En attendant le vote solennel prévu mardi 14 novembre, le Sénat a adopté l’ensemble du projet de loi immigration. Un texte sensiblement durci par la droite sénatoriale. Suppression de l’aide médicale d’Etat, limitation du regroupement familial, durcissement des conditions de régularisation dans les métiers en tension, facilitation des expulsions… Retour sur les principales dispositions adoptées cette semaine.
Après cinq jours de séance publique et près de 700 amendements examinés, le Sénat a adopté l’ensemble des articles du projet de loi immigration. Un texte que la majorité sénatoriale de la droite et du centre appelait de ses vœux depuis des mois et qu’elle a passablement modifié afin de limiter les régularisations, que ce soit par la famille et par le travail. La Haute assemblée a également souhaité faciliter les mesures d’éloignement des étrangers dangereux. Des modifications effectuées souvent avec l’aval du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Dès le début de l’examen, le locataire de la place Beauvau a répété sa volonté de « coconstruire avec le Parlement un texte ferme, un texte juste et surtout un texte efficace » et défendu un projet de loi articulé autour de deux principes : « fermeté et simplification ».
Quotas pour l’immigration économique
C’est l’un des nombreux apports de la droite sénatoriale. La mesure a été inscrite à initiative de Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat : la tenue annuelle d’un débat parlementaire sur l’immigration au cours duquel seraient fixés, pour une durée de trois ans, les quotas de personnes admises à séjourner sur le territoire selon les titres de séjour.
Ces quotas ne concernent pas les demandes d’asile. En ce qui concerne l’octroi de titres liés au regroupement familial, un simple objectif est fixé. « Ça ne me paraît pas non conforme à la Constitution […] Ce serait une bonne chose qu’on est ce débat au Parlement avec un gouvernement qui justifierait (en s’appuyant) sur des questions économiques, de sa politique migratoire », a soutenu le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
Limitation du regroupement familial
Il s’agit là encore de dispositions rédigées par la majorité sénatoriale de la droite et du centre, qui ne figuraient pas dans le texte initial. Le Sénat a durci les conditions du régime particulier d’immigration du regroupement familial. Avec la réécriture de la majorité sénatoriale, la condition de séjour exigée pour qu’un étranger résidant en France puisse formuler une demande de regroupement familial pour l’un de ses proches, est rallongée de 18 à 24 mois. Concernant les conditions de ressources, elles ne doivent plus être uniquement « stables et suffisantes » mais également « régulières ». Le Sénat a aussi imposé au demandeur de disposer d’une assurance maladie pour lui et sa famille.
En séance, la co-rapporteure LR, Muriel Jourda a fait passer un amendement qui restreint encore les conditions d’accès au regroupement familial. Il exclut notamment les aides personnelles pour le logement (APL) des prestations prises en compte pour apprécier les conditions de ressources. Les membres de la famille du demandeur devront aussi justifier, à leur arrivée sur le territoire, d’un niveau minimal (A1) de langue française « lui permettant au moins de communiquer de façon élémentaire, au moyen d’énoncés très simples visant à satisfaire des besoins concrets et d’expressions familières et quotidiennes ».
Suppression de l’aide médicale d’Etat sous haute tension
C’était l’un des moments forts de l’examen du texte, malgré les nombreuses prises de parole indignées de la gauche, le Sénat a adopté une mesure controversée : la suppression de l’AME (aide médicale d’Etat), remplacée en AMU (aide médicale d’urgence). Sur conditions de ressources, l’aide médicale d’Etat prend en charge actuellement 100 % de ses frais médicaux et hospitaliers dans la limite des tarifs de la sécurité sociale pour les étrangers en situation irrégulière qui résident sur le territoire français depuis au moins trois mois sans discontinuité. L’AMU ne prendra plus en charge que la prophylaxie, le traitement des maladies graves et des douleurs aiguës, les soins liés à la grossesse, les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.
« Comment, après le covid-19, on va laisser des gens sans soins et être des vecteurs d’épidémies. Alors à un moment donné, on arrête de jouer la politique politicienne », s’est agacé Yannick Jadot, sénateur écologiste. Mais pour la droite sénatoriale, l’AME constitue « un appel d’air » à l’immigration illégale. « Quand on a bénéficié du système de santé de l’Etat français, on a bien envie de continuer à en bénéficier », a justifié la co-rapporteure LR, Muriel Jourda.
