Pour estimer l’âge des migrants présumés mineurs arrivant en Allemagne sans documents d’identité, les autorités ont recours à une procédure spécifique. Je vous explique le fonctionnement des méthodes d’évaluation de l’âge.
En 2023, plus de 11 000 mineurs non accompagnés, notamment originaires d’Afghanistan et de Syrie, ont demandé l’asile en Allemagne. Plus de neuf sur dix d’entre eux ont obtenu une protection, selon l’Office fédéral allemand pour la migration et les réfugiés (BAMF).
Par ailleurs, plus de 28 000 enfants et jeunes non accompagnés, pour la plupart des garçons, ont été pris en charge en 2022, soit davantage que pendant les trois années précédentes réunies.
Mais, les mineurs non accompagnés ne disposent souvent d’aucun document prouvant leur âge. Certains n’ont jamais possédé de passeport ou n’ont pas pu l’emporter avec eux lors de leur fuite. D’autres affirment avoir perdu leurs documents d’identité pendant leur voyage ou avoir dû les remettre à des passeurs. Enfin, dans certaines régions du monde, un nombre considérable de personnes ne disposent pas d’un acte de naissance.
Comme il est généralement difficile, voire impossible, d’obtenir les documents nécessaires dans les pays d’origine une fois arrivé en Europe, les mineurs non accompagnés ont rarement la possibilité de prouver leur âge.
En l’absence de documents officiels, toutes les évaluations de l’âge, même s’il s’agit de méthodes médicales, ne sont que des estimations. Or ces évaluations ne sont pas sans conséquences : elles déterminent si une personne a accès à un logement adapté, à certaines formes de soutien, au système éducatif, à une représentation juridique ou encore à des soins médicaux complets.
Voici ce qu’il faut savoir sur l’évaluation de l’âge des migrants présumés mineurs et non accompagnés en Allemagne :
Papiers d’identité et déclarations sur l’honneur
Selon la loi allemande, les quelque 800 bureaux de protection de l’enfance et de la jeunesse (Jugendämter) sont responsables de la prise en charge provisoire et de l’évaluation de l’âge d’un migrant présumé mineur et non accompagné qui arrive en Allemagne. Il s’agit avant tout de dissiper les doutes quant à l’âge de la personne.
Lors de la prise en charge des mineurs présumés, les agents cherchent en premier lieur à établir l’âge grâce aux papiers d’identité. Selon l’Association pour les mineurs réfugiés non accompagnés (BumF), les documents doivent permettre de « s’assurer de manière suffisante que les informations qu’ils contiennent, notamment en ce qui concerne la date de naissance, soient conformes aux faits ».
Si les documents s’avèrent insuffisants, le personne a la possibilité de dissiper ses doutes en fournissant elle-même les informations manquantes : cette procédure de déclarations sur l’honneur est appelée « Selbstauskunft ».
La procédure d’évaluation
Si des doutes persistent après l’examen initial, les autorités lancent une seconde procédure, appelée examen qualifié (qualifizierte Inaugenscheinnahme).
Cette inspection implique au moins deux professionnels de l’éducation spécialement formés, assistés de médiateurs et d’interprètes et, si nécessaire, d’un soutien psychologique.
Différents facteurs sont pris en considération, notamment l’apparence physique, les informations recueillies au cours de l’entretien sur l’état de développement psychologique de la personne et d’autres informations pertinentes.
Lors de l’entretien sont également abordés de possibles déclarations contradictoires et les préoccupations liées à l’âge.
Les professionnels de l’éducation sont particulièrement attentifs à la manière dont une personne réagit lorsqu’elle est confrontée à ses déclarations contradictoires. Une réaction infantile peut également indiquer un « manque de maturité », selon la BumF.
La détermination du statut de mineur ou d’adulte incombe aux enquêteurs, qui font cette distinction sans se concentrer sur l’âge exact ou la date de naissance de la personne.
Selon la BumF, le résultat et l’évaluation doivent être documentés, vérifiables et transparents. La logique du raisonnement doit pouvoir être prouvée.
Selon un arrêt rendu en 2006 par le tribunal administratif fédéral allemand, la décision doit tenir compte de l’obligation de protéger les mineurs. En cas de doute, la décision doit être prise « dans l’intérêt de la personne mineure ».
Les examens médicaux
Dans les cas où ni les déclarations sur l’honneur lors de la « Selbstauskunft », ni l’examen qualifié ne permettent de lever les doutes sur l’âge de la personne, le bureau de protection de la jeunesse organise un examen médical.
