Le 20 décembre 2023, quelques heures après l’adoption par le Parlement français de la loi immigration, l’Union européenne s’accordait elle aussi sur une réforme de ses règles en matière d’accès au territoire. Ce pacte d’asile et migration, après trois années d’âpres négociations, les eurodéputés et les représentants des 27 États membres ont trouvé mercredi matin un accord sur la réforme du système migratoire européen. Le texte est salué par des responsables européens, mais vivement critiqué par les défenseurs des droits humains.
Trois années de négociations, des tractations jusqu’au bout de la nuit : les eurodéputés et les représentants des 27 États membres ont finalement trouvé un accord mercredi 20 décembre sur la réforme de la politique migratoire de l’Union européenne (UE).
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a salué cet « accord historique » sur le Pacte migration et asile. La présidente du Parlement européen, Roberta Matsola, s’est, quant à elle, dite « très fière », estimant qu’il s’agissait « probablement de l’accord législatif le plus important de ce mandat ».
L’Allemagne, la France, l’Espagne, la Grèce et les Pays-Bas se sont aussi félicités, tout comme l’Italie, pour qui la réforme permet aux pays en première ligne aux frontières de l’UE de ne « plus se sentir seuls ». À l’inverse, la Hongrie a rejeté « avec force » le texte.
La réforme suscite toutefois les critiques des organisations de défense des droits humains. Une cinquantaine d’entre elles s’étaient inquiétées lundi de la voir déboucher sur « un système mal conçu, coûteux et cruel ». Caritas a jugé qu’elle limitait « l’accès à l’asile et les droits de ceux qui sont en quête de protection ».
L’eurodéputé français Damien Carême (Verts) a, pour sa part, dénoncé un pacte « qui fait honte aux plus belles valeurs de l’Europe ». « On ressort avec un texte qui est pire que la situation actuelle (…). On va financer des murs, des barbelés, des systèmes de protection partout en Europe », a-t-il déclaré sur X (ex-Twitter).
Ce pacte asile et migration, présenté par la Commission européenne en septembre 2020, consiste en une refonte des règles européennes, après l’échec d’une précédente proposition en 2016.
L’accord politique obtenu sur les cinq textes de cette réforme devra encore être officiellement approuvé par le Conseil (États membres) et le Parlement européens. L’objectif est une adoption finale avant les élections européennes de juin 2024.
InfoMigrants détaille les principales mesures du texte.
1/ Mécanisme de solidarité
La réforme conserve la règle actuellement en vigueur selon laquelle le premier pays d’entrée dans l’UE (souvent la Grèce, l’Espagne ou l’Italie) d’un demandeur d’asile est responsable de son dossier, mais prévoit quelques aménagements.
Pour aider les pays méditerranéens, en première ligne dans l’arrivée des migrants, un système de solidarité obligatoire sera mis en place en cas de pression migratoire. Les autres États membres devront contribuer en prenant en charge des demandeurs d’asile via des programmes de relocalisations ou en apportant un soutien financier.
2/ Gestion des « crises »
Un autre texte a été validée : un règlement sur les situations de crise et de force majeure, destinée à organiser une réponse en cas d’afflux massif de migrants dans un État de l’UE, comme ce fut le cas en 2015-2016.
Il prévoit, là encore, une solidarité obligatoire entre les États membres et la mise en place d’un régime dérogatoire moins protecteur pour les demandeurs d’asile que les procédures habituelles avec un allongement possible de la durée de détention aux frontières extérieures de l’UE.
Le texte permet donc de suspendre une partie des protections dont jouissent les migrants à leur arrivée en Europe.
3/ Filtrage aux frontières de l’UE
La réforme prévoit aussi un « filtrage » des migrants à leur arrivée aux frontières de l’UE (contrôle d’identité, contrôles sécuritaires et sanitaires, relevé d’empreintes) et une « procédure à la frontière » pour ceux qui sont statistiquement les moins susceptibles d’obtenir l’asile.
Concrètement, ils seront retenus dans des centres pour pouvoir être renvoyés plus rapidement vers leur pays d’origine ou de transit.
Ce filtrage concernera également les personnes sauvées en mer, ou interpellées sur le territoire européen après avoir échappé aux contrôles aux frontières extérieures.
L’eurodéputée française Fabienne Keller (Renew Europe, centristes et libéraux) a précisé que le Parlement européen avait obtenu des garanties sur un mécanisme de surveillance des droits fondamentaux dans ces procédures à la frontière, sur les conditions d’accueil des familles avec jeunes enfants et sur l’accès des migrants à un conseil juridique.
3/ Une procédure accélérée pour les ressortissants de certains pays
Après ce premier contrôle, les demandeurs d’asile orientés vers la procédure d’asile « classique » pourront effectuer leur demande dans le pays d’arrivée, ou bien faire l’objet d’une « relocalisation » vers un autre pays d’Europe qui reçoit moins de demandes. En revanche, les demandeurs d’asile dirigés vers une procédure « accélérée », autre mesure initiée par ce pacte asile et migration, devront effectuer leur demande directement à la frontière du pays d’arrivée.
Cette procédure rapide concernera tous les ressortissants des pays pour lesquels le taux moyen de reconnaissance du statut de demandeur d’asile dans l’Union européenne est inférieur à 20 %, comme le Maroc, la Tunisie, ou encore le Bangladesh. Dans ce cas, la demande d’asile sera examinée en 12 semaines maximum. À titre de comparaison, la durée moyenne de traitement de ces demandes en France s’établit aujourd’hui à 8 mois. « Nous pourrons accueillir les demandeurs d’asile avec la dignité qui leur est due, puisque leurs demandes seront traitées plus rapidement », a justifié Laurence Boone devant les sénateurs.
De son côté, Mathilde Ollivier a dénoncé la création par cette procédure accélérée d’un filtrage des migrants par nationalité, en opposition aux principes fondamentaux du droit d’asile : « C’est une appréciation individuelle des cas qui doit être adoptée pour définir le droit d’asile des personnes exilées qui le demande ». Pour Laurence Boone, cette procédure accélérée permettra de maximiser « les capacités de traitement des vraies demandes d’asile, qui sont engorgées par la migration économique ».
Sur fond de montée de l’extrême droite dans une large partie des Etats membres, l’UE espère une adoption de l’ensemble des textes du pacte asile et migration avant les élections européennes de juin prochain.