Du côté du gouvernement, Gérald Darmanin qui s’était dit, personnellement favorable à cette mesure est resté muet. La position officielle du gouvernement a été rappelée par Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé. « Le gouvernement est très attaché à l’AME ». La ministre a insisté sur le fait que l’AME n’était « pas un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration […] 50 % des personnes qui pourraient en bénéficier n’y ont pas recours ».
Suppression de l’article 3 sur la régularisation des sans-papiers dans les métiers en tension
C’était LE point de divergence au sein de la majorité sénatoriale qui menaçait de voir le texte ne pas être adopté : l’article 3 sur la régularisation des métiers en tension. Après des mois de négociations entre le gouvernement et la majorité sénatoriale, cet article qui prévoit la régularisation de « plein droit » des sans-papiers dans les métiers en tension a été supprimé par 191 voix contre 138.
Il s’agissait d’une ligne rouge pour les Républicains qui voulaient sa suppression pure et simple. Leurs alliés centristes souhaitaient, eux, conserver un volet régularisation par le travail dans la loi. Les deux groupes ont trouvé un accord et ont déposé un amendement qui crée un nouvel article 4 bis. Il détermine les conditions d’une régularisation par le travail « exceptionnelle » au cas par cas. La délivrance de la carte de séjour salarié ou travailleur temporaire accordée pour une durée d’un an est conditionnée à la vérification par les préfets auprès de l’employeur de la réalité de ce travail. Le préfet devra aussi contrôler « l’insertion sociale » de l’étranger, « son intégration à la société française, à ses modes de vie et à ses valeurs », son respect de « l’ordre public » et son adhésion « aux principes de la République ». (voir notre article). Le gouvernement a donné un avis de sagesse.
« L’important, c’est l’esprit de compromis que veut le gouvernement pour avoir l’essentiel de ce qu’il demande : une mesure de régularisation de personnes qui travaillent dans notre pays depuis très longtemps et dont les patrons ne veulent pas les régulariser », s’est félicité le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
Rétablissement du délit de séjour irrégulier
Ces dernières années, la droite et l’extrême droite appellent régulièrement au rétablissement du délit de séjour irrégulier supprimé en 2012 sous le quinquennat de François Hollande. Cette infraction sanctionnait la seule présence sur le territoire français d’une personne en situation irrégulière. La raison de cette suppression ? Une directive européenne de 2008 qui recommande aux Etats membres de privilégier systématiquement les mesures d’éloignement aux peines d’emprisonnement. Deux parlementaires LR, Stéphane Le Rudulier et Valérie Boyer ont donc fait adopter deux amendements identiques qui rétablissent le délit de séjour irrégulier en le sanctionnant d’une peine d’amende de 3 750 euros d’amende, sans passer par la case prison. A noter qu’en droit français, il existe déjà trois délits qui punissaient d’une peine d’emprisonnement un séjour irrégulier : le délit d’entrée irrégulière à une frontière extérieure, le délit de maintien en séjour irrégulier, et le délit de retour non autorisé sur le territoire français.
Levée des protections contre l’expulsion des étrangers dangereux
Les arrêtés d’expulsion, les obligations de quitter le territoire (OQTF), et les interdictions de territoires français sont des mesures d’éloignement d’étrangers en situation régulière ou irrégulière qui présentent une menace contre l’ordre public. Elles ont abondement alimenté le débat public suite à l’attentat d’Arras car son auteur bénéficiait d’un régime de protection contre l’expulsion. « Les Français ont vu que nous avions une règle : l’expulsion pour les étrangers dangereux, mais que cette règle avait été complètement trouée par les exceptions », a dénoncé Bruno Retailleau avant l’adoption de plusieurs amendements qui lèvent ces protections.
