Condamné à la perpétuité et visé par un mandat d’arrêt, l’ancien président de l’Assemblée nationale continue d’échapper à la justice de son pays. En contact avec un dernier carré de fidèles, il multiplie les points de chute. De Paris à Chypre en passant par Genève, Bamako et Dubaï, récit d’une folle cavale.
Où se trouve Guillaume Soro ? C’est l’un des secrets les mieux gardés du continent. Recherché par la justice ivoirienne, qui a émis un mandat d’arrêt à son encontre, persona non grata en France, où ses critiques de la politique africaine d’Emmanuel Macron sont mal passées, l’ancien président de l’Assemblée nationale continue de jouer au chat et à la souris avec les autorités ivoiriennes.
Après avoir quitté Paris fin 2020, il a séjourné successivement à Bruxelles, Genève et Istanbul. Sur place, Soro a pu bénéficier de l’aide de connaissances privées ou de connexions établies lorsqu’il était Premier ministre et président de l’Assemblée nationale.
À Abidjan, le fantôme Soro continue de hanter les hautes sphères du pouvoir. Les services de renseignement ne le recherchent pas activement mais sont attentifs à tous ses mouvements. Ils tentent surtout d’identifier ses derniers relais et réseaux. Au cours de l’année 2022, l’ancien chef rebelle a été vu à plusieurs endroits, comme Istanbul et Dubaï. Il a également effectué un discret voyage à Moscou qui a éveillé l’intérêt de la diplomatie française.
Combien de temps tiendra-t-il ? Ses proches assurent qu’il n’a aucun problème financier. Certains espèrent encore un rapprochement avec Alassane Ouattara.
« Depuis plus de deux ans, la localisation et les mouvements de l’ancien président de l’Assemblée nationale sont l’objet de toutes les attentions au sein des services de renseignement ivoiriens. Mais Soro demeure introuvable. »
• En 2021, alors que Guillaume Soro séjournait en Europe, la Direction de la surveillance du territoire (DST) a déployé des éléments à Paris pour récolter des informations sur l’ex rebelle et ses proches.
• Abidjan a ensuite suivi la trace de l’ancien président de l’Assemblée nationale à Istanbul et Dubaï. Avec pour objectif d’identifier ses réseaux et de le couper de ses derniers soutiens.
Le soleil darde de ses rayons le salon VIP de l’aéroport d’Istanbul. Au mur, le téléviseur diffuse le résumé d’un match de tennis sur gazon. Un passager enfile ses lunettes pour consulter son iPad. Un couple déguste un plat de brochettes. Une femme vide d’un trait une coupe de champagne. Sur chaque table, une rose rouge écarlate.
Ce jour-là, quelque part entre avril et juin 2022, un ministre important du gouvernement ivoirien est en transit vers Abidjan. Il fixe un homme dont le visage est caché par un masque noir anti-Covid mais dont l’allure lui est familière. Assis de trois quarts quelques mètres devant lui, les cheveux légèrement grisonnants, costume bleu ouvert sur une chemise blanche… L’individu est seul. Il consulte son téléphone portable, jetant de brefs regards sur sa valise cabine en aluminium.
Le ministre hésite. « Est-ce bien lui ? » Ses compagnons de voyage s’interrogent eux aussi, quand l’objet de leur attention se décide à ôter le masque qui lui dissimule le visage, laissant apparaître une barbichette grisonnante. Plus aucun doute, il s’agit bien de Guillaume Soro. À la manière d’un agent de renseignement maladroit, le ministre attrape son téléphone et mitraille sa cible.
Voilà maintenant quatre ans que l’ancien président de l’Assemblée nationale a quitté la Côte d’Ivoire pour ne plus y remettre les pieds. La politique n’est pas un jeu d’enfant. Sans doute un peu trop sûr de son « destin », il s’est brûlé les ailes. Ses ambitions présidentielles précoces ne collaient pas avec l’agenda d’Alassane Ouattara, lassé aussi par les soupçons de déstabilisation qui pesaient sur celui qu’il appelait alors « mon fils ».
