Alors que l’exécutif se prépare à un remaniement et qu’Emmanuel Macron cherche à ressouder sa majorité après l’examen du projet de loi immigration, une grande partie des mesures restent suspendues à l’examen du Conseil constitutionnel. Retour sur l’origine des saisines, leurs chances de succès et la date de rendu de la décision.
Le 19 décembre 2023, alors que la commission mixte paritaire (CMP) parvenait à un compromis sur le projet de loi immigration, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin annonçait dans la foulée que l’exécutif allait saisir le Conseil constitutionnel. Une façon pour le gouvernement de se démarquer d’un texte presque entièrement façonné par LR, notamment au Sénat, voté par le Rassemblement national de Marine Le Pen et ayant fait vaciller la majorité présidentielle. Alors que le Conseil constitutionnel doit se prononcer d’ici la fin du mois de janvier 2024 , retour sur les enjeux politiques et constitutionnels de cette décision.
« Il faut se rappeler qu’Emmanuel Macron avait déjà saisi le Conseil constitutionnel sur la loi dite « anticasseurs »
Au 26 décembre 2023, le greffe du Conseil constitutionnel avait enregistré quatre saisines. Les députés et sénateurs de gauche ont réussi à réunir les 60 signatures nécessaires pour la saisine. Les deux autres saisines, plus inhabituelles, proviennent de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet et du président de la République. « C’est une situation assez rare de voir le président de la République saisir directement le Conseil constitutionnel, néanmoins, politiquement cela permet de se poser en garant des libertés fondamentales. A l’inverse, si le texte n’est pas censuré par le Conseil constitutionnel, il pourra également s’en féliciter », explique Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Panthéon-Assas. « Il faut se rappeler qu’Emmanuel Macron avait déjà saisi le Conseil constitutionnel sur la loi dite « anticasseurs », cela permet de ne pas trop dépendre du travail du Parlement et de ne pas laisser aux saisissants le monopole de la victoire », poursuit Benjamin Morel.
Malgré cela, l’exécutif prend une forme de risque en saisissant le Conseil constitutionnel sur un texte voulu de longue date par la majorité. Emmanuel Macron avait également incité les différents protagonistes à trouver un accord en CMP. « C’est assez dangereux, d’habitude l’exécutif ne promeut pas de dispositions qu’il pense inconstitutionnelles », signale Benjamin Morel. « Il y a un risque de donner l’image d’un Parlement inutile », continue le publiciste.
Par ailleurs, la multiplication des saisines n’a pas d’incidence sur la décision du Conseil constitutionnel. En effet, les juges de la rue de Montpensier ne sont pas tenus d’examiner uniquement les arguments soulevés par les saisissants et peuvent se prononcer sur l’ensemble du texte.
Une décision au plus tard le 26 janvier
Conformément à l’article 61 de la Constitution, les juges constitutionnels disposent d’un mois, après enregistrement de la saisine au greffe, pour rendre une décision. Les Sages doivent donc se prononcer avant le 26 janvier 2024, mais la décision ne devrait pas être rendue bien avant. « La procédure est assez longue, il faut désigner un rapporteur et, même si les services juridiques travaillent sur le dossier depuis longtemps, le Conseil constitutionnel n’aime pas prendre une décision sous pression », détaille Benjamin Morel.
Quelles mesures pourraient être censurées par le Conseil constitutionnel ?
Au lendemain du vote du projet de loi immigration, le président de la commission des lois, Sacha Houlié (Renaissance), estimait à une « trentaine » le nombre de dispositions pouvant faire l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel. Dans sa saisine, Yaël Braun-Pivet cible explicitement trois articles, tandis que la gauche plaide pour une censure totale du texte. Parmi les mesures pointées par la saisine de la présidente de l’Assemblée nationale, on retrouve l’article premier qui prévoit l’organisation d’un débat annuel au Parlement afin de fixer des quotas migratoires, ce qui pourrait représenter une rupture d’égalité. « Demander un statut légal en France dépend de critères fixés par le législateur. Mais ces critères vous ne pouvez pas les appliquer de manière arbitraire, à géométrie variable. Si ces critères sont appliqués à une centaine d’entrants mais pas au 101e pour des raisons qui n’ont pas trait à sa situation […] C’est fondamentalement problématique », expliquait Benjamin Morel pour Public Sénat au lendemain de l’adoption du projet de loi. Par ailleurs, en portant la durée de séjour permettant de demander un rapprochement familial à 24 mois, l’article 3 pourrait se heurter au principe de protection de la vie familiale.
La prolongation de la durée de résidence permettant de bénéficier des allocations familiales ou de l’Aide personnalisée au logement, prévue par l’article 19, pourrait également créer une inégalité entre résidents français et étrangers. Dans une décision de 1990, le Conseil constitutionnel avait consacré l’égalité face aux prestations sociales entre les résidents français et étrangers. Enfin, le texte pourrait contenir un certain nombre de cavaliers législatifs, un terme qui désigne des articles n’ayant pas de lien direct ou indirect avec l’objet de la proposition de loi. Des articles principalement ajoutés par les parlementaires comme le souligne la saisine du président de la République rappelant que « les 26 articles du projet de loi initial ont été complétés de 60 articles supplémentaires, correspondants principalement aux dispositions que les parlementaires ont souhaité introduire dans le texte ».