Supprimer ou non l’aide médicale d’urgence pour les étrangers en situation irrégulière ? Si Gérald Darmanin s’est déclaré favorable à sa suppression, la question fait débat au sein du gouvernement à quelques semaines de l’examen au Sénat de la loi immigration. La mesure est soutenue par les sénateurs LR bien décidés à mettre un terme aux dispositions qui constituent un « appel d’air » migratoire. Explications.
C’est une position constante de la droite sénatoriale en matière d’immigration depuis plusieurs années, supprimer l’aide médicale d’Etat (AME) pour la transformer en AMU (aide médicale d’urgence). Cette question fait débat au sein du gouvernement alors que l’examen du projet de loi immigration arrive à grands pas au Sénat. La mesure a déjà été adoptée en commission des lois par la majorité sénatoriale de la droite et du centre en mars dernier avant que l’examen du texte en séance publique ne soit reporté.
Avant l’examen en séance publique le 6 novembre, la proposition fait réfléchir au sein de l’exécutif voire divise. Dans les colonnes du Parisien, Gérald Darmanin a déclaré, à titre personnel, y être « favorable ». Dimanche le 8 Octobre 2023, la Première ministre, Élisabeth Borne a lancé la création d’une mission chargée de déterminer si « des adaptations » de l’aide médicale d’Etat sont « nécessaires ». Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a lui fait part « d’un vrai désaccord » avec le résident de la place Beauvau. « Je suis médecin, je sais à peu près de quoi je parle », a lancé sur franceinfo, l’ancien ministre de la Santé, neurologue de profession, martelant son « soutien » à l’AME qui n’est « pas en cause dans l’immigration illégale » et ne constitue pas, selon lui, « un appel d’air pour étrangers en situation irrégulière ».
Contacté, l’entourage du ministre de la Santé, Aurélien Rousseau souligne que « l’aide médicale d’Etat protège ses bénéficiaires, mais aussi l’ensemble de la population » et « qu’il ne faut pas fragiliser l’accès des personnes vulnérables aux droits les plus essentiels ».
« Revoir le panier de soins pour le limiter à des mesures d’urgence »
« Il ne s’agit pas de supprimer l’accès aux soins pour les étrangers en situation irrégulière mais de revoir le panier de soins pour le limiter à des mesures d’urgence. C’est très bien que la Première ministre lance une mission sur ce sujet mais elle va devoir se dépêcher de rendre ses conclusions. L’examen du texte approche », précise le président LR de la commission des lois du Sénat, François Noël Buffet. Dans son rapport, la majorité de la droite et du centre a donc recentré l’aide médicale d’urgence « sur la prise en charge de la prophylaxie et du traitement des maladies graves et des douleurs aiguës, des soins liés à la grossesse, des vaccinations réglementaires et des examens de médecine préventive ».
Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, refuse de parler « d’appel d’air » lorsqu’il évoque l’AME. « Je n’utilise pas ce terme. Mais si l’on veut que la solution à l’immigration soit européenne, la France, qui fait partie des mieux disant, doit s’aligner sur ses principaux partenaires. En Espagne ou en Allemagne par exemple, l’Etat ne prend pas en charge les maladies chroniques des étrangers en situation irrégulière si cette maladie s’est déclarée dans leur pays d’origine. La maladie sera prise en charge uniquement si elle menace la vie du patient ».
La dotation de l’AME s’élevait à plus de 1,2 milliard d’euros dans le dernier budget contre 500 millions en 2009. Pour autant, comme nous l’écrivions, le rapporteur centriste du texte, Philippe Bonnecarrère estime que la transformation de l’AME en AMU constitue « un totem » pour Les Républicains sans pour autant avoir de « conséquences pratiques » sur les flux migratoires. « Le département français qui subit la plus grosse pression, c’est Mayotte, précisément là où l’AME n’est pas applicable », prenait il comme exemple.
Un rapport parlementaire recommande la mise en place de l’AME à Mayotte
« La situation de Mayotte n’est pas comparable. C’est une situation exceptionnelle en termes d’immigration », rejette François-Noël Buffet. Le sénateur Renaissance de Mayotte, Thani Mohamed-Soilihi rappelle que l’immigration « impacte toutes les politiques publiques y compris de santé » dans son département. « Comme nous n’avons pas d’AME, le centre hospitalier est engorgé et doit compter sur la contribution de l’Etat sans avoir de visibilité d’une année sur l’autre. Nous demandons à ne pas être oubliés et que les mécanismes de solidarité jouent à Mayotte comme partout ».
Dans leur rapport remis en mai dernier, Laurent Marcangeli, député (Horizons) de Corse, et Estelle Youssouffa, députée (Liot) de Mayotte plaidaient pour instaurer l’aide médicale d’Etat à Mayotte. « Cette absence d’application ne dissuade nullement les Comoriens de s’installer à Mayotte tout en contribuant fortement à la saturation du centre hospitalier de Mamoudzou », justifiaient les élus. La prise en charge des non assurés sociaux était évaluée à 96 millions d’euros par an, pour une dotation annuelle du centre hospitalier de Mayotte d’environ 240 millions d’euros. En 2022, le nombre de patients soignés au centre hospitalier, Français ou étrangers, était à peu près équivalent : 93 626 Français contre 85 567 étrangers.
A noter qu’en 2019, le Défenseur des droits, Jacques Toubon qualifiait « de préjugé » l’idée que l’AME constituait un appel d’air migratoire. Seuls 2 % des 255 550 titres de séjour délivrés l’an dernier l’ont été pour raison médicale, rappelait son rapport
Cette même année, une étude de l’Irdes (l’institut de recherche et documentation en économie de la santé) rappelait que seuls 10 % de personnes sans titre de séjour citaient la santé comme motif de venue sur le territoire. Cette étude montrait également que seuls 51 % des personnes éligibles bénéficiaient de l’AME.
« La France a le dispositif le plus généreux du monde »
Enfin, en commission des lois, la majorité sénatoriale a revu la procédure dite « étranger malade ». Actuellement, cette procédure d’admission au séjour est conditionnée au « défaut d’accès effectif aux soins dans le pays d’origine ». Les sénateurs lui ont substitué le critère plus restrictif, qui a prévalu jusqu’en 2016 : « l’absence de traitement dans le pays d’origine ». Une position partagée par Didier Leschi qui est directement concerné par cette procédure. Depuis 2016, le dossier médical des demandeurs est examiné collégialement par une équipe de trois médecins, sous la supervision du médecin chef de l’OFII. « La encore, ce n’est pas une question d’appel d’air mais de coûts des soins. La France a le dispositif le plus généreux du monde. Tous les ans, vous avez des Américains qui obtiennent un titre de séjour pour venir se faire soigner en France car l’accès aux soins dans leur pays n’est pas socialement accessible ». Précisons ici, que les personnes disposant d’un titre de séjour, les demandeurs d’asile et les réfugiés ne sont pas couverts par l’AME mais par la Puma (Protection universelle maladie).