En février 2019, refusant de rejoindre le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le nouveau parti créé par le président ivoirien, Soro avait quitté le perchoir, poste qu’il occupait depuis 2012. Il avait ensuite pris le large, sillonnant d’abord l’intérieur de la Côte d’Ivoire, puis prenant la direction de l’Europe. À Paris, principalement, il affinait sa stratégie avec un seul objectif en tête : la présidentielle d’octobre 2020.
À plusieurs milliers de kilomètres au sud, le chef de l’État ivoirien ne voit pas cela d’un bon œil. Fin 2019, après des semaines de discrètes tractations, il refuse d’autoriser le jet privé qui ramène Soro à atterrir à Abidjan.
Dans la capitale économique ivoirienne, le cas Soro, désormais condamné à la prison à perpétuité et sous le coup d’un mandat d’arrêt international, est encore un sujet sensible. Un fantôme bientôt âgé de 51 ans, pas vraiment en cavale mais pas totalement libre de ses mouvements, qui continue à hanter le pouvoir et dont les services de renseignement tentent de retracer le parcours, d’identifier les derniers relais.
« Tu sais où est Soro ? » demande régulièrement Alassane Ouattara à ses interlocuteurs ayant pu être en contact avec lui. « Comment va Bogota ? » s’est enquis en début d’année un ministre burkinabè auprès d’une connaissance de l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne en utilisant son nom de code du temps des années de lutte estudiantine.
Poser la question, c’est se heurter au silence et à la langue de bois de ceux qui l’entourent encore – « il va très bien, je lui parle aujourd’hui », affirme l’un de ses plus proches collaborateurs – ou, pis, s’exposer à des actes malveillants destinés à freiner ceux qui cherchent à obtenir des réponses. Dans le cadre de cette enquête, l’auteur de ces lignes a été la cible d’une vidéo diffamatoire postée sur YouTube par « Chris Yapi », un avatar lié à l’ancien président de l’Assemblée nationale.
Sacré Guillaume Soro ! Autrefois leader de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) traqué par le pouvoir, aujourd’hui opposant en cavale… Ce parcours sinueux a contribué à le façonner. Il est insondable, volontairement discret, avec une fâcheuse tendance à la paranoïa. Comme le résume un intermédiaire français l’ayant rencontré il y a cinq ans, « Soro, il est technique. Il disparaît pendant six mois et puis il vous appelle en utilisant un logiciel de création de numéro de téléphone virtuel ».
Alors, où est-il ? « Il est très rusé, élude l’un de ses proches. Quand il quitte un endroit, il prend soin de faire fuiter l’info pour brouiller les pistes. »
Le jeu de piste commence fin 2020 en France, où il s’était installé après son retour manqué en Côte d’Ivoire en décembre 2019. Pendant un an, il avait loué des bureaux à Paris. La petite dizaine de collaborateurs qui l’avaient suivi dans son exil s’y réunissaient tous les jours, tentant de maintenir en vie son parti politique, Génération et peuples solidaires (GPS).
C’était l’époque où Guillaume Soro ne se cachait pas. Offensif contre Alassane Ouattara, actif sur les réseaux sociaux, il tenait régulièrement salon au Peninsula ou au Bristol, un hôtel situé à deux pas de l’Élysée. Trop bavard, il a fini par se mettre à dos les autorités françaises en critiquant dans une interview la politique africaine d’Emmanuel Macron. Fin 2020, les services de renseignement français lui font passer le message qu’il n’est plus le bienvenu sur le territoire.
Pour autant, Soro n’est pas immédiatement sous pression. Il séjourne encore régulièrement à Paris, navigue entre la Turquie, Bruxelles et Genève. L’opposant bénéficie de quelques solides connexions dans les cercles du pouvoir turc, établies lorsqu’il était Premier ministre, puis président de l’Assemblée nationale. Devrim Acimik, un homme d’affaires proche de l’AKP, le parti du président Recep Tayyip Erdogan, et Ali Özkaya, député et avocat d’Erdogan, le reçoivent régulièrement.
