Alors que l’Italie fait face à un afflux de migrants d’ampleur inédite depuis 2017, rencontre avec des acteurs de terrain, notamment sur l’île de Lampedusa, qui dénoncent les mesures prises par le gouvernement italien et accusent l’UE d’inaction.
45 510 migrants sont arrivés par la mer, en Italie, depuis le début de l’année, un record depuis 2017. La coalition de centre droit de Giorgia Meloni a déclaré l’état d’urgence en vue d’accélérer les pratiques d’identification, mais aussi d’expulsion. Son gouvernement a une nouvelle fois, demandé davantage de solidarité de la part de l’Union européenne dans la gestion des flux migratoires.
Notre reporter Monica Pinna commence son reportage à la frontière la plus méridionale de l’Italie, l’île de Lampedusa, pour faire le point sur la crise migratoire en cours.
Le hotspot de Lampedusa est systématiquement prêt à exploser. Les migrants sont censés y rester quelques jours, le temps de les identifier et de les transférer vers des centres pour réfugiés ou demandeurs d’asile ou éventuellement, pour les adultes, vers des centres d’expulsion. Mais, souvent, ils y restent beaucoup plus longtemps.
Des mineurs exposés
Le centre est conçu pour accueillir 400 migrants, mais il arrive qu’il en héberge jusqu’à trois mille. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Italie à plusieurs reprises pour les conditions « inhumaines et dégradantes » dans lesquelles les migrants sont détenus dans cette structure. Ces problèmes ne sont pas nouveaux, mais selon les ONG, ils sont symptomatiques d’un système d’accueil italien qui n’est pas correctement géré et où les mineurs sont particulièrement exposés.
« Depuis 2018, le nombre de places a diminué. Le système d’accueil des mineurs ne répond actuellement pas à leurs besoins et a été vidé de ses ressources, » rapporte Lisa Bjelogrlich, de Save the Children.
« Ils préfèrent les laisser les mourir »
Mais certains naufrages font évoluer les politiques. C’est le cas de la tragédie de Cutro qui a coûté la vie à plus de 90 migrants en février dernier au large de la Calabre. Leur embarcation avait été signalée, mais non secourue. Elle a finalement coulé près de la plage de Cutro. Cette catastrophe a poussé le gouvernement à adopter un décret qui durcit les sanctions à l’encontre des passeurs, mais aussi les règles en matière d’immigration et d’asile.
« La guerre contre les ONG et la raréfaction des opérations de sauvetage en Méditerranée sont devenues de plus en plus explicites avec le gouvernement de centre droit et il est de plus en plus clair que, pour ne pas les laisser arriver, ils préfèrent les laisser mourir, » affirme l’ancienne maire de Lampedusa, Giusi Nicolini.
« La criminalisation des ONG »
Depuis cette tragédie, les naufrages sont de plus en plus fréquents. « En raison du retrait des acteurs européens et de la criminalisation des ONG impliquées dans la recherche et le sauvetage, on voit vraiment un manque énorme dans les secours : il n’existe toujours pas de services de recherche et de sauvetage organisés et financés par les États en Méditerranée centrale, » explique Tamino Böhm, de l’organisation Sea-Watch. Depuis le début de l’année, plus de 900 personnes ont trouvé la mort en Méditerranée occidentale.
En janvier, le gouvernement Meloni a imposé un code de conduite plus strict aux organisations, ce qui limite les opérations humanitaires. Les ONG qui ne le respectent pas s’exposent ainsi, à des amendes et à des mises en détention. Par exemple, une seule opération de sauvetage à la fois est autorisée avant de retourner au port d’affectation. Un navire de secours financé par l’artiste de street art Banksy a vu son équipage détenu pendant vingt jours pour avoir secouru plus de 180 personnes au cours de quatre missions de sauvetage distinctes.