Le 16 juillet, l’Union européenne signait un partenariat avec la Tunisie pour lutter contre l’immigration irrégulière. Et ce en dépit, des milliers de migrants subsahariens qui sont volontairement abandonnés dans le désert par les autorités de Tunis. Depuis la signature de cet accord, l’UE est mutique. Un positionnement de Bruxelles « gênant » voire « catastrophique », selon la chercheuse Tania Racho.
En trois semaines, au moins 25 migrants sont morts de soif et de chaud dans le désert tunisien aux frontières libyennes et algériennes. Depuis le 3 juillet dernier et les violences entre migrants et population locale, des centaines d’exilés ont été envoyés dans les zones désertiques par les autorités tunisiennes.
Deux semaines plus tard, le 16 juillet, l’Union européenne et le président Kaïs Saïed annonçaient la signature d’un « partenariat stratégique » controversé, dont 105 millions d’euros d’aides européennes sont dédiées à la lutte contre l’immigration.
Selon Tania Racho, docteure en droit européen (Paris II) et chercheuse associée à l’Université Paris-Saclay, le mutisme de l’UE sur le sort des migrants noirs du pays donne « une très mauvaise image’ de Bruxelles.
Depuis plusieurs semaines, plus d’une vingtaine de migrants subsahariens sont décédés aux frontières tunisiennes. L’ONU et de nombreuses ONG ont dénoncé la situation. L’Union européenne, qui a pourtant signé un accord avec la Tunisie sur la migration mi-juillet, reste, elle, silencieuse.
Tania Racho : Oui, le silence est assez assourdissant du côté de tous les politiques européens. Même français. C’est vraiment catastrophique. C’est mal venu de la part de l’Union européenne d’avoir fait aboutir cet accord et ensuite d’ignorer la réalité sur place et de ne pas prendre une position.
Ce silence venant de chacune des institutions de l’Union européenne et de la représentation générale par la Commission européenne est très gênant et donne une très mauvaise image de l’orientation de l’Union européenne.
Plusieurs eurodéputés se sont d’ailleurs soulevés contre cet accord. Ils estiment que la Commission rend l’Europe « complice » de ce qu’il se passe en Tunisie. Ils demandent notamment la suspension de l’accord. Un tel scénario peut-il arriver ?
Il y a des outils qu’on pourrait explorer et je pense que le Parlement va peut-être essayer de s’en saisir. Mais ça ne pourra pas aboutir à une annulation de l’accord lui-même.
Il faut voir si le Parlement européen est en capacité de saisir la Cour de justice pour demander son annulation. Mais disons le de manière très frontale, c’est compliqué juridiquement d’aller attaquer cet accord parce qu’on ne peut pas retenir la « responsabilité » de l’Union européenne. On peut signaler que c’est assez irresponsable politiquement pour Bruxelles de conclure un tel accord dans de telles circonstances mais il n’y a pas d’outils juridiques sur lesquels on peut reprocher à l’Union européenne d’avoir adopté le deal.
Cet accord montre-t-il que l’Union européenne est prête à externaliser la gestion de ses frontières coûte que coûte ?
Il s’inscrit dans cette logique depuis un moment. L’idée initiale de l’Union européenne, c’est d’agir sur la situation dans les autres pays pour réduire les départs.
Mais l’exécution de cette politique est clairement problématique parce que ces partenariats d’externalisation se font avec des États très problématiques : la Tunisie en dernier exemple, mais on peut aussi penser à la Libye ou à la Turquie.
Cette stratégie d’externaliser la frontière est mal exécutée, catastrophique même. L’Union européenne pourrait faire beaucoup mieux en matière de migration, notamment en interne [comme réfléchir à une politique d’accueil des migrants sur le sol européen, ndlr] mais elle reste dans cette logique de gestion des frontières extérieures.
Selon plusieurs sources, l’Union européenne envisage de mettre en place des accords similaires avec l’Égypte par exemple. Pourquoi tant d’efforts pour verrouiller les frontières extérieures aujourd’hui alors qu’en 2015 par exemple, le nombre d’arrivées était amplement supérieur ?
Je pense que l’Union européenne a l’impression qu’il faut rassurer les électeurs à cause de la montée du populisme et de l’extrême droite dans l’Union.
Mais dans le fond, tout cela est absurde parce que l’Union européenne s’appuie sur des arrivées records l’année dernière alors qu’on ne sait pas vraiment combien de personnes arrivent de façon irrégulière puisque nous n’avons que des détections. [Selon Frontex, il y eu 132 370 tentatives d’entrée dans l’UE entre janvier et juin 2023, ndlr].
Nous avons 300 000 personnes qui tentent d’entrer dans l’Union européenne chaque année sur 450 millions d’Européens, cela représente 0,07% de la population et toute notre politique est orientée là-dessus. Le discours des associations, chercheurs et ONG sur une autre politique est inaudible.