qui n’ont quasiment aucune chance d’obtenir l’asile en Russie vont être coincés dans notre pays. Ils pourraient l’obtenir en Finlande, mais en fermant ses frontières, celle-ci ne leur donne plus la possibilité de le demander.
Au niveau des points de passage situés vers le nord, il y a des gens qui sont actuellement dans des tentes. Ils risquent de mourir de froid, car les températures sont très basses, et c’est déjà arrivé au moment de la crise entre la Biélorussie et l’UE. Ces demandeurs d’asile doivent être traités avec respect et mis hors de danger.
En Russie, des dizaines de réfugiés ont récemment été arrêtés par la police, jugés et condamnés à la déportation car beaucoup sont dans une situation illégale : leurs visas ont expiré ou ils n’ont pas obtenu l’asile. »
L’un des Syriens avec lesquels nous avons échangé a également exprimé cette crainte : « Actuellement, je ne peux pas vous dire dans quel village je me trouve, car si les Russes apprennent qu’il y a des migrants ici, ils vont venir nous chercher pour nous renvoyer en Syrie. »