Dans la capitale belge, Soro fréquente une cousine de l’homme d’affaires Patrick Bologna, une personnalité originaire du Nord-Kivu. En mai 2021, il célèbre avec faste l’anniversaire de cette femme dans l’un de ses appartements. Au menu : champagne, cigares et rumba. Un temps marié à la sœur cadette d’Olive Lembe Kabila, la femme de l’ancien chef de l’État congolais, Patrick Bologna participe à la fête. Adepte des réseaux sociaux, il poste même une vidéo de l’événement qui passe mal auprès de certains amis de Soro.
Le secret bancaire a fait de la Suisse un havre financier. C’est là que Guillaume Soro décide, fin 2020, d’y établir sa principale base arrière. Un peu moins d’un an plus tôt, il avait déjà passé deux semaines à Genève, logé par Pascale Jeannin Perez, une femme d’affaires qui fait fréquemment office d’intermédiaire entre des grands groupes et des États, notamment africains. À l’époque, des discussions avaient été entamées avec les autorités suisses qui lui avaient proposé le statut de réfugié politique. Guillaume Soro avait refusé mais effectuera plusieurs longs séjours dans le pays entre 2021 et le début de 2022.
En contrée helvétique, Soro a notamment profité de la présence d’une autre connaissance, Sarah Diawara, une ancienne danseuse de la chanteuse Aïcha Koné. Il séjournera chez elle à plusieurs reprises. En 2018, alors qu’il présidait encore l’Assemblée nationale, Soro avait participé à un gala organisé à Paris par l’association dirigée par cette veuve d’un riche homme d’affaires suisse.
Encore relativement tranquille en Europe, Guillaume Soro est surveillé de près par les autorités ivoiriennes. Mi-2021, une équipe de la Direction de la surveillance du territoire (DST) débarque en toute discrétion à Paris. Elle a pour mission précise de filer l’opposant, qui se rend encore régulièrement dans la capitale française. Les espions ivoiriens y passent plusieurs mois. S’ils n’arrivent pas à mettre la main sur leur cible, ils récoltent de nombreuses informations sur son aide de camp, le commandant Abdoulaye Fofana.
Actif sur les réseaux sociaux, celui-ci n’hésite pas à critiquer violemment Alassane Ouattara dans des vidéos. Au premier trimestre de 2022, il quitte Genève pour Ouagadougou, via Casablanca. De la capitale burkinabè, il franchit la frontière et rejoint Séguéla, une ville du nord de la Côte d’Ivoire où vit son père. Il est finalement arrêté début mai à Abidjan.
C’est à peu près au même moment que Guillaume Soro est aperçu à l’aéroport d’Istanbul. Personne ne sait d’où il venait et quelle était sa destination. Toujours est-il que la présence de l’ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo est ensuite signalée à plusieurs endroits.
Dubaï, fin juin 2022. Depuis une petite décennie, le petit émirat est devenu un hub du renseignement international et un point de passage obligé de l’élite africaine, politiques ou entrepreneurs séduits par les opportunités du monde des affaires.
Ce jour-là, à l’aéroport international de la ville, deux Ivoiriens voyageant séparément – une employée du ministère de l’Agriculture et le fils d’une grande famille, Maurice Folquet – attendent leurs bagages, quand ils tombent nez à nez avec Guillaume Soro. La dame lui exprime aussitôt son soutien.
« Il faut vous réconcilier avec Alassane et vous aurez toutes vos chances à la présidentielle », lui dit de son côté le dénommé Folquet. De retour à Abidjan quelques semaines plus tard, cet intrigant personnage qui gravita autour de feu Hamed Bakayoko croise, dans une station-service dont il a la gestion, un élément de la sécurité d’Alassane Ouattara. Tout fier de lui, il raconte, comme s’il tenait un scoop, sa rencontre dubaïote.
