Depuis la rentrée dernière, il compte parmi les 22 étudiants originaires de différents pays en Afrique et réfugiés dans des pays de premier asile qui ont bénéficié du projet de couloirs universitaires UNIV’R pour poursuivre leurs études en France. Ils sont aujourd’hui quatre à être inscrits en Gironde, dans les universités de Bordeaux et Bordeaux Montaigne : Tidjani, Claudine, Nicéphore et Ibrahim.
« On ne fait pas souvent face à ce genre d’opportunités en tant que personnes réfugiées. Ça a été une chance unique pour moi, comme pour tous les autres, je suppose. » Installé au pied d’une œuvre de street art sur la grande esplanade du campus Montesquieu de l’Université de Bordeaux, Tidjani profite des quelques rayons de soleil de cette matinée du mois de mars. Des étudiants vont et viennent entre les colonnes bigarrées de l’amphithéâtre Aula Magna.
Les quatre étudiants ont rapidement fait connaissance dans cette ville dont ils ne connaissaient que le nom. Profitant d’un moment libre dans leur emploi du temps, ils sont réunis ce jour-là pour raconter leurs premiers mois d’études en France. « Vraiment, c’est une grande chance. Dans toute ma famille, personne n’a fait de Master. C’est un honneur pour moi », explique Claudine, jeune femme au sourire délicat, qui a dû faire de grands sacrifices personnels pour pouvoir reprendre son cursus. Nicéphore abonde : « Il y a d’autres membres de ma famille qui veulent continuer leurs études, mais faute de moyens, ils ne peuvent pas. Être diplômé en France, c’est une référence dans ma vie professionnelle ».
Seuls 6% des réfugiés font des études supérieures
Ibrahim rappelle que « toute personne, tout être humain devrait jouir du droit d’étudier. C’est un droit fondamental ». À l’heure actuelle, pourtant, seuls 6% des réfugiés dans le monde ont accès à l’enseignement supérieur. Le HCR a fixé comme objectif d’atteindre les 15% d’inscrits à l’horizon 2030. Les voies complémentaires d’admission comme les couloirs universitaires constituent des voies d’accès sûres et réglementées pour les réfugiés, en plus de la réinstallation. Alors que 85% des personnes réfugiées dans le monde vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, ces solutions durables facilitent l’accès à la protection et constituent une manifestation de solidarité avec les pays de premier accueil.
« L’accueil des étudiants ou des enseignants chercheurs en exil est une mission qui nous tient particulièrement à cœur, et que nous défendons avec beaucoup de force », explique Catherine Gauthier, Vice-Présidente en charge du Conseil d’administration de l’Université de Bordeaux, depuis son bureau du campus de Talence.
« Ils sont particulièrement en situation difficile, ils ne sont pas réfugiés en France, ils sont réfugiés dans un pays où ils ne peuvent pas étudier. Donc pour nous c’est important, quand on le peut, d’offrir des possibilités à ces étudiants », poursuit Marie Mellac, Vice-Présidente de la commission de la formation et de la vie universitaire de l’Université Bordeaux Montaigne.
Les quatre étudiants suivent aujourd’hui différents cursus dans les deux universités bordelaises, en lien avec leurs projets professionnels et leurs parcours de vie : Master de Commerce international et pays émergents, Master d’économie du développement ou encore Master de droit international. « C’est une occasion pour eux de s’arrimer dans un projet professionnel et dans un projet de vie tout court, qui me semble tout à fait essentiel », commente Catherine Gauthier.
Contribuer au développement du continent africain
En retour, ils souhaitent contribuer d’une façon ou d’une autre au développement de leurs pays d’origine et de premier asile, ou plus globalement du continent qui les a vus naître. Ibrahim a ainsi choisi d’étudier le droit dans le but d’aider son prochain et les personnes qui ont traversé des épreuves similaires : « Ça me permettra de faire du droit des étrangers, de protéger et d’apporter mon soutien aux personnes démunies dans le monde. Je parle particulièrement des apatrides et des réfugiés, comme moi. »
Claudine, de son côté, aimerait que son travail serve à soutenir l’autonomisation des femmes et des filles sur le continent. Si plusieurs projets se bousculent encore dans sa tête, elle aimerait commencer par faire du commerce, en partenariat avec les organisations internationales. « Faire de l’import-export de produits cosmétiques et de protections hygiéniques en Afrique. Dans de nombreux pays, il n’y a pas d’industrie pour ces produits et ces protections, explique-t-elle. C’est un problème pour les femmes, spécialement pour les élèves et les étudiantes. Ça cause des absences pendant les études. Ça pousse à ne pas avoir confiance en soi. »
« J’ai une idée un peu plus claire de ce dont l’Afrique a besoin en ce moment, déclare Tidjani, qui aimerait se spécialiser en analyse des politiques publiques tournées vers le développement. Avec comme objectif d’intégrer ensuite une instance internationale. Je pense que ce master va beaucoup m’aider. M’aider à aider l’Afrique », lâche-t-il dans un sourire, heureux d’avoir un projet d’avenir après des années d’incertitudes et d’épreuves.
