Plusieurs fois reporté, décrié à gauche comme à droite, le projet de loi sur l’immigration est examiné le lundi 6 Novembre 2023 en France, avec des débats enflammés en perspective. Dans le projet, 27 articles de loi sont proposés, mais les débats se focalisent sur deux mesures phares : la régularisation des étrangers dans les secteurs en tension et une meilleure exécution des expulsions.
Après des semaines d’atermoiements, le projet de loi sur l’immigration arrive au Sénat, lundi 6 novembre. Plusieurs fois reporté, décrié à gauche comme à droite, le texte déchaîne les passions. Les différents évènements qui ont jalonné l’actualité ces dernières semaines, comme l’arrivée massive de migrants à Lampedusa ou l’assassinat d’un professeur par un jeune immigré radicalisé, ont renforcé la conviction du gouvernement que ce projet de loi est une bonne formule pour la « sécurité des Français ».
Le texte de 27 articles se veut un équilibre entre une meilleure intégration des étrangers par le travail tout en facilitant les expulsions. « Être gentil avec les gentils, et méchant avec les méchants », a résumé le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Nous vous résumons les principaux points du projet de loi.
1/ La régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension
C’est la mesure la plus controversée du projet. Elle prévoit la création d’un titre de séjour d’un an (renouvelable) pour les travailleurs étrangers en situation irrégulière dans les secteurs en tension comme le bâtiment, la restauration, l’hôtellerie, l’aide à la personne ou encore la manutention. Pour en bénéficier, les étrangers concernés devront justifier d’une présence continue en France d’au moins trois ans.
Le titre n’ouvrira pas le droit au regroupement familial.
Une grande partie de la droite s’oppose à cet article 3, arguant qu’elle entraînerait un « appel d’air » de travailleurs sans-papiers. Face à ces arguments, Gérald Darmanin s’est dit prêt à faire des compromis, mais pas à retirer le texte.
2/ Permettre à certains demandeurs d’asile de « pays à risques » de travailler dès le début de l’examen de leur demande
C’est un article qui est passé un peu sous les radars des médias. L’article 14 du texte propose que les demandeurs d’asile venus de pays à risques (selon une liste établie chaque année) puissent travailler immédiatement après leur arrivée en France et le dépôt de leur dossier à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides).
La liste de pays en question n’a pas été dévoilée mais elle devrait concerner en priorité les Afghans, première nationalité à obtenir l’asile, selon Eurostat.
Actuellement, les demandeurs d’asile ne sont pas autorisés à travailler durant les six premiers mois d’examen de leur demande d’asile. Dans les faits, obtenir l’autorisation de travail est extrêmement rare.
3/ Faciliter l’expulsion des étrangers représentant une menace pour l’ordre public
Le projet de loi vise à faciliter les expulsions d’étrangers qui présentent une menace grave pour l’ordre public, via les articles 9 et 10. Les associations s’inquiètent déjà de savoir ce que le terme « grave » désigne juridiquement. Pour le gouvernement, cela concerne ceux ayant commis des actes passibles d’au moins dix ans d’emprisonnement.
Le projet de loi souhaite également permettre les expulsions des étrangers en situation irrégulière jusque-là « protégés » des OQTF (Obligation de quitter le territoire français). En effet, la loi interdit actuellement d’expulser :
-un étranger arrivé avant ses 13 ans sur le sol français.
-une personne résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans.
-les parents d’un enfant français.
-les étrangers mariés depuis au moins trois ans avec un Français notamment.
Pour faciliter l’éloignement, le projet de loi prévoit aussi la radiation automatique, auprès de la Sécurité sociale et de Pôle emploi, des étrangers ayant fait l’objet d’une OQTF.
4/ Contraindre les pays d’origine à reprendre les étrangers expulsés
Le gouvernement souhaite moduler l’aide au développement envers les États étrangers qui rechignent à délivrer des laissez-passer consulaires – ou encore restreindre l’attribution de visas aux ressortissants de ces États.
Ces « laissez-passer » sont indispensables pour permettre l’expulsion d’un étranger frappé d’une OQTF. C’est au pays d’origine d’émettre ce document vers l’État qui souhaite expulser.
5/ Retrait des titres de séjour pour « non respect des principes de la République »
L’article 13 du projet prévoit de « rendre possible le refus, le retrait ou le non renouvellement de certains titres de séjour » en cas de non-respect des « principes de la République », dont l’égalité femmes hommes, la liberté d’orientation sexuelle, le respect de la laïcité, la liberté d’expression ou encore des symboles de la République.
6/ Maîtriser les bases du français pour obtenir un titre de séjour
Le gouvernement souhaite conditionner l’obtention d’une carte de séjour pluriannuelle à un niveau minimal de français. Aujourd’hui, les cartes de séjour sont délivrées à condition d’avoir suivi un apprentissage du français dans le cadre d’un contrat d’intégration républicain (Cir) dispensés par l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration), mais sans obligation de résultat.
Les sénateurs ont ajouté dans le texte la nécessité de devoir réaliser un examen civique, avec des questions relatives à la culture française et à l’histoire.
Un niveau minimal de français est cependant déjà exigé pour l’octroi d’une carte de résident d’une durée de 10 ans et pour l’accès à la nationalité française.
7/ Supprimer l’Aide médicale d’État
C’est un autre point de tension au sein du gouvernement. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a dit envisager de « supprimer » l’Aide médicale d’État (AME) pour la transformer en « aide médicale d’urgence », aux conditions bien plus strictes.
L’AME est une cible historique de la droite et de l’extrême droite, qui l’accusent de coûter trop cher, et de générer un « appel d’air » pour l’immigration clandestine – actuellement 1,2 milliard d’euros annuels pour 400 000 bénéficiaires.
Le budget de l’AME représente pourtant moins de 1% des dépenses de santé prises en charge par l’assurance-maladie (200 milliards d’euros).
Pour les ONG, les sans-papiers sont pourtant une population prioritaire en matière de santé publique. Limiter leur accès aux soins aurait pour conséquence directe d’entraîner une dégradation de leur état de santé, mais aussi plus globalement celui de la population toute entière.
8/ Resserrer le regroupement familial
Pour faire venir sa famille en France, un étranger en règle devra justifier d’au moins 24 mois de présence sur le sol national, contre 18 aujourd’hui. Un certain niveau de revenus ferait également partie des critères, demandés par les sénateurs, ainsi que l’adhésion à l’Assurance maladie.
9/ Hausse des amendes pour employeurs coupables de travail illégal
Le gouvernement prévoit une hausse des amendes pour les employeurs faisant travailler des personnes sans-papiers.
« Le montant maximal de l’amende est de 4 000 € et peut être appliqué autant de fois qu’il y a de travailleurs concernés par le manquement », précise le projet de loi. Le montant peut être doublé si l’infraction se répète dans les deux ans.
D’autres part, les articles 14 à 18 s’attaquent à l’exploitation des migrants, avec des sanctions ciblant, entre autres, les passeurs et les marchands de sommeil.