L’information remonte rapidement jusque dans les hautes sphères du pouvoir ivoirien. Elle est jugée d’autant plus fiable qu’elle vient recouper certains éléments déjà en leur possession. Le coordinateur national des agences de renseignements, Vassiriki Traoré, décide donc d’en avoir le cœur net. Il s’envole pour Abou Dhabi, la capitale fédérale des Émirats, dont dépend Dubaï, courant septembre.
« Soro n’était plus là. Mais nous avons demandé aux autorités de nous aider à retracer ses derniers déplacements », explique un responsable sécuritaire ivoirien. Selon nos informations, Guillaume Soro a passé plusieurs mois à Dubaï, logé dans un appartement de location. On l’a parfois vu dans les grands hôtels de la ville accompagné d’une poignée de proches.
Si les autorités ivoiriennes ne cherchent pas réellement à l’arrêter, elles suivent ses mouvements à la trace. Leur objectif : identifier ses réseaux et le couper de ses derniers soutiens.
« Du Mali à la Russie, Guillaume Soro en quête d’alliés et d’argent »
Plus les mois passent, plus l’étau se resserre autour de Guillaume Soro, lequel bénéficie néanmoins du soutien des autorités maliennes. Et cherche, à obtenir celui de la Russie.
• Même si son entourage s’évertue à démentir cette information, Guillaume Soro a effectué un rapide séjour en Russie, entre juin et juillet 2022. Pour organiser ce voyage, il s’est appuyé sur ses connexions au Mali, où il pourrait trouver refuge.
• En plus de ses déplacements, les autorités ivoiriennes s’interrogent sur l’étendue de son assise financière. Une note de Tracfin a notamment répertorié ses biens en France évalués à plus de 650 000 euros. Une assurance-vie d’un montant de plus de 230 000 euros a aussi été saisie par la justice française.
Persona non grata en France, Soro se cherche de nouveaux alliés sur la scène internationale. Il se tourne, ce n’est pas vraiment une surprise, vers la Russie. et même si son entourage s’évertue à les démentir, Guillaume Soro s’est rendu en toute discrétion à Moscou entre juin et juillet 2022.
Son séjour fut de courte durée, quelques jours tout au plus. Au-delà d’une rencontre avec Mikhaïl Bogdanov, le vice-ministre des Affaires étrangères, l’intégralité de son programme demeure inconnue.
Toujours selon nos informations, cette expédition secrète dans la capitale russe a été organisée par le Franco Camerounais Franklin Nyamsi. Conseiller du président de GPS, ce professeur de philosophie installé à Rouen, en France, devait d’ailleurs initialement être du voyage. Il a refusé de réagir, en précisant qu’il ne nous devait « aucune justification ».
Dans un contexte mondial polarisé par l’invasion russe de l’Ukraine, le déplacement de Soro n’est pas anodin. Il intervient aussi au moment où la Russie se livre à une intense guerre d’influence sur le continent dans le but de supplanter la France.
Plus gros soutien de Paris en Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire est une cible de choix pour Moscou. Dans les couloirs de la présidence, certains n’hésitent pas à dire depuis plusieurs mois que leur pays est déjà victime d’actes de déstabilisation venant de la Russie. Une inquiétude renforcée par la diffusion mi-janvier d’un dessin animé anti-français par le groupe Wagner, dans lequel la Côte d’Ivoire est clairement évoquée comme une prochaine zone d’action de la nébuleuse de Prigojine.
Fin février, deux participants à un meeting du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), la formation de l’ancien président Laurent Gbagbo, ont été arrêtés pour avoir arboré des drapeaux russes. Un mois plus tard, l’acclamation réservée à un représentant de l’ambassade de Russie, présent avec d’autres diplomates étrangers au congrès du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), n’est pas passée inaperçue.
Une autre personnalité a servi d’intermédiaire entre la Russie et l’opposant ivoirien : Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères. « Nyamsi a fait l’intermédiaire entre Soro, Diop et les Russes », précise une source diplomatique française, selon laquelle l’activiste est devenu un agent d’influence de la junte malienne en France. « Il reçoit ses instructions et des éléments de langage directement d’Abdoulaye Diop », affirme notre source.