Pour Nicéphore, la perspective est d’être responsable d’achats à l’international. « Et en plus de ça, si j’avais les moyens, je pourrais directement m’orienter vers l’entrepreneuriat, créer un cabinet de conseil en import-export. Dans ce domaine, j’ai des acquis, un peu d’expérience », explique le jeune homme.
On étudie comme tout le monde.
Aujourd’hui, les quatre étudiants n’aspirent qu’à apprendre et progresser tranquillement dans ce nouvel environnement. Comme Tidjani l’explique, ici, ils étudient « comme tout le monde. Personne ne sait que je suis réfugié. Le semestre se passe bien. Je suis assez satisfait parce qu’on est sur la bonne voie ».
Une voie qui met logiquement du temps à se dessiner dans les premiers mois. Si les quatre jeunes se sentent aujourd’hui intégrés et se sont fait des amis dans leur entourage, tout n’a pas été simple à leur arrivée. « On découvre quand même de nouvelles personnes, une nouvelle culture. La difficulté, c’est comment s’adapter vite pour ne pas se perdre, poursuit l’étudiant en économie du développement. Et c’est aussi une façon d’enseigner qui est nouvelle pour nous. »
« Avec l’engagement, le dévouement, j’ai pu valider mon premier semestre. Je rencontre des difficultés parfois. J’ai une famille, des enfants », rappelle Nicéphore. Claudine a fait appel à une psychologue pour l’aider à gérer cette nouvelle étape de sa vie, qui l’a éloignée elle aussi de sa famille. « Je sais pourquoi je suis venue ici. Je parlais avec la psychologue chaque semaine pour m’aider à gérer les émotions », souffle la jeune femme, dans un français qui s’affine de jour en jour. « J’ai reçu un bon accueil, depuis l’arrivée à l’aéroport jusqu’à ma colocation. J’y habite avec d’autres étudiants et ça se passe bien, parce que je suis ouverte et sociable et j’aime apprendre beaucoup de choses. Ça m’a aidée depuis le début. »
S’accrocher à cette chance
« On a toujours des rêves et surtout nous, dans notre situation, avec notre parcours… Parfois, je me dis peut-être que je suis à une étape où il faut oublier le passé. Être réfugié, c’est un parcours du combattant, où on essaie d’être comme le roc pour avancer », souffle Nicéphore, en croisant le regard de ses camarades, qui acquiescent. Dans la foulée, le jeune homme s’éclipse pour aller suivre un cours.
« C’est la raison pour laquelle un jeune qui a eu la chance d’étudier, il ne va pas lâcher cette chance-là. Il va s’accrocher à cette chance », poursuit Ibrahim, en repensant à son propre parcours jalonné d’obstacles. Claudine, consciente que naître au féminin constitue un défi supplémentaire pour les jeunes réfugiées, ajoute : « C’est aussi une grande opportunité pour nous, les filles. Alors je conseille aux filles et aux femmes de postuler et d’essayer vraiment. C’est leur chance ».
Situées au Sud de la ville, les deux universités sont accolées l’une à l’autre, simplement séparées par la ligne du tramway B, en provenance du centre-ville du Port de la Lune. Sur le fronton d’un bâtiment bloqué par une grève étudiante, un message de soutien, tagué à la va-vite : Bienvenue aux réfugié·es.
« En général, les jeunes réfugiés sont des personnes qui ont eu des expériences de vie vraiment fortes. Ils ont vécu dans plusieurs pays, ils parlent plusieurs langues et ont une grande connaissance des rouages internationaux. On a vraiment tout à gagner dans une formation d’avoir des étudiants comme ça, se réjouit Marie Mellac, de l’Université Bordeaux Montaigne. Ça permet aussi de revaloriser l’université et de lui donner toute sa dimension d’ouverture, et je crois que c’est un aussi élément de satisfaction et de fierté des personnes qui mettent en œuvre ce projet. »
« Les réfugiés ont beaucoup à apporter. Il faut juste que les forces s’organisent pour les inclure, conclut Tidjani. À long terme, mon but, c’est d’être en mesure d’aider, de redonner. Parce que si je suis dans cette situation, c’est que des gens ont bien voulu aider et ils ont bien pensé qu’il fallait aider certaines personnes. Et ça, on ne peut le faire qu’en étant bien éduqué, bien formés. »