Après avoir accueilli un grand nombre de migrants, depuis plusieurs années, la Suède durcit sa politique. La lutte contre l’immigration est la priorité du nouveau bloc conservateur allié à l’extrême droite, ce qui inquiète les réfugiés et ceux qui les défendent.
À une quinzaine de kilomètres et moins de 30 minutes en métro du cœur de Stockholm, le quartier de Rinkeby n’a plus grand-chose à voir avec les belles maisons colorées du vieux centre de la capitale suédoise. Des blocs d’immeubles, une place centrale avec quelques cafés, des commerces réduits au minimum. Ce quartier bâti dans les années 1980 compte plus de 80 % de population immigrée. Mahmoud Francesco est arrivé du Chili avec ses parents et sa sœur à l’âge de 4 ans. Il en a aujourd’hui 42, et n’a jamais quitté Rinkeby.
« On nous rappelle moins pour le boulot, à tâche égale on est moins bien payés que les Suédois. »
Il a vu l’hostilité croître à l’égard des réfugiés ces dernières années.
Il décrit une discrimination devenue banale : « Les vigiles me suivent toujours au supermarché, on me regarde mal dans les transports, j’ai l’impression de devoir tout le temps prouver que je ne suis pas un criminel. » Autour d’un café, ses amis chiliens ressentent la même chose : « On nous rappelle moins pour le boulot, à tâche égale on est moins bien payés que les Suédois, et, surtout, beaucoup plus surveillés pendant qu’on travaille. »
Voilà un an que le bloc de droite a remporté les élections, rendant plus visible encore une hostilité déjà présente lorsque les sociaux démocrates étaient aux commandes. Le premier ministre conservateur Ulf Kristersson a besoin des Démocrates de Suède, son allié d’extrême droite, pour constituer une majorité. À la mi-juillet, ils ont défendu ensemble un projet de loi immigration très restrictive. Le texte rend plus difficile l’obtention d’un droit de séjour pour raisons humanitaires. Il propose de doubler le salaire minimal requis pour obtenir un permis de travail, d’empêcher le regroupement familial. Les permis de séjour permanents sont remplacés par des permis de séjour temporaires, toujours plus courts et plus compliqués à obtenir. « L’argument du gouvernement est de dire que les migrants ne devraient pas avoir plus de droits en Suède que ceux prévus par la Convention de Genève. Donc tout niveler par le bas pour rendre notre pays le moins attractif possible», explique Björn Åhlin, avocat spécialiste en droit de l’immigration à Stockholm.
« La Suède est l’un des pays les plus multiculturels d’Europe, avec 20 % de sa population née à l’étranger. En 2015, en pleine crise syrienne, le royaume scandinave a accueilli 163 000 réfugiés pour 10 millions d’habitants. En 2021, 13 000 demandes d’asile ont été déposées, soit dix
fois moins qu’il y a huit ans, et seules 7 000 ont été acceptées. L’actuelle coalition dite « Tidö », du nom du château Renaissance où les négociations ont été conduites, propose un nouveau coup de frein à l’accueil des réfugiés, qui va passer de 6 400 personnes l’an dernier à 900 sur les quatre prochaines années. »
À Rinkeby, chacun sait que le rejet des migrants a commencé bien avant, et ce, dès 2015. Cette année-là, en pleine crise syrienne, la Suède fut le pays le plus accueillant d’Europe, proportionnellement à sa population de 10 millions d’habitants (lire les repères).« Nous n’étions pas préparés et le système s’est effondré », se souvient tristement George Joseph, directeur de La Caritas en Suède. « Mais les Suédois se sont mobilisés, ont ouvert leurs portes, et ça a bien marché L’opinion publique était pour l’accueil des réfugiés à l’époque, près de 70 % des Suédois étaient favorables », poursuit-il.
Depuis, les attaques terroristes ont sévi en Europe et la guerre des gangs liée au trafic de drogue s’est intensifiée en Suède. Les Démocrates de Suède en ont profité pour faire l’amalgame entre immigration et insécurité. « C’est la stratégie du bouc émissaire : on blâme les migrants pour tout », déplore George Joseph.
Avec l’arrivée du nouveau gouvernement, la situation n’a fait qu’empirer. Björn Åhlin prend l’exemple d’un client arrivé enfant, qui a fait ses études en Suède puis a trouvé un travail dans une maison de retraite. Il aurait dû obtenir un permis permanent en raison de son travail. « Mais, en février dernier, la Cour suprême des migrations a rendu une nouvelle décision selon laquelle il ne suffit pas de trouver un emploi après l’école, il faut l’avoir trouvé dans les six mois, or il a mis huit mois à le trouver. Donc, il n’a pas eu son permis alors qu’il travaille depuis
trois ans. C’est insensé », fustige l’avocat. Faire de la Suède un pays inhospitalier pour dissuader les arrivées, la stratégie semble fonctionner. À Rinkeby, Shimal, 40 ans, a fui l’Irak en 2006 à cause de la guerre. Arrivé seul, il est aujourd’hui marié, père de trois enfants et tient un magasin dans le centre commercial du quartier. Après avoir mis tant de temps à s’adapter à son nouveau pays, il songe pour la première fois à le quitter.