Les réseaux de Guillaume Soro à Bamako ne s’arrêtent pas au chef de la diplomatie. Il bénéficie notamment d’un accès direct au président de la transition, Assimi Goïta. Lorsque, le 10 juillet 2022, 49 soldats ivoiriens sont arrêtés à l’aéroport de Bamako, Soro va œuvrer à allumer l’étincelle d’une crise qui durera jusqu’à leur libération en janvier 2023. Comme l’a révélé le quotidien français Le Monde, c’est lui qui dévoilera aux autorités maliennes les dessous et les incohérences du contrat qui liait l’armée ivoirienne à la société Sahel Aviation Service (SAS), prestataire de la Minusma, et dans le cadre duquel les soldats avaient été dépêchés au Mali.
À Bamako, les services de sécurité ivoiriens suivent également avec attention les activités de Sess Soukou Mohamed, dit « Ben Souk ». En août 2021, l’ancien député de Dabou avait été interpellé dans la capitale malienne en vertu d’un mandat d’arrêt international émis par la justice ivoirienne, qui l’accuse d’« actes subversifs pouvant admettre une qualification pénale, commis sur le territoire national ».
Au même moment, des éléments de la DST se rendent sur place dans l’espoir d’obtenir son extradition. Mais la justice malienne refuse, et Ben Souk est finalement libéré en janvier 2022. Proche de longue date de Soro, il est toujours domicilié à Bamako, où il se fait désormais discret.
Preuve du soutien – ou au minimum des largesses – dont bénéfice Guillaume Soro de la part des autorités maliennes, une réunion publique appelant à son retour en Côte d’Ivoire s’est tenue début mars 2023. L’événement a été organisé par une cyber activiste, Maimouna Camara, connue sous l’avatar de « La Guêpe » sur Twitter, avec le soutien du mouvement Yerewolo-Debout sur les remparts. D’abord favorable au départ des troupes françaises, puis aujourd’hui à celui de la Minusma, ce collectif issu de la société civile proche de la junte est un soutien inconditionnel du groupe Wagner.
Plus de trois ans après avoir été invité à quitter la France, Guillaume Soro demeure introuvable. Grillé aux Émirats, il a repris sa route effectuant un bref passage au Qatar lors de la Coupe du monde de football, qui s’est déroulée du 20 novembre au 18 décembre 2022. Selon plusieurs sources, il a repris contact avec le Mauritanien Moustapha Limam Chafi, qu’il a connu lorsqu’il dirigeait la rébellion des Forces nouvelles. Contacté par JA, ce dernier dément et assure ne plus avoir de nouvelles depuis deux ans.
Quoi qu’en disent ses proches, Guillaume Soro est jour après jour un peu plus acculé, notamment parce que son visa Schengen, indispensable pour séjourner dans un des 27 États membres de l’Union européenne (UE), n’est aujourd’hui plus valable. Après avoir égaré le passeport sur lequel le sésame avait été apposé en 2019, il était parvenu à le faire renouveler par l’ambassade de France à Genève en janvier 2020.
Après Doha, Soro s’est vu refuser l’accès au territoire suisse. La raison ? Lors de son dernier séjour helvète, au premier trimestre 2020, l’ancien président de l’Assemblée nationale avait dépassé le délai limite autorisé sur le territoire par son visa – 90 jours.
Présent, selon son entourage, à Bruxelles en novembre 2022, Soro a ensuite tenté d’entrer en France, en activant notamment ses canaux au sein des services de renseignement. Il souhaitait rejoindre son épouse, souffrante. Cette dernière a fini par se rendre au Maroc avec ses enfants avec un passeport périmé. Avec l’accord d’Abidjan, Rabat a décidé de les laisser circuler.
