Le tribunal de Rome a ordonné en juin aux autorités italiennes de fournir des documents de voyage à un migrant bloqué en Libye afin d’être rapatrié en Italie. Mais l’ambassade italienne à Tripoli ne respecte pas la décision de justice, et reste muette aux demandes des avocats. Le jeune homme avait été refoulé en Libye par un navire commercial, sous la coordination de l’Italie, après un sauvetage en Méditerranée.
C’est une victoire pour les associations, mais elle a un goût amer. Harry (nom d’emprunt), un exilé soudanais, a été autorisé par la justice à rejoindre l’Italie. Or des semaines plus tard, le jeune homme est toujours bloqué en Libye.
Le 10 juin, le tribunal de Rome a pourtant donné raison au requérant, soutenu par le collectif italien JLProject et ordonné « l’entrée immédiate sur le territoire italien de Harry », signale le collectif dans un communiqué.
Cinq ans plus tôt, le 2 juillet 2018, le canot dans lequel se trouvait le Soudanais a été intercepté en mer par le navire de ravitaillement Asso Ventinove, au large de l’Italie. Les migrants de l’embarcation – et de deux autres à proximité – ont pris place sur le cargo. Au total, environ 150 exilés sont montés sur l’Asso Ventinove.
Le navire, en coopération avec les garde-côtes italiens, a renvoyé les migrants au port de Tripoli. « Le capitaine a affirmé aux exilés qu’ils les déposeraient en Italie, mais ils se sont retrouvés en Libye. Ce pushback, mené discrètement, est totalement illégal », insiste à InfoMigrants Eleonora Genovese, du JLProject.
Une ambassade muette
Et la justice italienne partage le même avis. Dans sa décision, le juge « ordonne aux administrations compétentes de délivrer tous les documents nécessaires pour permettre » à Harry de venir sur le sol italien, rapporte le communiqué du collectif.
Mais l’ambassade italienne à Tripoli reste muette, et ne répond pas aux demandes incessantes des avocats du migrant.
Comme beaucoup d’exilés, le Soudanais n’a pas de passeport. Il possède pour seul document permettant de prouver son identité une carte de réfugié du Haut-commissariat des Nations unies (HCR). Mais ce papier ne lui permet pas de traverser les frontières.
Pour arriver légalement en Italie, et éviter de tenter une nouvelle fois la périlleuse traversée de la Méditerranée, Harry doit être muni d’un laissez-passer. Ce document de voyage est délivré par l’ambassade italienne.
« On est dans une impasse. C’est injuste. Sans l’autorisation des autorités, Harry ne peut pas quitter la Libye, malgré la décision de la justice italienne », déplore Eleonora Genovese, dont le collectif est en contact régulier avec le jeune homme. « On suppose qu’ils gagnent du temps pour faire appel du premier jugement. En attendant la réponse à cet appel, ils ne le rapatrient pas », croit savoir la militante.
« Il peut mourir à n’importe quel moment en Libye »
Le Soudanais est donc contraint de survivre à Tripoli. « Il peut mourir à n’importe quel moment en Libye. Au cours de ces cinq années, Harry a été torturé à de multiples reprises et envoyé deux fois dans les prisons du pays », précise encore Eleonora Genovese.
Les centres de détention libyens sont tristement connus pour leurs conditions de vie particulièrement inhumaines. Les exilés y sont soumis à des tortures, des violences physiques et sexuelles, des travaux forcés, de l’exploitation ou encore de l’extorsion. Autant de risques auxquels est confronté Harry.
Parmi les autres passagers du même canot renvoyé en Libye en 2018, deux autres sont morts de faim ou de maladie dans des prisons libyennes, une femme a été violée et tuée par un Libyen, selon JLProject.
Si l’affaire impliquant Harry a été jugée, d’autres similaires devraient suivre en Italie. Une action collective pour les autres migrants du même refoulement est en cours. Cinq Érythréens, soutenus par l’Association italienne d’études juridiques sur l’immigration (Asgi), ont déposé plainte en 2021 et attendent le procès. Ils espèrent un rapatriement en Italie et des dommages et intérêts.
Par ailleurs, JLProject travaille sur d’autres cas de refoulements opérés par l’Italie et d’autres pays européens, notamment sur celui mené par le Vos Triton le 14 juin 2021. Ce jour-là, une centaine d’exilés ont été secourus par le navire commercial battant pavillon Gibraltar. Quelques heures après leur sauvetage, les naufragés ont été transbordés sur un navire des garde-côtes libyens, et ramenés au port de Tripoli. L’Organisation internationale des migrations (OIM) et le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) avaient condamné ce renvoi forcé.