Les examens médicaux sont effectués par des professionnels de la santé. Les méthodes utilisées ne doivent pas être douloureuses ou gênantes et le plus fiable possible. Les examens des parties génitales sont par exemple exclus.
Plusieurs options existent pour l’examen médical, notamment la radiographie des os du carpe (au niveau de la main), de la mâchoire ou de la clavicule. Si par exemple les os du carpe ne sont pas encore complètement développés, il est possible d’affirmer avec beaucoup de certitude que la personne a moins de 18 ans.
Les médecins cherchent à évaluer les réactions, les émotions et le degré de maturité de la personne.
Cependant, les associations de médecins et les commissions d’éthique en Allemagne se sont prononcées à plusieurs reprises contre la détermination de l’âge par test osseux, estimant que ces tests étaient injustifiés. Un examen radiographique des os de la main aurait une marge d’erreur pouvant aller jusqu’à trois ans.
Il est important de noter qu’un examen médical ne permet pas non plus de déterminer l’âge précis d’une personne. Ces méthodes ne peuvent fournir qu’une estimation approximative et une fourchette d’âge estimé.
Et après l’examen médical ?
Le bureau de protection de la jeunesse a pour seule responsabilité de décider si un migrant est mineur ou adulte.
Déterminer une date de naissance précise, bien que fictive, est obligatoire. La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant stipule notamment que le 31 décembre de l’année de naissance estimée doit toujours être choisi comme date fictive. Certaines juridictions estiment toutefois qu’il s’agit d’une pratique illégale.
Une fois cette date de naissance définie, sont lancées les procédures d’accès à l’aide sociale, aux soins de santé, à l’hébergement, et au statut de résidence.
La décision de déposer ou non une demande d’asile est basée sur le statut de résidence de la personne. « Si la procédure d’asile a peu de chances d’aboutir, d’autres possibilités d’obtenir un permis de séjour peuvent être envisagées », selon le BAMF.
Si le bureau de protection de la jeunesse détermine qu’un jeune migrant est mineur, un tuteur doit être désigné.
Quels sont les droits des mineurs ?
En Allemagne, la loi sur la protection de l’enfance et de la jeunesse (Kinder- und Jugendhilfegesetz) considère un enfant comme les personnes qui n’ont pas atteint l’âge de 14 ans, et comme mineur les personnes ayant entre 14 et moins de 18 ans.
La loi allemande précise comment l’évaluation de l’âge doit être effectuée.
Entre autres, les jeunes migrants « doivent être pleinement informés de la méthode d’examen et des conséquences possibles de la détermination de l’âge » avant tout examen médical. Un tel examen nécessite également leur consentement, qui doit être documenté de manière claire.
En outre, les jeunes migrants ont non seulement le droit d’être impliqués dans toutes les décisions concernant l’évaluation de leur âge, mais la loi allemande exige également qu’ils soient informés de leurs droits « dans une langue intelligible et avec l’aide d’interprètes ». Ils ont également le droit de pouvoir se mettre en contact avec une personne de confiance et de demander un examen médical en cas de doute.
Si un bureau de protection de l’enfance et de la jeunesse considère qu’un migrant est adulte, ce dernier peut faire appel de la décision dans un délai d’un mois. La personne doit dans ce cas déposer une demande pour continuer à être pris en charge par les services d’aide à la jeunesse pendant la procédure d’appel.
L’absence de documents susceptibles de prouver l’âge ne doit pas entraîner un désavantage pour la personne concernée, selon la BumF. Aussi, les déclarations sur l’honneur sont d’une importance capitale et ne peuvent être mises en doute que dans des cas fondés et exceptionnels.
Les évaluations d’âge d’autres pays ou d’autres municipalités allemandes, voire d’autres branches de l’administration, telles que le bureau des étrangers ou la police, ne sont pas contraignantes pour le bureau de protection de la jeunesse localement responsable, explique la BumF.
Des informations contradictoire pouvant apparaître lors de l’examen qualifié ne justifient pas la conclusion que l’âge est incorrect, toujours selon la BumF.
Informations complémentaires
L’Agence de l’Union européenne pour l’asile propose un « livret d’évaluation de l’âge des enfants » disponible en cinq langues dont le français et destiné à « informer les jeunes arrivant en Europe qui pourraient être amenés à participer à une évaluation de leur âge ».
Le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) donne une vue d’ensemble des aspects à prendre en compte lorsqu’une évaluation de l’âge est nécessaire. Le HCR recommande notamment d’accorder au migrant le « bénéfice du doute si l’âge exact est incertain ».
Le Bamf propose un aperçu en anglais des différentes étapes qui suivent l’arrivée des mineurs non accompagnés en Allemagne.