Le projet de loi initial, dans son article 9, assouplit le régime de protection absolue contre les expulsions lorsque l’étranger a été condamné définitivement pour des crimes et délits passibles d’une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, et de cinq ans pour le régime de protection relative (par exemple un étranger parent d’un enfant français). Sous la plume de la commission des lois du Sénat, le quantum de la peine est passé à 5 ans pour le régime de protection absolue et de trois ans pour le régime de protection relative. L’article 9 prévoyait à l’origine également une levée des protections contre les étrangers responsables de violences contre leur conjoint ou leurs enfants. Un amendement de la co-rapporteure LR, Muriel Jourda, y ajoute les ascendants. Un autre amendement LR lève les protections contre les auteurs de violences à l’encontre des élus, des policiers, des pompiers, des soignants, des magistrats, des avocats et des enseignants. Un autre amendement défendu, cette fois-ci, par le gouvernement crée une nouvelle exception aux régimes de protection en cas de « violation délibérée et d’une particulière gravité des principes de la République ».
Pour les OQTF qui concernent les étrangers en situation irrégulière, un amendement de Bruno Retailleau a fait sauter les protections valables pour les étrangers qui ont développé des liens particuliers avec la France : par exemple ceux mariés avec une personne de nationalité française, les parents de mineurs français ou encore ceux qui vivent sur le territoire depuis au moins 10 ans. L’amendement a été adopté contre l’avis du gouvernement qui craint son inconstitutionnalité.
Titre de séjour conditionné au respect des « principes de la République »
L’article 13 du projet de loi qui conditionne la délivrance d’un titre de séjour au respect des « principes de la République », son non-respect de ces principes permet également de fonder le retrait ou le refus de nouvellement d’un titre, est d’inspiration sénatoriale. La mesure reprend ainsi l’esprit d’un amendement du sénateur LR Roger Karoutchi au projet de loi séparatisme adopté en 2021, censuré par le Conseil constitutionnel. Afin de se prémunir d’une nouvelle censure, le gouvernement définit ces principes dans la loi : « la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République […] et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers. »
Le Sénat supprime automaticité du droit du sol
Lors d’un débat tendu, le Sénat a fait adopté un amendement de la sénatrice LR, Valérie Boyer qui supprime l’automaticité du droit du sol. «Tout enfant né en France de parents étrangers peut, à partir de l’âge de 16 ans et jusqu’à l’âge de 18 ans, acquérir la nationalité française à condition qu’il en manifeste la volonté », prévoit la disposition. De même le mineur ne pourra acquérir la atonalité française « s’il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement »
Le Sénat accorde des titres de séjour aux sans-papiers victimes de marchands de sommeil
C’est l’un des rares amendements défendus par la gauche et adopté par le Sénat. L’amendement du sénateur communiste Ian Brossat prévoit d’accorder des titres de séjour aux sans-papiers victimes de marchands de sommeil dès lors qu’elles portent plainte. Il a reçu un avis favorable de la part du ministre de l’Intérieur. « Il est vrai que le code pénal prévoit déjà d’accorder un titre de séjour temporaire à une personne logée à des fins d’exploitation mais ce n’est pas tout à fait le cas du marchand de sommeil qui peut louer son logement qui n’est pas déclarée et pas aux normes simplement à des fins de profits », a-t-il justifié.
Raccourcissement des délais des procédures de demandes d’asile
Le projet de loi prévoit la création de guichets « France asile » dans les préfectures. Ils doivent permettre de raccourcir encore les délais d’instruction des demandes car le demandeur se fera enregistrer, et introduira sa demande d’asile auprès d’un agent de l’Ofpra dans un même lieu, la préfecture. Actuellement, les demandeurs d’asile se font délivrer une attestation en préfecture qu’ils doivent renvoyer, complétée, dans les 21 jours à l’Ofpra pour recevoir une convocation à un entretien. Une mesure qui a été dénoncée par la gauche du Sénat. « Une détérioration de la possibilité de présenter des demandes d’asile qui permet aux agents de l’Ofpra de statuer convenablement », a alerté l’écologiste, Guy Benarroche.
Mardi 14 novembre, jour du vote solennel du texte au Sénat, une grève et un rassemblement devant la Haute assemblée est prévu à l’appel des syndicats ASYL et CGT-Ofpra. « Au motif de rapprocher l’administration des demandeurs d’asile en région et d’instruire plus rapidement leurs demandes, ce projet de loi prévoit la création de pôles + France Asile + directement rattachés aux préfectures. Ce faisant, il risque de placer l’introduction des demandes d’asile sous la tutelle des préfets, attentant ainsi à l’indépendance de l’Ofpra », craignent ces organisations.