Des milliers de personnes manifestent depuis plusieurs jours dans diverses villes d’Allemagne après des révélations selon lesquelles des membres du parti d’extrême droite AfD, des néonazis et des entrepreneurs ont discuté, en secret, d’un plan massif d’expulsion de personnes étrangères ou d’origine étrangère considérées comme « non assimilé ».
Berlin, Hambourg, Cologne, Leipzig, Essen, Rostock… Des dizaines de milliers de personnes manifestent depuis plusieurs jours dans toute l’Allemagne contre le parti d’extrême droite AfD. Ils étaient environ 30 000 à Cologne (ouest) mardi 16 janvier, entre 6 000 et 10 000 à Leipzig (nord-est) lundi, près de 10 000 à Postdam (près de la capitale) et environ 20 000 à Berlin – selon les organisateurs – dimanche, quelque 2 000 à Hambourg (nord) vendredi…
« Nous ne laisserons pas les Nazis voler notre ville », « tous ensemble contre le fascisme », « contre l’AfD et la folie nationaliste » ont scandé les participants lors de ces marches pacifiques.
Ces soulèvements populaires organisés dans plusieurs villes allemandes, qu’elles soient petites ou grandes, font suite à la révélation d’un projet d’expulsion massive de personnes d’origine étrangère élaboré par l’AfD, en hausse dans les sondages.
Mercredi 10 janvier, le média d’investigation allemand Correctiv affirmait que des membres du parti d’extrême droite, des néonazis et des entrepreneurs se sont secrètement rencontrés en novembre à Postdam pour discuter de la mise en place d’un plan baptisé « Remigration » : un projet de déportation massif des demandeurs d’asile, des étrangers avec des titres de séjour et des citoyens considérés comme « non assimilés » du territoire allemand.
« Préparer le terrain »
Lors de cette rencontre, le président du groupe parlementaire de l’AfD au parlement de Saxe-Anhalt – l’un des bastions de ce parti d’extrême droite –, aurait proclamé l’importance de « préparer le terrain » pour ce « projet de plusieurs années », via le soutien des médias sociaux et une pression quotidienne sur les personnes visées.
La réunion a été organisée dans un hôtel par un ex-propriétaire de la chaîne de boulangerie allemande « Backwerk », Hans Christian Limmer, ainsi que par l’extrémiste de droite Gernot Mörig.
Le cofondateur du Mouvement identitaire autrichien (IBÖ) Martin Sellner y a présenté un projet pour envoyer vers l’Afrique du Nord jusqu’à deux millions de personnes, affirme Correctiv.
« Oui j’étais [à cette réunion, ndlr] », a confirmé à l’AFP Martin Sellner. « C’était fin novembre et j’ai présenté mon livre et mon concept identitaire de remigration », terminologie diffusée par les partis hostiles aux étrangers en Europe.
Parmi les membres de l’AfD présents à cette réunion, il y avait entre autres Roland Hartwig, le représentant personnel de la co-dirigeante du parti Alice Weidel. Présents aussi : le député Gerrit Huy et le président du groupe parlementaire régional de l’AfD de Saxe-Anhalt (Est de l’Allemagne), Ulrich Siegmund, selon Correctiv.
Mais face au tollé, plusieurs cadres du parti nient en bloc. Dans un courriel à l’AFP, l’AfD a précisé que Roland Hartwig avait « simplement présenté un projet de réseaux sociaux » lors de cette rencontre où il avait été invité. « Il n’y a pas élaboré de stratégies politiques ni ‘porté au sein du parti’ les idées de Martin Sellner sur la politique migratoire. De plus, il n’avait ‘pas connaissance’ de ces idées au préalable », a ajouté l’AfD.
Pour les juristes, cette réunion secrète présente de fortes similitudes avec la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942, qui a planifié la Shoah.
L’AfD crédité de plus de 20% des intentions de vote
Dans un retweet d’un article de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel faisant état de cette réunion, la ministre allemande de l’Intérieur, Nancy Faeser, a affirmé : « Cette idéologie est dirigée contre le fondement même de notre démocratie. La dignité de l’être humain est inviolable. De chaque être humain ».
Ces révélations ont provoqué une onde de choc dans le pays, alors que l’AfD bénéficie d’une dynamique favorable dans les sondages, avec des intentions de vote de 21 à 23% à l’échelle nationale.
Le parti dépasse même les 30% dans les Länder d’ex-Allemagne de l’Est, comme la Saxe, la Thuringe et le Brandebourg où des élections régionales cruciales se tiendront au deuxième semestre 2024.
Le chancelier Scholz a d’ailleurs mis en garde samedi contre « les extrémistes », alors que l’extrême droite cherche à instrumentaliser les mobilisations sociales, en premier lieu celle des agriculteurs. « Lorsque des protestations en soi légitimes se transforment en colère ou en mépris pour les processus et les institutions démocratiques, nous sommes tous perdants. Seuls ceux qui méprisent notre démocratie en profiteront », a-t-il averti.