Alors que ses passeports ivoiriens arrivent eux aussi bientôt à expiration, les services de renseignement ivoiriens tentent d’identifier les documents de voyage avec lesquels Guillaume Soro se déplace. Deux hypothèses sont sur la table : un sésame émis sous un nom d’emprunt ou un passeport diplomatique gracieusement octroyé par un État. « Cela pourrait être le Mali bien sûr, mais aussi la Chypre du Nord, que nous avons identifiée comme sa nouvelle résidence principale », précise un membre des renseignements ivoiriens. Reconnue par la Turquie, cette partie de l’île a l’avantage de ne pas faire partie de l’UE. Avancée par Abidjan, la piste chypriote est nuancée par une source proche des services de renseignement français pour qui Soro est toujours aux Émirats.
À l’aurore de son exil, Soro avait prévenu ses collaborateurs : « Préparez vous à manger du pain dur pendant plusieurs années. » Mais s’attendait il à ce que le chemin de croix s’éternise à ce point.
Plus les mois passent, plus ses moyens s’amenuisent. « Soro n’a aucun problème financier. Il a amassé une belle petite fortune lors de la rébellion, qu’il a habilement fait fructifier. Il est à l’aise pour encore quelques années », assure l’un de ses proches. Pourtant, selon nos informations, il a perdu plusieurs milliards de francs CFA à la suite de certains placements financiers – un compte avait été ouvert par un prête-nom à NSIA Banque Côte d’Ivoire et un autre au Liban, victime de la crise bancaire depuis 2019.
Est-ce le signe que Guillaume Soro compte ses sous ? En mars 2021, il a demandé à récupérer l’intégralité d’une assurance-vie souscrite le 28 mai 2003 auprès de Sogecap, la compagnie d’assurance de la banque Société générale. Soit 231 931,23 euros, déposés d’abord par virements mensuels de 50 euros, puis de 750 euros. Deux virements de 80 000 et 25 000 euros ont aussi été effectués le 9 mai 2017 et le 6 avril 2020.
Mais deux jours avant la date à laquelle il devait mettre la main sur ce petit magot, l’argent a été saisi par la justice française dans le cadre d’une procédure intentée à son encontre par Civitas Maxima, une association de droit suisse, et par 46 personnes de nationalité ivoirienne. Guillaume Soro est en effet accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour des faits commis par les forces favorables à Alassane Ouattara dans la région du Cavally (Ouest) entre le 24 mars et le 22 mai 2011. Déboutés par la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, ses avocats ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme.
Soro possède toujours plusieurs biens immobiliers en France. Il a également investi 650 931,33 euros sur un produit d’épargne. Dans une note émise le 1er mars 2021, Tracfin, la cellule anti blanchiment du ministère français des Finances, a estimé que cette somme pourrait « provenir d’un détournement de fonds publics en Côte d’Ivoire, faits pour lesquels il a été condamné en septembre 2020, et pourraient être constitutifs du délit de blanchiment ».
Combien de temps Soro tiendra-t-il ? À Abidjan, ses proches ont été condamnés à vingt ans de prison. « Il faut que Guillaume Soro rentre », a lancé Laurent Gbagbo devant ses partisans en décembre 2022. Ces derniers mois, plusieurs membres de son entourage ont pris attache avec des collaborateurs d’Alassane Ouattara. Au cœur du pouvoir ivoirien, tous ne sont pas opposés à une mesure de clémence en faveur de Soro. Mais encore faut-il qu’il soit lui-même demandeur.
« Guillaume Soro est aussi entêté qu’Alassane Ouattara. Il ne veut pas entendre parler de soumission », explique un visiteur du soir du chef de l’État ivoirien, à qui il arrive d’échanger avec Soro. Selon lui, « le président ne veut pas arrêter Soro, il préfère le voir errer en Europe ». « Mais s’il s’avise de se rendre en Afrique de l’Ouest, il fera tout pour l’en empêcher », prévient il.
Lorsqu’il aidait Soro à affiner sa stratégie courant 2019, Alexandre Benalla avait rencontré Hamed Bakayoko pour plaider sa cause. « S’il ne fait pas ce que veut le président, ça va chauffer pour lui. La prison l’attend à son retour », avait répondu, lapidaire, le ministre de la Défense.