La Cour des comptes a étrillé dans un rapport la politique de la France vis-à-vis des étrangers en situation irrégulière. Manque de coordination, manque de moyens humains, mauvaise gestion aux frontières, pas assez d’expulsions, trop peu de retours volontaires… L’institution invite le pays à revoir sa stratégie d’ensemble qu’elle juge « inefficace ».
Dans un rapport publié jeudi 4 janvier et qui détaille la « politique de lutte contre l’immigration irrégulière », la Cour des comptes juge l’administration française « inefficace » et invite les autorités à recalibrer leur stratégie, jusqu’à présent principalement centrée sur la délivrance massive d’OQTF (Obligation de quitter le territoire français).
Les étrangers en situation irrégulière peuvent être entrés en France sans droit ni titre, ou légalement mais s’y maintenir au-delà de la durée de séjour autorisée. Il s’agit donc d’une catégorie mouvante, car une même personne peut basculer d’une situation à l’autre. Le nombre d’étrangers en situation irrégulière présents en France est difficile à évaluer. Il est généralement estimé à partir du nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État (439 000 en juin 2023), mais cette estimation présente de nombreuses limites. La politique de lutte contre l’immigration irrégulière repose sur le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) et s’exerce dans un cadre juridique en partie harmonisé au niveau européen, notamment par le biais de la directive « Retour » de 2008 et les accords de Schengen de 1995.
Le rapport – qui élude volontairement la thématique des étrangers en situation régulière et l’asile – se concentre sur l’analyse des différentes politiques mises en place par le ministère de l’Intérieur pour lutter contre les sans-papiers présents sur le sol national – estimés à 440 000 personnes – et lutter contre les nouvelles entrées irrégulières.
Pas assez de placements en centres de rétention (CRA)
Le rapport ne fait pas de détour : il n’y a pas assez d’étrangers en situation irrégulière placés en centre de rétention administrative (CRA) au regard du nombre d’OQTF délivrées. Entre 2019 et 2022, « 5 % des étrangers en situation irrégulière titulaires d’une obligation de quitter le territoire français ont été placés » dans les 22 centres de rétention que compte la France. Et sur ces 5%, la moitié a été éloignée.
Plusieurs raisons à cela : difficulté à établir l’identité d’un sans-papiers (qui ne dispose pas de passeport ou de pièce d’identité), ce qui entraîne des difficultés à obtenir un laissez-passer consulaire (obligatoire pour expulser une personne vers son pays d’origine). Il y a aussi des obstacles humains : le refus du personnel naviguant de faire décoller l’avion dans lequel se trouvent des étrangers s’opposant à leur éloignement.
Consciente de ses défaillances, la France mène donc un tour de vis depuis août 2022 concernant les expulsions : les étrangers irréguliers condamnés pénalement sont envoyés en priorité en CRA. Une politique qui a montré ses premiers résultats : « [Ces ‘délinquants’, selon le terme employé par le ministre Gérald Darmanin] représentaient plus de 90 % des retenus à la fin de l’année 2022, contre moins de 50 % six mois auparavant ».
D’après Eurostat pourtant, la France est un des pays qui exécutent le plus d’éloignements forcés de l’Union européenne : 11 409 retours forcés ont été réalisés en 2022 et 18 915 en 2019, dernière année pré-Covid.
Le rapport de la Cour des compte préconise aussi d’ouvrir de nouveaux CRA. Mais là encore, rien n’est simple. Le ministère de l’Intérieur a engagé un plan de construction de nouvelles places en rétention pour atteindre 3 000 lits (contre 1 700 aujourd’hui), mais il se heurte à des difficultés pour recruter dans ces métiers peu attractifs.